Encore des yaka pour résorber le chômage !
Les chauffeurs de taxi vont être contents : le journaliste Laurent Joffrin leur propose une baisse de leur pouvoir d’achat dans une logique typiquement "française".
L’émission "Mots Croisés" animée par Yves Calvi le lundi 4 février 2013 sur France 2 était consacrée au chômage, un sujet essentiel qui mine la société française (et européenne) depuis au moins trois décennies et qui est devenue officiellement (et très théoriquement si l’on écoute le débat national actuel) la priorité numéro une du gouvernement socialiste.
Un débat droite/gauche assez stérile
Les deux principaux invités étaient deux poids lourds du PS et de l’UMP, le Ministre du Travail Michel Sapin (très proche ami de François Hollande) et l’ancienne Ministre du Budget Valérie Pécresse (nouvelle secrétaire générale déléguée de l’UMP).
Leurs propos restaient convenus en raison de leurs hautes responsabilités respectives dans la majorité ou dans l’opposition.
On pouvait même regretter le ton inutilement polémique adopté par Michel Sapin (d’habitude plus conciliant) sur un sujet pourtant consensuel, celui de la réforme de la formation professionnelle (l’idée acceptée de tous étant que l’énorme budget de la formation professionnelle devrait se focaliser principalement sur les demandeurs d’emploi et pas sur les salariés déjà en poste).
Deux autres invités (parmi d’autres) avaient une plus grande liberté de parole parce qu’ils ne représentent qu’eux-mêmes : le journaliste Laurent Joffrin et l’ancien Ministre de l’Industrie Alain Madelin.
Réflexion et indépendance d’Alain Madelin
Bien qu’étiqueté par beaucoup de monde comme de "droite libérale" (qu’il revendique du reste), Alain Madelin a des propos loin d’être dogmatiques car il est un homme qui connaît bien les entreprises et l’industrie. Les incrustations de messages courts de Twitter au cours de l’émission montraient d’ailleurs le décalage entre son image et son discours (l’un deux s’étonnait d’entendre venant de lui un discours de gauche).
Pourtant, le discours d’Alain Madelin est très ancien et déjà en 2007, il avait pris fermement position contre le principe de la TVA sociale, considérant que cela ne résoudrait rien, puisque ce serait toujours le salarié qui payerait ses charges sociales, plus par l’intermédiaire de son employeur mais par l’intermédiaire de sa consommation. Qu’en d’autres termes, les employeurs pourraient être contents (moins de charges) mais cela ne résoudrait rien en ce qui concerne la compétitivité. Ce qui est d’ailleurs étonnant, c’est que ce principe de TVA sociale, rejeté par Nicolas Sarkozy en 2007 puis adopté par lui le 29 janvier 2012, avait été également rejeté par la gauche socialiste en début 2012 et finalement adopté par elle le 6 novembre 2012 à la suite du rapport Gallois.
Alain Madelin ne cesse d’ailleurs de dire que l’essentiel n’est pas dans la baisse des coûts salariaux (comme le réclame le Medef), car une activité pérenne doit bien payer ses coûts de production qui sont ce qu’ils sont, mais dans l’innovation pour conquérir de nouveaux marchés. L’encouragement à innovation fait d’ailleurs consensus, tant dans la majorité actuelle que dans la précédente.
La liberté de ton d’Alain Madelin, qui n’a pas hésité à s’opposer aussi à sa famille politique d’origine (Valérie Pécresse, François Fillon, Nicolas Sarkozy, Henri Guaino etc.), n’est plus à démontrer et j’ai même l’impression qu’il "vieillit bien", se focalisant sur le cœur des enjeux économiques et devenu complètement étranger à la politique politicienne (il n’a plus de mandat parlementaire).
L’idée de Laurent Joffrin
Plus éclairante encore fut l’une des interventions du journaliste Laurent Joffrin. On imagine sans peine, mais peut-être suis-je mauvaise langue, qu’il a parfois attendu trop longtemps son taxi dans ses déplacements parisiens et qu’il avait sa petite idée comme on a un dada qu’on veut à tout prix placer.
Coupant la parole à l’un des autres invités, alors que l’émission se terminait, Laurent Joffrin a fait un peu de teasing pour obtenir le silence : il avait, lui, la solution pour réduire de …2 000 le nombre de chômeurs en France, sans que cela ne coûte un seul euro à l’État (on évitera d’ironiser sur l’impact pour les plus de trois millions de chômeurs).
Il a alors exprimé son idée supposée géniale : la profession de taxi est très réglementée en France et il y a un numerus clausus pour assurer un chiffre d’affaires minimum aux chauffeurs de taxi qui doivent d’abord investir beaucoup pour démarrer leur activité.
Son idée était donc d’augmenter très arbitrairement le numerus clausus, de deux mille taxis par exemple, ce qui ferait deux mille chômeurs en moins, en toute gratuité pour les budgets publics.
Les taxis, chasse gardée ou gisement d’emplois ?
Actuellement, il y a un peu plus de cinquante mille chauffeurs de taxis en France. La profession est régie par la loi n°95-66 du 20 janvier 1995 (ainsi que par le décret n°95-935 du 17 août 1995 et le protocole d’accord du 28 mai 2008). La première réglementation date de Léon Blum.
Certes, depuis longtemps, du Comité Rueff de 1959 à la Commission Gallois de 2012, de nombreuses missions avaient déjà proposé une plus grande ouverture de la profession, notamment pour supprimer les "situations acquises" qui se sont transformées en monopole.
Personne n’a vraiment répondu à cette suggestion car l’émission arrivait à son terme mais cette idée est très significative de l’incapacité de la classe politique à comprendre l’économie, qu’elle soit de droite ou de gauche.
Partager la pénurie ?…
Cette incompréhension s’est également retrouvée dans le Lundi de Pentecôte que le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin avait voulu faire travailler pour trouver un financement supplémentaire. Elle part d’une logique qui ne fonctionne plus depuis quarante ans, depuis la fin des Trente Glorieuses : celle qui voudrait que plus on produit, plus on vend, plus on augmente son chiffre d’affaires (et plus on enrichit l’État). Mais, le problème du chômage provient justement du fait que cette équation est "cassée" !
Le problème n’est plus de produire, le problème est de trouver un marché. Le raisonnement tenait lorsque la classe moyenne devait encore se développer et acquérir les biens de consommation nécessaires. Maintenant que le seuil est atteint, c’est le contraire qu’il se passe : les entreprises produisent trop, doivent réduire leurs stocks (qui coûtent cher) etc. car ils n’ont plus assez de clients. Ce n’est donc pas en produisant plus qu’ils auront plus de richesse, puisqu’ils n’ont déjà pas assez de clients.
Ce n’est pas en faisant travailler le Lundi de Pentecôte que les entreprises vendront une journée de plus. De même, ce n’est pas vendant le dimanche que les commerçant vendront plus. Ils vendront seulement mieux, c’est-à-dire qu’ils vendront plus que leurs concurrents qui n’ouvrent pas le dimanche. Mais globalement, ils ne vendront pas plus.
Pour les taxis, c’est la même chose. Il n’y aurait pas plus de demandes parce qu’il y aurait plus de taxis. Il y a un besoin et la question est de savoir comment les taxis répondent à ce besoin. S’ils sont peu nombreux, les clients devront attendre un peu plus longtemps que s’ils étaient plus nombreux. Mais il n’y aurait pas plus de clients s’il y avait plus de chauffeurs de taxi ! En somme, mécaniquement, cela réduirait le chiffre d’affaires des taxis actuels (que je n’ai pas vocation à défendre du reste, ceux-ci étant très capables de faire pression sur le gouvernement depuis des décennies).
Or, la profession de taxi ne s’improvise pas. Elle nécessite aussi un investissement continu dans l’outil de travail, à savoir la voiture, et aussi la licence très chère (une "autorisation de stationnement" qui coûte aujourd’hui 240 000 euros). Réduire la part du marché des chauffeurs de taxi, c’est réduire leur capacité de renouveler leur véhicule. Globalement, le marché ne changerait pas, mais pour un même nombre de clients, il y aurait plus de frais initiaux pour la profession. Personne ni gagnerait.
C’est en somme le même principe que la réduction du temps de travail : partager le travail avec des demandeurs d’emploi. Ce principe aurait fonctionné en 1999-2000 si les salaires étaient partagés également, mais comme c’était à salaire constant (ce qui fut heureux pour les salariés, évidemment), ce n’était pas viable économiquement. Cela dit, depuis une décennie, les salaires ont été quasiment gelés pour cette raison.
…Ou créer de la richesse ?
On ne réussira pas à réduire le chômage si on ne comprend pas qu’il faut d’abord augmenter la richesse globale du pays. Et pour cela, le seul levier efficace, ce n’est pas un redéploiement des taxes ou impôts (globalement, rien n’y changerait) mais de tout faire pour renforcer les investissements : recapitalisation des entreprises et investissement dans de nouvelles activités. Est-ce un paradoxe ? La robotisation des usines a engendré bien plus d’emplois qu’elle n’en a supprimé. L’Allemagne et l’Italie l’ont mieux compris que la France.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (5 février 2013)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
TVA sociale.
Le rapport Gallois sur la compétitivité.
Les investissements d’avenir.
Brevet unique européen.
(Première illustration : couverture de "Benoît Brisefer, les Taxis rouges" par Peyo, éd. Dupuis).
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