Entreprise et morale
Le capitalisme est-il moral ? Comment concilier morale et capital ? Quelles valeurs pour l’entreprise d’aujourd’hui ?
Capitalisme, mondialisation, quelles valeurs ?
" Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de différentes façons, ce qui importe, c’est de le transformer. " Karl Marx
Le capitalisme, la mondialisation, le libre-échange, des termes qui se sont ancrés dans le jargon quotidien de chaque citoyen du XXIe siècle. Toutefois cela ne va pas sans poser de problème aux intellectuels et aux philosophes de différentes nationalités et appartenances idéologiques ou géographiques. En effet, cette catégorie de penseurs associe la morale aux sujets étudiés. Il s’agit en l’occurrence du modèle capitaliste et mondialiste, qui ne saurait faire l’exception. Diverses questions, différents concepts, nouvelles polémiques, s’instaurent alors pour mieux étudier le phénomène. Le capitalisme est-il moral ? Ethique et morale d’entreprise. Markéthique, mouvement altermondialiste et bien d’autres phénomènes font la une des journaux. Il importe de s’interroger sur la nature de ces réalités. Ne sont-elles que des vues de l’esprit ? Sinon, quelles influences ont-elles sur l’économie ? Quelles sont les limites de ces réflexions face à un système qui ne recule pas devant une corruption des esprits ? Et surtout, s’agit-il toujours de réflexions utopiques - comme le projet communiste de réalisation de l’humanité comme communauté ou encore le slogan : Un autre monde est possible avancé par les altermondialistes ?
* Capitalisme et moralité
"Le capitalisme international, et cependant individualiste [...] n’est pas une réussite. Il est dénué d’intelligence, de beauté, de justice, de vertu, et il ne tient pas ses promesses. En bref, il nous déplaît et nous commençons à le mépriser. Mais quand nous nous demandons par quoi le remplacer, nous sommes extrêmement perplexes." Keynes
De prime abord, je suis tenté de répondre que le jugement n’est pas forcément malheureux. Il est indéniable que le capitalisme (modèle économique) et la moralité (modèle comportemental philosophique) ne se croisent pas, car ils ne sont pas fondés sur des valeurs universelles. Toutefois, les hommes qui constituent ce modèle économique doivent intégrer des valeurs afin de garantir une justice économique, une économie vertueuse, et pourquoi pas un capitalisme fondé sur le primat de la morale. Je me reposerai en ce premier temps sur quelques thèses d’André Comte-Sponville (philosophe contemporain, auteur de : Le capitalisme est-il moral ?). Il propose une nouvelle interprétation du capitalisme : comment concilier éthique, morale, et rentabilité, tel était le sujet de l’une de ses interventions au CEPI Management, le 17 mai 2005. Le philosophe avance la notion de markéthique qui est enfant des amours étranges entre marketing et éthique. Cette notion présente trois qualités : d’abord, pour la première fois, la vertu fait gagner de l’argent, puisque pour la première fois, devoir et intérêt pourront aller dans la même direction sans que cela ne cause de problème moral ; enfin le philosophe se réfère à la démonstration kantienne selon laquelle la morale est désintéressée par définition, car accomplir une action morale par intérêt ne saurait être moral, même si celle-ci ne trahit pas de règle morale. André Comte-Sponville juge que l’éthique de l’entreprise relève plutôt du management et du marketing que de la morale. Le capitalisme n’est pas, donc, immoral, mais amoral par son objectif, puisque son rôle se situe en dehors de la morale -l’entreprise n’a pas pour objectif de créer des emplois mais de réaliser le maximum de profits. Cependant il intègre volontiers la préoccupation morale si cela lui permet d’augmenter la rentabilité de ses opérations.
Mais il faut faire attention au capitalisme méprisant, car celui-ci se nourrit et se renforce de toute critique le concernant. Che Guevara, à titre d’exemple, était l’un des opposants au capitalisme ; il a exploité sa célébrité pour vendre des produits portant des photographies de lui ou son nom. Le capitalisme s’incarne alors dans une sorte de Léviathan, prêt à tout exploiter afin de survivre, quitte à menacer la vie des hommes. Il est comme un sphinx qui contraint les libertés lato sensu, et il faut se comporter avec lui diligemment et avec intelligence, comme Oedipe. Solution : donner à ce Léviathan un peu de morale afin qu’un humanisme soit pris en compte. Je laisse la recherche de solution aux markéthique et mouvement altermondialiste.
Je consacre ce second volet à la morale du capitalisme. Sans doute, le capitalisme ne peut-il échapper à la morale ; je laisserai la citation d’Adam Smith guider cette partie : "Ce n’est pas par générosité de coeur que le boulanger vend son pain à la ménagère à un prix que celle-ci peut supporter, mais parce que tel est son intérêt." C’est le principe de la main invisible du moraliste et économiste écossais. En clair, l’ensemble des intérêts individuels forment l’intérêt général. Ce principe est sans doute condamnable, mais ce quile range dans les aspects positifs du capitalisme, c’est qu’il permet une certaine coexistence entre les individus, sus forme de rapports fondés sur les intérêts particuliers. Il est le système le plus moral de tous. Certes, il permet aux riches de devenir encore plus riches, mais en améliorant les conditions sociales des plus pauvres, en leur attribuant, par exemple, un droit aux congés payés, aux allocations familiales, à la sécurité sociale, aux stock-options, outre les législations protectrices comme le code du travail. Même si, dans ce paragraphe, j’ai parlé de morale, il n’y a pas ici de morale au sens philosophique, car les comportements ne sont pas désintéressés, toutefois ils permettent d’instaurer une certaine justice économique.
Le capitalisme est alors amoral. C’est l’homme -capitaliste- qui peut le rendre moral. Ce système économique est le plus vertueux seulement par intérêt, ce qui explique que l’introduction des valeurs humanistes ne soit sans doute pas négligée. Alors, pour une fois, la morale pourra faire gagner de l’argent. Le markéthique n’est qu’une technique de marketing, mais sans doute humaniste. La seule préoccupation des managers, améliorer les valeurs des actions et satisfaire les actionnaires, peut entraîner une négligence de la morale, par exemple lors de licenciements massifs pour une augentation de la rentabilité, auxquels on commence à remédier par des plans sociaux. Or le système apparaît comme une intersection entre des intérêts personnels. C’est pour cela que le changer ou le combattre, c’est combattre les intérêts de tous. Mais une transformation s’avère prometteuse : un nouveau capitalisme peut naître ! Je laisserai s’exprimer le mouvement altermondialiste dans ce volet.
* Altermondialisme, et non antimondialisme
Le mot altermondialisme, apparu d’abord sous sa forme adjectivale, remplace le mot antimondialisme dont la connotation était péjorative pour des gens qui ne sont pas contre la mondialisation, mais plutôt pour une autre mondialisation, libérale, humaniste. Mais que signifie altermondialisme ? L’altermondialisation est un mouvement de la société civile aspirant à un système plus soucieux de l’homme et de l’environnement. L’altermondialisme est l’ensemble des concepts défendus par les partisans de l’altermondialisation. Les altermondialistes sont des gens qualifiés de généreux puisqu’ils revendiquent l’introduction de la fraternité et de l’équité dans les valeurs du système capitaliste. Pour eux, et avec raison, les lois définies par le seul marché ne suffisent pas à garantir le bien des hommes ; l’esprit d’équité et de solidarité est alors nécessaire, car ces lois ne peuvent définir de valeur morale.
Ce mouvement propose une perspective plus réformiste que révolutionnaire, plus altercapitaliste qu’antimondialiste. Une réforme, c’est peu dire. Je vois un nouvel Orphée qui essaie d’offrir une lumière humaniste intelligente, et ceci parce que ce mouvement croît et affirme qu’un autre monde est possible. Un monde dans lequel le progrès technique doit servir l’homme et protéger la nature. Les laboratoires pharmaceutiques, quand ils découvrent un nouveau médicament, ont pour premier souci d’en tirer profit, et non de savoir comment ce remède pourra être distribué dans les pays les plus pauvres. Le capitalisme ne connaît que la vente, l’incitation à acheter, la recherche du meilleur profit.
Nombreuses sont les demandes formelles et objectives des altermondialistes. A titre d’exemple, les altermondialistes exigent une certaine justice économique, l’autonomie des peuples, la protection de l’environnement, le respect des droit humains fondamentaux, et avancent des revendications démocratiques conditionnelles. Les altermondialistes cherchent à établir un ordre fort et stable. Ils appellent à l’instauration d’un réseau international notamment à travers des forums mondiaux comme le Forum social mondial, et aussi à l’établissement d’une mondialisation démocratique politiquement fondée sur un parlement mondial.
Leurs réalisations ne sont sans doute pas négligées. En 1990, des campagnes altermondialistes ont contribué à l’annulation d’une partie de la dette des pays les plus pauvres. La participation à la lutte antisida, ou encore la diffusion d’une culture humaniste qui appelle à considérer l’argent, les biens matériels comme des objectifs secondaires sont encore à leur actif.
Des critiques sont toutefois opposées à ce mouvement qui demeure très épars. En effet, en démocratie, une minorité locale ne peut intervenir pour changer l’ordre politique. Le caractère utopique de l’altermondialisme pose aussi problème. Ainsi, nombre de politiciens, d’économistes capitalistes et de membres des think tanks reprochent au mouvement sa mauvaise analyse des données économiques, outre qu’ils dénoncent une forme de repli national. Enfin, « la capacité de la mouvance altermondialiste à proposer des solutions alternatives reste extrêmement limitée. » (Zaki Laidi, politologue français).
En gros, il s’agit de distinguer la morale, qui relève de l’ordre philosophique, de l’économie, qui relève de l’ordre technicoscientifique. Certes, la morale n’a pas de place dans un système capitaliste qui paraît tantôt moral, tantôt immoral. Le capitalisme est plutôt amoral. L’économie est limitée par la politique, sous forme de loi limitée à son tour par la morale. Et inversement, la morale a pour objet le bien de la cité régie et réglementée par la politique, qui s’adapte aux besoins du marché. La politique est locale, et propre à chaque pays. La mondialisation vise le marché unique. Reste à faire en sorte que rapports économiques et rapports humains fassent bon ménage, car finalement plus d’éthique permet plus de ventes. D’où une nouvelle dimension au principe de l’économiste Adam Smith, une nouvelle dimension au principe de la main invisible où la somme des intérêts personnels, des intérêts économiques et politiques peut définir un intérêt commun, même en faveur des plus démunis et des plus pauvres sur le plan international. L’homme n’a pas besoin d’un mouvement quelconque pour devenir bon ; « Nul n’est méchant volontairement », disait si bien Platon. Reste à lui enseigner la vertu.
Anas Najibi
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