Economie en berne, société de m…
C’est l’histoire de deux villages A et B, chacun avec 1000 familles à nourrir. Depuis des décennies, quelques paysans du village A produisent des poulets qu’ils viennent vendre le samedi sur la place du marché dans le village A et aussi le village B, ce qui fait un total de 2000. Il se trouve en effet qu’il n’y a pas d’éleveur de volaille sur toute la commune B. Jusqu’au jour où Paul, le dernier de la famille Dublé, s’est lancé dans la volaille et s’est mis à élever des poulets. C’était dans les années 1990. Son ami Pierre l’a imité. Comme ils n’étaient pas exigeants sur leurs revenus, ils ont commencé à vendre les poulets pas très chers. Certains les ont trouvés pas mauvais, avec un goût spécial. Cette année 2013, les paysans du village A ont amené 2000 poulets pour les vendre sur les marchés, alors que les paysans du village B en écoulaient autant. Les gens des villages étaient un peu plus nombreux et avaient un peu plus de revenus mais pas assez pour acheter tous les poulets, la plupart réservant encore la volaille pour le repas du dimanche. Si bien que les paysans des deux villages sont repartis du marché avec près de 1500 poulets. Ils les ont remis au poulailler. Car heureusement, ils ne les tuent pas avant de les vendre, sagesse paysanne oblige. Du coup, les élevages ont grandi, les paysans ne savaient plus quoi faire de leurs poulets. Jean, qui avait repris l’élevage de son père dans le village A, était celui qui s’en sortait le plus mal. Il vendait moins que ses concurrents et a fini par faire faillite, n’ayant plus assez de sous pour nourrir tous ces poulets. Et finalement, vers 2020, les paysans vendaient à peu près 3000 poulets sur les marchés mais quatre d’entre eux avaient mis la clé sous la porte.
Cette fable raconte en fait la désindustrialisation des pays industrialisés qui furent les locomotives pendant les Trente Glorieuses, pour ensuite se stabiliser et maintenant, se placer dans une dynamique de contraction de la production industrielle. C’est ce qui arrive à la France, à l’Europe, au Japon ainsi qu’aux States. L’histoire des poulets et des villages A et B raconte le cours de l’économie du monde entre 1990 et 2020. Il suffit de remplacer les poulets par l’acier, les automobiles, les ordinateurs, l’électroménager et bien évidemment le textile dont le sort en Europe fut emblématique de la transformation du monde économique. Le village A représente les pays que je viens d’évoquer, les locomotives des années 1960. Le village B représente un conglomérat assez hétéroclite avec le géant qu’est la Chine, puis les nouveaux dragons, l’Indonésie, la Turquie, la nouvelle Russie, le Brésil, l’Inde et pas mal d’autres pays en développement. Quant à Jean qui met la clé sous la porte, eh bien c’est un peu l’histoire de quelques unes de nos entreprises françaises, sachant qu’il doit bien se passer des choses similaires dans d’autres pays européens sans que la presse n’en fasse état. Peugeot et Renault sont sur une mauvaise pente, moins 20 %, mais l’on ne peut pas vendre plus de voitures que le marché n’en peut absorber. Les modèles s’accumulent à la sortie des usines, comme les poulets que Jean ne peut plus vendre. Tout comme les CD et les DVD qui, vendus sur les sites en lignes, restent sur les rayonnages de l’enseigne Virgin dont les salariés vont devoir changer d’employeur. C’est la dure loi du marché et de l’adaptation aux nouveaux comportements. Les gens n’ont plus besoin des conseils d’un vendeur de culture. Il y a quelques décennies, ils décidèrent de se passer du pompiste.
Ce que la fable a oublié de dire, c’est que bien avant le dépôt de bilan de Jean, les poulets avaient des difficultés à se vendre et que les maires des deux villages avaient déployé des mesures incitatives, par exemple un bon pour une partie de pêche offert avec un poulet acheté ou mieux encore, des commandes particulières passées par les comités locaux des fêtes pour quelques festins subventionnés par les fonds municipaux. On l’aura deviné, ce détail évoque le sort des constructeurs automobiles français en attirant l’attention sur un fait. Le déclin de la production industrielle française ou européenne n’a rien de soudain. Le processus a commencé il y a longtemps. Il s’est juste accentué ces dernières années, prenant des proportions si importantes qu’une prise de conscience médiatique s’est déployée. Les crises financière et économique sont entrelacées et indissociables. Et comme l’ont constaté les plus lucides des observateurs, le système arrive en bout de course et continuera à se transformer avec peut-être une rupture qu’on appellera mutation, terme très tendance.
Noyé au fond de la piscine, notre ministre en pull marinière pense qu’il est possible de préserver les productions françaises, comme d’ailleurs la dame blonde du rassemblement marine mais c’est une illusion. Desproges disait qu’un névrosé rêve de construire des châteaux en Espagne et qu’un psychotique croit qu’on peut les habiter. Il dirait peut-être qu’un politicien névrosé rêve de maintenir les productions en France alors qu’un psychotique pense que le marché de l’automobile est inépuisable et qu’on devrait fabriquer encore plus de véhicules et que les gens vont les acheter.
Ces quelques lignes ne constituent pas une démonstration mais servent à attirer l’attention sur les consciences en permettant de formuler une hypothèse forte, celle d’une distorsion de l’action politique en France (et en Europe ?) face à une réalité industrielle et financière qui s’est écartée progressivement du schéma hérité de la seconde moitié du 20ème siècle. A cette époque, les pays industrialisés formaient un cercle restreint alors que la structure industrielle n’avait ni le caractère globalisé, ni les capacités productives qu’on trouve actuellement. Ce qui signifie que les structures de l’emploi, du marché du travail, de la santé, des retraites, sont dépassées. D’où les tracas politiques et syndicaux et le chemin de croix des réformes qui ne rattrapent pas le cours de l’économie, accouchant dans la douleur de mesures qui ne sont que transitoires car il faut repartir à la poursuite de l’évolution industrielle qui joue le lièvre derrière lequel court l’adaptation des sociétés.
On cite le modèle allemand comme exemple d’adaptation et c’est exact, sauf qu’on ne jauge cette adaptation qu’avec des chiffres qui arrangent, le chômage, l’excédent commercial. On oublie les travailleurs pauvres, plus nombreux outre-Rhin que chez nous, fait qui si on relativise avec la démographie allemande, livre un constat encore plus aggravant. Les Etats-Unis ont suivi la même route, le Japon aussi ainsi que la France, l’Espagne, le Portugal et toute l’Europe. Après la phase de démocratisation, d’ascension sociale et d’accès généralisé au progrès, les pays occidentaux ont choisi le progrès sectorisé en ajustant la société dans le sens d’un sacrifice économique dans les marges. Ce n’était pas la seule possibilité mais c’était la voie à suivre pour augmenter le niveau des classes aisées et des classes moyennes restantes dans ce contexte de globalisation. Oui, sacrifice, comme dans la fable le sort des paysans qui n’est pas raconté mais que l’on devine.
La structure quasi universelle des pays au 21ème siècle est celle d’un modèle à trois classes ou disons à trois vitesses. Un petit noyau constitue l’hyper classe, avec des gens fortunés n’ayant plus les mêmes notions que les gens, vivant dans des univers séparés sans compter l’argent. Un gros noyau constitue les classes moyennes, qu’on pourra toujours scinder en supérieure, médiane, inférieure. Ce noyau est indispensable au fonctionnement du système. Il comprend les travailleurs du privé et du public, avec souvent des emplois très qualifiés, permettant de manipuler les techniques modernes et les flux d’information. Il reste un troisième noyau, plus ou moins important selon l’état de l’économie d’un pays ainsi que sa politique sociale. Ce noyau comprend une bonne part de travailleurs peu qualifiés parvenant à gagner leur vie mais surtout, il inclut les individus laissés dans les marges résiduelles de l’existence, les sacrifiés de l’économie, ceux que le système ne parvient pas à insérer et qui sont récupérés par le samu social et autres voitures balais conduites par les associations caritatives.
2013 commence mal, sur des bases fausses ou du moins contraires à l’éthique humaine, comme du reste dans le monde occidental. Alors on va attendre que les consciences s’éveillent sans s’énerver. On ne fera pas une société harmonieuse avec des égarés. La justice ne tombe pas toute faite dans le monde, elle est le résultat d’un combat dont le ressort est la volonté. Et donc, en une formule, notre monde se place sous le signe d’une crise de la volonté qui est aussi une crise de la représentation, laquelle est travestie par une représentation (tronquée) de la crise.
Conclusion. La vérité contemporaine sur la société, la seule qui vaille, c’est de reconnaître que depuis 30 ans, les gouvernants tentent d’ajuster le modèle social à une économie qui avance mais avec quelques pannes et cette fois, une avarie importante. Les politiques menées visent à traiter socialement ce tiers social en marge et sacrifié en ajustant progressivement les fonds sociaux et les législations sur le travail aux déterminants économiques et financiers. Le résultat est là, avec des dégâts sociaux. Mais les politiciens vivent avec les médiarques dans un déni de réalité, croyant qu’un protocole de Bologne en éducation, de Lisbonne en technologie peut arranger l’affaire et servir de salut à la société. Même chose avec la relance Sarkozy de 2008, le rapport Attali et maintenant le choc de compétitivité. Rien ne peut marcher. Reste l’ajustement du modèle social. Il y a une autre solution, un autre modèle à inventer, mais tant que la société ne craque pas, tout va continuer.
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