Du Roi Argent à « l’argent roi »...
Il fut un temps où « la monnaie » contenait sa valeur intrinsèque en métal précieux. Ainsi, en français, le mot « argent » désignait la monnaie bien sonnante en circulation bien avant de devenir ce « concept » qui régit le monde. Mais les « planches à billets » ont chassé ce bon « argent », apprécié des populations qui le thésaurisaient sous leur matelas...Le Professeur Antal Fekete rappelle que les pièces en argent avaient défini des systèmes monétaires solides pendant des siècles. Et annonce que « la marche vers le standard argent est inarrêtable ».
Le fait et le mot sont ancrés dans nos pratiques comme dans nos imaginaires : si « l’argent » désigne la monnaie dans sa globalité, c’est du à l’usage historique et millénaire de pièces en argent métal. Rien de forfuit dans cette fusion, pourtant devenue source de confusion sémantique depuis que les monnaies ont perdu leur répondant métallique, mais un principe fondamental, rappellé par le Professeur Antal Fekete (1932-2020) : « l’argent au sens monétaire reposait sur l’argent au sens métallique, parce que, quel que fût le pays, la masse des efforts physiques déployée par les hommes pour l’extraire d’une mine a toujours été le même ».
Comme pour l’or... Sauf que l’argent (pour le chimiste : élément de numéro atomique 47 et de symbole Ag) l’a précédé pour l’établissement d’un standard global et la mesure d’un effort universel – celui des mineurs de tous les continents... L’économiste d’origine hongroise avait expliqué au monde entier, notamment depuis l’Intermountain Institute for Science and Applied Mathematics du Montana ou la New Austrian School of Economics (Munich), que le monde entier, confronté à un effondrement du système bancaire, courait à une ruine certaine s’il ne réinstallait pas une forme de standard or. Car le dollar papier non convertible, imposé par les Etats-Unis (« c’est notre monnaie, c’est votre problème »...), n’assure pas d’un « standard de valeur perpétuel » pour la simple raison que « toutes les monnaies papiers sont vulnérables soit à la dépréciation soit à l’anéantissement, ou les deux »...
« Mais qui a tué le standard argent » ?
La fonction première de la monnaie consiste à « permettre le transfert de valeur dans l’espace, c’est-à-dire à travers de vastes distances en subissant le moins de pertes possibles ». Les premières monnaies utilisées furent le bétail puis le sel, principal agent de conservation des aliments, bien moins périssable que les autres biens négociables. Puis l’or et l’argent se substituent au bétail et au sel, au service de l’échange dont ils réduisent les coûts de réalisation. L’argent représente une « marchandise plus thésaurisable » que l’or, réservé au paiement des rançons princières. En effet, le « coût de production ou de récupération d’une petite fraction de l’unité de valeur représentée par l’or » nécessite alors des « procédés molaires coûteux » (1).
En tant que métaux monétaires, l’or et l’argent se côtoyent pendant trois millénaires, avec des « ingérences ineptes des gouvernements » s’ingéniant à « imposer un taux de change rigide » -appelé « bimétallisme ou ratio Monnaie ». Le système monétaire impérial romain est instauré sur la base d’un standard à quatre métaux : les pièces d’or, d’argent, d’orichalque (laiton) et de bronze sont dotées d’un cour légal illimité et recevables en échange de de droits publics.
L’argent est alors le principal vecteur de versement du tribut annuel des communautés provinciales au fisc impérial. Mais la baisse de production des mines d’argent et de la quantité de pièces d’argent étrangères et provinciales envoyées à Rome en paiement du tribut, ainsi que la consommation accrue de ce métal dans les arts auraient exigé une mesure d’urgence : la dépréciation des pièces d’argent en dessous de la valeur de leur émission. Attribuée à l’empereur Néron, elle est poursuivie par ses successeurs – jusqu’à l’effondrement des finances de l’empire : « L’Empire romain est tombé en même temps que la quantité d’argent dans sa pièce Denarius a baissé : de 90%, elle est passée à quelque 4%. A partir du moment où la valeur d’une monnaie se désagrège, l’administration du pays se désagrège, et d’abord par la corruption, les officiels voulant être payés avec de l’argent sain. »
Vers la fin du XIXe siècle, les progrès de la métallurgie font qu’un seul métal monétaire, l’or, représente la « forme de possession la plus élevée par-dessus le temps et l’espace ».
Ce qui entérine la reconnaissance du monométallisme or comme le meilleur système monétaire.
En 1878, l’Union latine n’autorise plus les Monnaies des pays membres à frapper l’argent... Pour l’éminent économiste, il semblerait qu’il y ait eu « complot » ourdi dans les hautes sphères pour « venir à bout du standard argent »... La pièce américaine de 10 cents en argent était « la pièce du salarié et du travailleur journalier » ainsi que le trésor du mendiant... L’argent métal était la monnaie utilisée par les gens de condition modeste pour accumuler du capital. Le « rêve américain » était peuplé de petits vendeurs de journaux à la criée, les paperboys, ou de cireurs de chaussures qui ont accédé à meilleure fortune en mettant des pièces d’argent de côté – certains d’entre eux étaient devenus propriétaires des journaux qu’ils vendaient dans la rue...
En 1873, le gouvernement des Etats-Unis interrompt la frappe des pièces d’argent de 3 et 10 cents par une loi sur la monnaie qui démonétise le dollar adossé au stadard argent. Ainsi, le cours de l’argent s’effondre de 1,29 dollar l’once en 1873 à 25 cents l’once en 1933. Des millions de petits épargnants qui thésaurisaient leurs économies en pièces ou lingots d’argent ont été ruinés. Cette loi sur la monnaie est suivie par une chute des économies occidentales, entraînant notamment celle des biens immobiliers et des pensions de retraite.
Aux Etats-Unis, le président Stephen Grover Cleveland (1837-1908) est contraint en 1895 d’emprunter 65 millions de dollars à un syndicat privé de banquiers de Wall Street dirigé par James P. Morgan (1837-1913) afin de « reconstituer la réserve d’or fédérale ». Pour Antal Fekete, la démonétisation de l’argent est un acte de destruction de la richesse liquide et de la classe moyenne : « Non seulement l’argent a perdu plus de 80% de sa valeur, mais il a été également déchu de son statut de métal monétaire, rendant sa vente plus difficile. Et pour ne rien arranger, la chute constante du prix a provoqué une panique minière autour de l’argent. Les mineurs étaient impatients de vendre avant que le prix ne dégringole davantage. D’où l’épuisement de quasiment toutes les mines d’argent. Dès lors, l’intégralité de la production d’argent s’est transformée en un sous-produit de l’exploitation d’autres minéraux. »
Cette démonétisation de l’argent fait basculer la demande de thésaurisation vers l’or, « ce qui a imparti au système monétaire international un biais déflationniste que les ennemis de la monnaie saine ont su exploiter avec une habileté consommée »...
Un siècle plus tard, l’or a également été démonétisé, « de façon tout aussi inconstitutionnelle » », le 15 août 1971, par le président Nixon (1913-1994) qui fit son « doigt d’or » à l’humanité en déconnectant le dollar de l’or sans le lier à une autre richesse réelle...
S’agit-il déjà en 1873 d’un « détournement de fonds clandestin et légalisé au profit de l’establishement bancaire mondial » ? Pour les auteurs de cette opération, il aura suffi de remplacer cette richesse liquide disparue par du crédit bancaire fondé sur la dette – « en particulier, la dette publique »...
Par ailleurs, dans le Vieux Monde, le chancelier Bismarck (1815-1898) exige le 23 novembre 1871 de la France vaincue une indemnité en or de 1000 milliards de dollars paysable sur quatre ans – à 19,39 dollars l’once... Le Pr Fekete avance son hypothèse : « Les Allemands ont pu être tentés d’augmenter la valeur de leur trésor jaune par tous les moyens – par exemple, par la démonétisation de l’argent – ce qui aurait fait gonfler la demande et par là même la valeur de l’or. (...). Le nouveau standard or du nouvel Empire allemand a été inauguré le 9 juillet 1873 avec le lancement de la nouvelle pièce en or, le Mark-or. Cet événement avait été précédé en 1871 par l’interdiction faite aux Monnaies allemandes de frapper des Taler en argent, première étape concrète vers la démonétisation. »
Un « crime parfait » ?
Cette démonétisation de l’argent constitue pour l’économiste un « acte délibéré de destruction des droits individuels » au profit d’une sphère politico-financière en expansion : « Seuls les banquiers, les hommes politiques et les financiers malhonnêtes ont toujours pu s’enrichir avec la monnaie papier, aux dépens des classes moyennes et des plus pauvres (...) Ces gens n’ont aucun intérêt à disposer d’une monnaie saine, pour une raison très simple : elle les empêcherait systématiquement d’effectuer des promesses électorales insensées, alors que la monnaie papier leur permet tous les excès, mensonges, prévarications et vols en bande organisée comme ce que l’on a pu voir entre 2007-2008 avec l’endettement des peuples du monde entier pour uniquement sauver les banquiers et les politiciens qui leur ont voté des lois sur mesure. »
Il fut un temps où il fallait d’abord gagner « son argent » avant de le dépenser... Détournée de sa finalité première et de l’économie réelle pour réaliser un pur désir d’accumulation, la monnaie s’auto-engendre désormais en vase clos sans passer par la sphère réelle marchande – elle n’est plus ce qui relie les individus dans la société à travers l’échange...
Le Magicien d’Oz de Lywan Frank Baum (1856-1919) enchanta des générations de jeunes lecteurs puis de cinéphiles. Ce roman pour la jeunesse est une allégorie des standards or et argent ainsi qu’une satire du billet dollar – Oz est l’abréviation de la norme de poids, l’once, pour les métaux précieux... Ce récit allégorique paraît en 1900 en plein débat au Congrès américain : faut-il passer au strict standard or ou bien garder le bi-métallisme or-argent ? Cette année-là, le président William McKinley (1843-1901) promulge sa loi sur le Standard Or. Ainsi, « le magicien de l’Oz » est celui qui « fait disparaître » les pièces d’argent, en référence à la loi de 1873 qui avait suspendu le bimétallisme aux Etats-Unis...
Chaque personnage incarne un symbole reconnaissable : Dorothy est l’innocente enfant des classes populaires appauvries, l’épouvantail symbolise les agriculteurs ruinés du Midwest, l’homme en fer blanc symbolise la classe ouvrière dépossédée, la sorcière représente la classe patronale industrielle qui veut transformer les agriculteurs en ouvriers, etc. Les escarpins d’argent (rouges dans le film, pour une question de visibilité à l’écran...) de l’heroïne révèlent la grande facilité d’usage quotidien des pièces d’argent et leur pouvoir libérateur, véritable facteur de richesse pour tous...
D’autres récits allégoriques à venir ou autres contes métaphysiques salueront-ils le retour en grâce du « Dieu Argent » (c'est-à-dire l'effort humain...), renvoyant à leur néant les « monnaies virtuelles dématérialisées », sans valeur ni existence propre - et les parasites qui vont avec ?
Dans une conférence donnée au Savoy Hotel de Londres le 5 août 2011, l’économiste mexicain Hugo Salinas Price, qui réussit à convaincre son gouvernement de frapper les pièces Libertad en argent et en or, rappellait en toute simplicité : « Pour encourager les citoyens à épargner, la première chose à faire serait d’abord de leur donner quelque chose qui vaille la peine d’être épargné (...) En un rien de temps, les gens considéreraient l’expression « un dollar » comme une pièce de monnaie plutôt qu’un indicateur numérique de la valeur du cours légal »...
La question demeure posée : sauver les populations ou les banques, la planète ou les « profits » ? Le temps et l’énergie dévorés par les questions monétaires pourront-ils enfin être consacrés utilement aux vrais problèmes du monde bien réel et à la satisfaction des besoins essentiels des "vrais gens" dans leur "vraie vie" et dans le respect bien compris des véritables équilibres écologiques ?
Parce qu’il est l’une des sources d’énergie les plus efficaces pour changer le monde, « l’argent » peut rendre sa valeur à la vie de chacun non par la dépossession mais dans la pleine conscience de l’inestimable.
1) Mole : unité de base pour mesurer la quantité de matière
Antal Fekete, Le Standard Argent – « comment sauver son épargne en investissant des petites sommes », Le Jardin des Livres, 224 pages, 20 euros
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