EADS et Titanic
Avant de lire ce qui suit, il est vivement recommandé de lire le court article de La Tribune qui est en lien.
Lorsque les ingénieurs de l’époque avaient conçu le Titanic, ils avaient prévu, pour le cas d’avarie, de compartimenter la coque. On sait depuis qu’ils n’avaient pas compartimenté comme il l’aurait fallu. Au moins avaient-ils conscience du danger et des mesures à prendre pour le maîtriser. Aujourd’hui, l’appât du gain est tel que l’on ne prend même plus de telles précautions. En effet, en voulant appeler tout EADS « Airbus » et en supprimant les noms d’Astrium et Cassidian, voire, peut-être Eurocopter, on a tout simplement supprimé les cloisons dans le bateau EADS. À la moindre petite fuite, et le bateau coule en entier et cela ne donnera même pas un délai pour sauver quelques passagers comme ce fut malgré tout le cas pour le Titanic, même mal conçu. Les chômeurs se compteront par dizaine de milliers et on se souviendra de l’histoire du vingtième siècle en rebaptisant Toulouse « la Longwy du vingt et unième siècle ».
Mais quelle mouche a donc piqué la hiérarchie d’EADS ? En réalité, n’étant pas ingénieurs eux-mêmes, ces messieurs ne comprennent pas la valeur des choses. Plus exactement, ils ne connaissent que deux unités, l’euro et le dollar. Les kilogrammes, les ampères, les mètres… Leurs sont étrangers. Alors que ce soient des asiatiques, des Américains ou des gens du Moyen-Orient qui traitent de ces dernières, ils n’en ont que faire. D’ailleurs, EADS, Airbus, créent des emplois… En zone dollar ! En conséquence, Français, Allemands, Britanniques et Espagnols peuvent commencer à quitter le bateau, car il ne va pas tarder à couler. Pourquoi ? Direz-vous.
En fait, dans un grand groupe comme EADS, faire monter les profits pendant quelques années est facile en sacrifiant l’avenir. Pour un président qui, en théorie, n’est là que pour cinq ans, voilà une aubaine ! On fait des profits, on s’en va et forcément ceux qui prennent la relève apparaîtront moins bons. Il leur faudra en effet gérer alors le passé et le passif…
La volonté affichée d’EADS d’écarter les états de sa gouvernance est aussi un peu forte de café. En effet, EADS n’est-il pas le résultat des seuls investissements d’état depuis maintenant des décennies ? Pour reprendre un adage bien connu en le transformant un peu, on pourrait dire que l’on mutualise les investissements, mais on privatise les profits tout en mutualisant, de surcroît, les chômeurs… ! Rappelons, contrairement à ce qu’affirme l’article de La Tribune, que les concurrents américains d’EADS, dépendent ô combien de l’état américain. De très récentes et nombreuses affaires que nous ne rappellerons pas ici, le prouvent amplement et les répartitions géographiques sur le territoire américain sont au moins aussi complexes et politiques que celles que nous vivons en Europe. EADS le sait d’ailleurs très bien, qui a largement fait jouer la politique pour s’installer à Mobile en Alabama en créant, au passage, de futurs chômeurs en Europe.
Pour rester courts, nous n’allons plus traiter que deux sujets très rapidement. Le premier consiste à faire un parallèle entre la gestion proposée par Tom Enders et celle du « brillant » Serge Tchuruk, feu PDG d’Alcatel qui avait fait passer sous son ère, l’effectif de son groupe de 120 000 à 60 000. C’était l’inventeur du « groupe sans usine » ! Notion qui ne peut naître que chez quelqu’un qui n’a jamais rien fait de ses dix doigts, caractéristique d’un gars qui peut penser que la différence de salaire entre lui et le plus mal payé de ses salariés peut être d’un facteur 500 et que c’est justifié. Et l’on pourrait continuer la litanie ainsi bien longtemps. On peut en voir un échantillon dans l’article même de La Tribune qui donne une première liste des projets qui ne verront pas le jour, non pas parce qu’ils ne seraient pas rentables, mais parce qu’ils ne le seraient pas assez ! Mais ceci n’est que l’arbre qui cache la forêt. L’Airbus A320 représente environ 80% du carnet de commandes d’Airbus. Un éternuement du marché et l’entreprise s’enrhume ! Mais, en ayant transféré à Tianjin une chaine de montage d’A320, avec des appareils qui sortent à des prix que nous qualifierons de compétitifs, il faudrait, à terme, pour garder une production sur ce créneau de marché en Europe, un avion de rupture dès 2020. Or ce programme ne cesse d’être reculé. Il est passé de 2020 à 2030 en environ 3 ans. À cette vitesse, nous aurons les chômeurs en Europe avant d’avoir démarré et nous aurons perdu les compétences avant même d’avoir réfléchi aux ruptures nécessaires.
Notre dernier point concernera l’éthique. Il y a quelques mois, EADS a été épinglé dans une affaire de corruption en Autriche. Faisant bonne figure, le groupe n’a pas été avare de déclarations publiques et probablement a-t-il fait, comme dans tous les groupes où ce type de phénomène se produit, des rappels à l’ordre à ses salariés. Mais qu’en est-il de l’éthique d’un groupe qui ne croît systématiquement qu’en dehors de sa zone de financement primaire ? Qu’en est-il de l’éthique quand aucun groupe, EADS ou un autre, ne se pose seulement la question de son apport à la société dans laquelle il opère ? Alors, reprenons les termes mêmes de l’article de La Tribune. EADS boîte à cash ? Sûrement, mais au détriment d’une éthique élémentaire, qui consisterait à enrichir les populations qui ont permis sa création et non quelques « happy few ». Entendons-nous bien ! Enrichir les populations européennes, veut dire, en plus de salaires décents et d’écarts dans l’échelle décents eux aussi, des emplois productifs pour que nous créions des biens matériels et non pour faire du management, ce qui revient, peu ou prou et à moyen terme à l’entreprise sans usine chère à monsieur Tchuruk.
Nous voilà donc à notre conclusion. Tous les empires passent par une phase de décadence avant la chute. Vu de l’extérieur, c’est assez facile à détecter. Nous en avons là un excellent exemple avec EADS. Probablement n’est-ce pas le seul groupe dans ce cas, mais cela est tellement criant que cela valait bien un article…
Interpelons l’État qui peut prendre note de la décision d’EADS et qui, en conséquence, ses intérêts étant alors divergents de ceux d’un groupe « libre », pourrait ne faire un programme de drone qu’avec Dassault, qui bien que groupe privé est, semble-t-il moins arrogant. L’électronique de défense, boiteuse chez EADS, pourrait être attribuée à 100% à Thalès et Sagem. Cette dernière société ayant donné, semble-t-il, satisfaction sur le programme AASM, les futurs contrats de missiles pourraient très bien ne plus passer par MBDA, trop proche du groupe EADS. Pour les hélicoptères militaires, il est fort à parier que des drones feront mieux l’affaire à l’avenir. Là encore, il est probable que l’on pourra se passer d’Eurocopter qui ne sait pas (plus) vraiment faire de petites machines. Quant aux satellites militaires, Thalès Alenia Space a toutes les compétences et l’on peut se passer d’Astrium. Sur certains sujets, puisqu’EADS veut jouer la carte mondiale, on peut même acheter sur étagère aux USA ou même en Russie, comme, par exemple, des Antonov qui seraient rénovés en lieu et place des Bélougas… La liberté n’a pas de prix comme le dit l’adage, mais elle peut avoir un coût...
Terminons par une deuxième interpellation de l’État. Tous les groupes d’armement actuels se sont construits avec les deniers publics. Depuis, ils sont tous devenus relativement impotents tout en œuvrant dans un milieu très conservateur sous leadership américain. Il n’est pas sûr que cela nous donne l’ascendant, en termes opérationnels, en cas de conflit même si, reconnaissons-le, cela nous met en bonne place dans le standard américain. Plutôt que de continuer à financer des ogres qui n’ont jamais assez de budget et qui ne créent guère d’emplois (ne raisonne-t-on pas, actuellement, côté DGA, en termes de maintien des compétences ?), on ferait mieux de créer de nouvelles activités dans le secteur à partir de start-up. Au moins aurait-on quelques ingénieurs qui auraient l’occasion de s’exprimer pleinement alors que dans les grandes structures ils sont en général relégués au fond des organigrammes, quand ils y sont… Le problème de la DGA dans cette affaire, c’est qu’elle ne sait pas financer ces start-ups pour de grands projets, notamment à cause des risques qu’elles ne sauraient pas absorber du fait d’une surface financière insuffisante. Il faut ici tuer cette façon de penser. Tout d’abord, les coûts d’une start-up à prestation égale par rapport à un grand groupe, sont de l’ordre du tiers, voire moins. Ensuite, quand il y a des dérives (cf. A400M) l’État peut être amené à mettre plusieurs milliards de dollars en sus dans le système, ce qui ne sera jamais le cas avec une start-up. Au final, on ferait bien de réfléchir rapidement au sujet, tant qu’il nous reste quelques ingénieurs, car le passage au management, à la finance, au commerce, etc., font que les staffs occidentaux ne font quasiment plus de technique.
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