Electricité, le tarif Royal
« J’annonce ce matin la baisse de 5% des prix de l’électricité ». Ségolène Royal a le sens de la formule lorsqu’elle lâche cette bombe sur le plateau Jean-Jacques Bourdin le 19 juin. La déflagration ne s’est d’ailleurs pas fait attendre puisque le cours de Bourse d’EDF a immédiatement dévissé de 10%. Dans les faits, la ministre ne fait que perpétuer une longue tradition politique française qui consiste à faire payer le plus tard possible aux contribuables les décisions impopulaires… quitte à aggraver la situation.
« Un cadeau empoisonné »
En annonçant une « baisse », la ministre de l’écologie (et de l’énergie) sait parfaitement ce qui l’attend : une hausse rétroactive des tarifs décidés par la Justice. Elle en a déjà fait l’expérience il y a à peine deux mois. En avril, lorsque le Conseil d’Etat a ordonné une hausse rétroactive, Ségolène Royal a temporisé en affirmant que ladite hausse serait incluse dans l’augmentation de 5% déjà prévue au mois d’août. C’est cette augmentation programmée qu’elle vient justement d’annuler !
Ce n’est donc pas à une baisse de 5% des tarifs régulés de l’électricité à laquelle il faut s’attendre, mais au contraire à une hausse drastique qui tienne compte de tous les arriérés ! Fabien Choné, directeur général de Direct Energie et président de l’ANODE (l’association des fournisseurs alternatifs d’énergie), a d’ailleurs prévenu : c’est « un véritable ‘cadeau’ empoisonné aux consommateurs ». Son organisation s’est fait une spécialité de contester en Justice les tarifs régulés qu’elle juge trop bas, et elle a bien l’intention d’attaquer la décision de la ministre, avec de bonnes chances de succès.
Le double retour de bâton
Face au tollé qui a suivi l’annonce de Ségolène Royal, Matignon a indiqué que d’ici octobre un nouveau mode de calcul des tarifs de l’électricité serait mis en place. A ce moment-là, le gouvernement procédera aux ajustements (à la hausse ou à la baisse) nécessaires. Le nouveau mode de calcul ne l’est cependant pas tant que ça, puisqu’il est prévu depuis 2010 et devait initialement entrer en vigueur en 2015. Le fait de prendre prétexte de son utilisation anticipée provoque toutefois deux effets pervers.
Premièrement, la hausse de 5% prévue au mois d’août faisait l’objet d’un consensus entre les fournisseurs d’énergie, le gouvernement et le Médiateur national de l’énergie. Ainsi fournisseurs et consommateurs disposaient d’une visibilité de plusieurs années sur l’évolution des prix. L’annonce de Ségolène Royal met à mal la confiance placée dans la parole de l’Etat. En conséquence, les investisseurs se désengagent d’EDF, « exposé au risque politique » selon les analystes financiers, grevant les comptes du premier énergéticien français et de son principal actionnaire : l’Etat.
Deuxièmement, le ministère de l’écologie adapte à son goût le nouveau mode de calcul. Parmi les éléments de calcul, au lieu de se baser sur les coûts d’EDF hors nucléaire, il a été décidé d’utiliser les prix du marché de gros de l’électricité. C’est un progrès en termes de transparence car les coûts d’EDF sont difficilement vérifiables, mais c’est aussi une aberration économique car le marché de gros de l’électricité connaît de très importants dysfonctionnements. En choisissant d’indexer les tarifs sur le marché de l’électricité, le gouvernement fait juste un pari à court terme car les prix sont actuellement très bas.
Il est fort probable que Ségolène Royal ait cherché à se donner le beau rôle de défenseuse des consommateurs avec son annonce de « baisse » des tarifs. Dans les faits, c’est plutôt à une forte hausse à laquelle les consommateurs doivent s’attendre. La décision de la ministre a toutes les chances d’être cassée par le Conseil d’Etat tandis que les tarifs réglementés, censés limiter les risques pour les consommateurs, seront désormais exposés aux variations erratiques du marché de gros de l’électricité.
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