Economie européenne : Trichet décrypté
Jean-Claude Trichet, président de la Banque centrale européenne (BCE), est le « gardien » de l’inflation qui est la « hausse généralisée et durable du niveau général des prix ».
Au mois de juin 2008, le taux d’inflation en zone euro a atteint 4% en rythme annuel, soit le double de la limite maximale souhaitée par la BCE.
Cette inflation a pour principale origine l’augmentation des prix de l’énergie, des matières premières et des produits alimentaires.
Un des effets de l’inflation est la perte de pouvoir d’achat de la monnaie. C’est-à-dire qu’à l’instant t avec 10 euros on pouvait acheter 10 litres de carburant et en t+1, avec ce même montant, on en obtient plus que 8 litres par exemple. Ainsi, un revenu monétaire donné ne permet plus d’acheter le même panier de biens et services qu’auparavant. L’inflation réduit le revenu réel (le pouvoir d’achat).
Dans ces conditions, il est normal que les salariés veuillent maintenir leur pouvoir d’achat et demandent des hausses de salaires.
Monsieur Trichet n’est pas d’accord et il met en garde contre les effets de « second tour ». Selon lui, si les entreprises accordent des hausses de salaires, cela va augmenter leurs coûts et elles vont répercuter cette augmentation sur le prix de vente des biens et services qu’elles produisent. Ainsi peut s’enclencher une spirale inflationniste par les coûts car les salariés demanderont alors une nouvelle hausse des salaires qui sera répercutée sur les prix… et ainsi de suite.
Pour éviter d’entrer dans ce cercle « vicieux », monsieur Trichet nous dit qu’il est urgent de ne rien faire et surtout de ne pas augmenter les salaires car « nous serons revenus à la stabilité des prix selon notre définition, disons dans une période de l’ordre de dix-huit mois » (Le Figaro).
En d’autres termes, cela signifie que les salariés doivent accepter une baisse de leur pouvoir d’achat d’au moins 6 % sur 18 mois (si l’inflation reste au rythme actuel) en attendant des jours meilleurs. Dans ce cas, la charge de l’inflation repose uniquement sur les salariés ainsi que sur les titulaires de revenus sociaux, sur les retraités…
Une possibilité, ignorée par monsieur Trichet, serait de faire supporter la charge de l’inflation aux entreprises en augmentant les salaires sans pour autant qu’elles rehaussent leurs prix de vente. Il suffirait qu’elles réduisent leurs marges et par là même leurs profits. Dans ces conditions les augmentations des salaires n’auraient pas d’effet de « second tour » sur l’inflation.
Evidemment ce scénario n’est pas du goût des entreprises soumises aux exigences du capitalisme financiarisé (de la Bourse…) en matière de niveau de profit. D’ailleurs, elles sont prêtes à brandir la menace de la délocalisation pour éviter toute velléité de mise en œuvre dudit scénario.
Un autre effet de l’inflation s’opère au bénéfice des emprunteurs et au détriment des créanciers. Les emprunteurs remboursent leurs créanciers en monnaie au pouvoir d’achat dévalorisé. En ce sens l’inflation est le cancer du rentier. La seule solution pour ce dernier réside dans une augmentation du taux de l’intérêt des crédits au-delà du taux d’inflation. Dans le cas contraire, le capital du rentier se déprécie. Ce n’est pas dramatique car Keynes disait que la bonne marche du système économique implique l’euthanasie du rentier.
Outre ses recommandations concernant la non-indexation des salaires, monsieur Trichet dispose, pour lutter contre l’inflation, de l’arme du taux directeur de la BCE qui détermine les taux d’intérêt pratiqués par les institutions bancaires et financières européennes. Le 17 juin, la Banque centrale a porté ledit taux directeur de 4 à 4,25% et monsieur Trichet a laissé entendre que de nouvelles hausses étaient envisageables en cas de persistance de pressions inflationnistes.
La hausse du taux directeur a pour effet le renchérissement du coût du crédit. Ainsi, les entreprises, les particuliers et l’État seront moins enclins à emprunter pour financer leurs dépenses d’investissement ou de consommation. L’effet attendu est une baisse (ou une moindre augmentation) de la demande censée engendrer une baisse (ou une moindre augmentation) des prix. Par exemple, « toutes choses étant égales par ailleurs », si la demande de logements diminue en raison de la hausse des taux d’intérêt, les prix de l’immobilier devraient évoluer à la baisse. De même, le renchérissement du crédit revolving (crédit permanent) devrait peser sur la consommation des ménages et engendrer une détente sur les prix. Enfin, les entreprises ne feront pas certains investissements car les emprunts pour les réaliser coûtent plus cher, diminuant d’autant la rentabilité escomptée.
Pour lutter contre l’inflation, il s’agit de déprimer la demande tant de consommation que d’investissement en espérant rendre l’offre excédentaire et détendre ainsi les prix : c’est une politique déflationniste. La diminution de la demande engendre aussi mécaniquement un rétrécissement des marchés des entreprises, ce qui a pour conséquence une baisse de leur activité et plus généralement de la croissance économique.
Le renchérissement du crédit combiné à la baisse du pouvoir d’achat engendré par l’inflation peuvent conduire à la stagnation économique. De plus, il n’est pas sûr que cette politique conduise à une baisse de l’inflation qui, pour une large part, est importée, c’est-à-dire qu’elle émane des prix de l’énergie et des matières premières qui sont déterminés sur les marchés mondiaux. Seules des politiques déflationnistes coordonnées au niveau mondial seraient en mesure de produire l’effet requis. Or, des pays comme les Etats-Unis, la Chine, l’Inde… sont loin de mener des politiques conformes à celle suivie par l’Union européenne.
Ainsi, la stagnation pourrait cohabiter avec l’inflation, c’est la stagflation. Les années 1970 ont connu des périodes de stagflation que les politiques conjoncturelles keynésiennes (politique budgétaire, politique monétaire…) de gestion de la demande n’ont pas réussi à dépasser. Cet échec a ouvert la voie au néolibéralisme de Thatcher et Reagan. Il est vrai que dans les années 1970, l’inflation était à deux chiffres car les salaires étaient indexés sur le taux d’inflation. Les effets de « second tour » jouaient à plein, mais le pouvoir d’achat était maintenu. Aujourd’hui, la stagflation inclut un moindre taux d’inflation, mais elle se traduit par l’appauvrissement du plus grand nombre. C’est une stagflation paupérisante.
Le premier type de stagflation a eu raison des politiques keynésiennes et de l’État-providence. Cette deuxième version que nous allons vivre, marquera-t-elle la fin du néolibéralisme ?
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