Entreprise LFoundry, la fin de la Silicon Vallée Européenne à la Française ?
Entre Provence et Chine...
On peut lire ce jeudi 26 décembre 13 dans La Provence :
« Le Tribunal de commerce de Paris a prononcé ce jeudi la liquidation judiciaire de LFoundry, l'entreprise de microélectronique basée à Rousset, près d'Aix-en-Provence. »
Un délai supplémentaire de trois mois a été accordé sur pression du Ministre Montebourg afin de trouver un repreneur éventuel.
L’annonce nous interpelle d’autant plus qu’il s’agit là d’un secteur de pointe, microcontrôleurs et circuits pour carte à puces, mémoires, fonte et gravure sur disque silicium, qui plus est d’une entreprise allemande et qu’il y a 690 emplois hautement qualifiés à la clef !
Une rapide revue de presse sur le net nous montre que l’affaire n’est pas si simple qu’il parait et que la Crise n’explique pas tout. Essayons de dérouler le fil d’Ariane.
On apprend dans « Le Parisien » que le site actuel du Rousset, près d’Aix en Provence, a été racheté en 2010 par l’Allemand LFoundry à l’Américain Atmel pour un euro symbolique avec un carnet de commande assuré pour quatre ans. Wikipedia précise que le fabricant américain de semi-conducteurs, issu de la Silicon Valley, à lui-même racheté cette unité du Rousset à la société European Silicon Structures (ES2) en 1995. L’usine du Rousset est alors la plus technologiquement avancée du groupe Atmel.
ES2 a été créé en 1985 sur le modèle des start-up américaines et se veut novatrice, européenne et transnationale. A tel point que même le New York Time lui consacre un article dithyrambique dans son supplément économique du premier aout 1988 :
http://www.nytimes.com/1988/08/01/business/chip-maker-without-a-country.html?pagewanted=all&src=pm
Il écrit en conclusion : 'ES2 was conceived like European operations of U.S. companies, except there were no U.S. companies behind it,'' said Mr. Volkholz of Philips, who sits on ES2's board. ''It's European.''
1985, 1995, 2010, 2013 liquidation , c’est donc l’histoire d’une lente descente aux enfers qui s’écrit là.
Mais des points obscurs restent encore à éclaircir : d’où vient cette structure européenne ES2 surgie en 1985 dans le paysage provençal ?
Dans l’article précédent de Wikipedia on découvre que le site de Rousset s’inscrit dans un ensemble régional Arcsis organisé autour de la filière microélectronique ; le site d’Arcsis décrit ainsi sa vocation :
« Imaginée et créée en 1993, sous le nom de CREMSI, par les acteurs de la filière microélectronique régionale, ARCSIS n'a jamais cessé d'enrichir ses domaines d'intervention pour mieux répondre à l'évolution de leurs besoins. Elle réunit 6 grands groupes, Atmel, Gemalto, LFoundry, STEricsson, STMicroelectronics, Texas Instruments, plusieurs dizaines de PME ainsi qu'une quinzaine d'écoles, laboratoires de recherche et universités de la région. De plus, ARCSIS est à l'origine de la création du dispositif CIM PACA (Centre Intégré de Microélectronique PACA) et de ses trois plates-formes, CIM PACA Caractérisation, CIM PACA Conception et CIM PACA Micro-PackS. »
On découvre donc l’existence d’une filière régionale organisée, une silicon vallée française mais ses origines restent encore indéterminées.
C’est une publication du site Persée, Portail de revues en sciences humaines et sociales, référencée « Daviet Sylvie. Micro-électronique en Provence. Une redéfinition de l'industrie par le territoire. In : Méditerranée, Tome 92, 3-1999. Redéfinir l'industrie. Colloque d'Aix-en-Provence les 28 et 29 mai 1998. pp. 33-40. » qui viendra apporter la touche finale à cette reconstitution du drame économique et social en cours.
Le premier maillon de la chaine a été l’implantation en 1979 de Eurotechnique avec un partenariat entre le groupe Saint Gobain et le Californien National Semi Conductor désirant s’implanter en Europe. Saint Gobain est majoritaire à 51% mais le modèle et les technologies sont californiens.
Le choix de cette implantation tient alors à l’existence de la centrale électrique alimentée au charbon de la mine de Gardane fortement rentabilisée suite au choc pétrolier de 1973. Il y a aussi la volonté de dynamiser une région plus excentrée connaissant par ailleurs un déclin relatif. Le centre français de recherche dans ces technologies, le LETI (laboratoire d’électronique et des technologies d’information) est alors installé depuis 1967 à Grenoble dans le giron du CEA.
Après les nationalisations de 1982, Eurotechnique est repris par le groupe nationalisé Thomson puis au gré des privatisations et des restructurations diverses deviendra Thomson-SGS puis ST-Microelectronics comme le montre l’organigramme de S.Daviet.
ES2 est créée en 1985 par une équipe de cadres issus d’Eurotechnique et de Thomson ; Gemplus sera créée trois ans plus tard par des ingénieurs de Thomson et exploitera le brevet des cartes à puces du français Roland Moreno (brevet déposé en 1974). Le secteur bénéficie alors d’aides massives des collectivités publiques et de fonds européens ce qui favorise l’arrivée d’importants investissements et la création de tout un réseau de PME et de sous-traitants divers.
La Silicon Vallée provençale se met alors en place ainsi que la Route des Hautes Technologies d’ Aix à Sofia-Antipolis.
L’ouverture complète des marchés après le traité de Maastricht en 1992 et la crise de 1993 vont déséquilibrer un secteur, par ailleurs, nécessitant des évolutions permanentes et de lourds investissements de Recherche et Développement (R&D).
ES2 est alors reprise en 1995 par le groupe américain Atmel qui va consacrer les investissements nécessaires en R&D. Atmel va profiter également des synergies de la filière ARCSIS et de collaborations avec le CEA-Leti pour des domaines de pointe. Alors pourquoi cède-t-il le site du Rousset en 2010 pour un euro symbolique à l’allemand LFoundry, lui-même en difficulté financière ?
La réponse est certainement donnée par le directeur d’Atmel France questionné par un journaliste du site L’Usine Digitale en novembre 2013 :
« Vous faites maintenant appel surtout à des fondeurs en Asie pour fabriquer vos puces, pourquoi ? Est-ce que le gain est si important par rapport une fabrication de LFoundry ?
Oui, comme presque tous les autres fabricants de semi-conducteurs dans le monde. D’autres fonderies proposent de meilleures technologies, performances, prix, réactivité et autres termes contractuels. LFoundry n’a jamais proposé ni une offre ni une performance compétitive. »
En 2010, Les investissements précédents ont été largement amortis, les technologies de R&D sont acquises ; Atmel n’ a plus voulu investir sur le site et a jugé plus rentable de le faire sur des sites asiatiques. Il a alors proposé ce rachat symbolique par LFoundry avec un plan de charge sur quatre ans accepté par les différentes parties puis réduit à trois ans jusqu’en 2013. Atmel a fait ainsi l’économie d’un plan social et allègé sa structure.
Le rôle exact du fondeur allemand est plus ambigu car il s’avère que LFoundry connaissait déjà des difficultés financières en 2010 ; a-t-elle voulu se sauver au détriment du site du Rousset ? Atmel et LFoundry ont-elles programmé dès le départ cette mise en faillite du site ?
Il est difficile d’avoir des certitudes. Quoiqu’il en soit deux procédures ont été engagées :
- L’une par les administrateurs judiciaires de Lfoundry contre Atmel dénonçant sa responsabilité dans la faillite de LFoundry et une confusion de patrimoine entre les deux entités ; ces poursuites sont évoquées dans le site L’Usine Digitale .
- L’autre contre LFoundry, « pour abus de biens sociaux, à la suite d'une plainte de la CFDT et du CE qui soupçonnent le détournement de 21 millions d'euros de la filiale française vers le groupe allemand », comme le relate « Le Parisien ».
Cette triste histoire montre toute la difficulté des secteurs des Hautes technologies dans la mondialisation dérégulée : il faut maintenir des investissements de R&D et de fabrication très importants alors que des transferts de technologie et des délocalisations risquent de les rendre inopérants.
Les coopérations et les synergies transnationales sont donc indispensables pour limiter les coûts mais il faut veiller alors à contrôler les capitalisations boursières pour éviter les captations de technologies comme cela s’est fait pour l’entreprise Gemplus qui a vu ses technologies de cryptage contrôlées par l’actionnaire américain TPG (agissant pour le compte du fond In-Q-Tel géré par la CIA comme le rapporte Wikipedia).
La filière micro-électronique provençale est elle pour autant en danger ?
Sur le site du Conseil Général de Provence on peut lire : « Les poids lourds de la puce sont en Provence » mais sur les trois entreprises citées, STmicroelectronics, Atmel et Gemalto (ex Gemplus), l’une est déjà en liquidation ; Gemalto a comme actionnaire majoritaire le Fond stratégique d’investissement de l’Etat français mais c’est une société de droit néerlandais et son siège est à Amsterdam ; STmicroelectronics est également une société de droit néerlandais dont le siège est à Genève, son actionnariat majoritaire est contrôlée par une holding franco-italienne (comprenant Areva et France telecom). Elle a déjà fortement investi en Chine dans des technologies existant sur les sites français de Grenoble et du Rousset. Il n’est pas certain que dans un proche avenir la France puisse conserver ces deux sites ; celui de Provence serait alors le plus menacé car Grenoble est un pôle de recherche plus important avec le CEA et le CNET-Orange Lab.
La filière provençale devra donc faire preuve de beaucoup de créativité et devra bénéficier de fortes solidarités publiques si elle veut pérenniser ses activités.
Cette étude nous rappelle au passage que la France n’a pas su conserver les grands groupes industriels issus des Trente Glorieuses tels la CGE, Alcatel, Thomson, Aérospatiale … qui se sont dilués dans les alternances nationalisation-privatisation ou dans les exigences européennes de concurrence libre et non faussée.
S.Daviet introduit son étude par « La dimension territoriale apparaît ainsi comme un des éléments constitutifs du processus industriel et de sa dynamique. » mais elle la termine avec la phrase : « la pratique des industriels repose désormais sur une dialectique ancrage/mondialisation. »
Les entreprises naissent et se développent sur un territoire, les usines sont elles condamnées à disparaitre ensuite dans de lointaines délocalisations ? La mondialisation nous impose-t-elle alors d’inventer toujours de nouvelles usines pour de nouveaux concepts en une folle course sans fin pour les coûts les plus bas ?
La transition énergétique et l’inévitable transition sociale et démocratique à venir nous imposeront une régulation cohérente des échanges suivant des modèles déjà analysés par nombre d’économistes.
Il serait sage de ne plus attendre trop longtemps.
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