Est-il encore possible de réformer notre formation professionnelle ?
Le drame de la formation professionnelle tient à ce qu’elle ne se voit pas. A la différence des bâtiments, des machines ou des logiciels, la formation est un service dont beaucoup pensent pouvoir se passer depuis des années sans conséquences pour le pays ou les organisations. Ainsi depuis les années 90 les entreprises ont-elles très souvent réduit au maximum leurs services formation au profit du front office plus visible et sensible pour le client ou le public (un service d’accueil surdimensionné semble plus important qu’un service formation avec des moyens humains).
Prétextant de la non visibilité de la formation notre pays s’est depuis des années payé de mots, multipliant les déclarations d’intention mais se révélant incapable de déployer formation et information professionnelle vers tous les salariés.
De commissions en rapports (pas moins de 25 rapports en 5 ans) d’études en enquêtes, de constats désabusés en articles savants, notre pays depuis dix ans ne parvient pas à modifier sa donne éducative : toujours plus pour l’éducation initiale et sinon une pente naturelle et irrésistible vers les plus salariés les plus qualifiés. La formation demeure incapable de jouer son rôle d’école de la « seconde chance » et de rendre les hommes « éducables à tout âge » comme l’avançait Condorcet il y a deux siècles.
De plus notre promotion sociale et professionnelle s’est réduite d’années en année, les entreprises pouvant facilement recruter dans le vivier infini de jeunes diplômés, tout en oubliant à leur poste de travail la grande majorité des autres salariés, considérés comme un main d’œuvre interchangeable et sans grand avenir professionnel.
Pourtant plus personne ne peut attendre un emploi à vie dans la même organisation, les vies professionnelles seront de plus en plus heurtées, faites de cheminements divers et de reconstructions et nous devrons être capables de nous orienter, d’apprendre, de désapprendre, de ré-apprendre tout au long de notre vie.
Nous vivons dans une société bloquée et fermée, très bien décrite par la commission Attali en 2008 (« La France reste très largement une société de connivence et de privilèges. L’État réglemente toujours dans les moindres détails l’ensemble des domaines de la société civile, vidant ainsi le dialogue social de son contenu, entravant la concurrence, favorisant le corporatisme et la défiance. Alors que notre époque requiert du travail en réseau, de l’initiative et de la confiance, tout se décide encore d’en haut, tout est contrôlé dans un climat de méfiance générale ») les plus qualifiés disposent des connaissances, des moyens, des capacités de se former, les autres sont laissés seuls avec un Droit à la Formation complexe, lourd et très difficilement réalisable.
Comment sortir de ces blocages et conformismes ? Comment échapper aux sempiternelles lamentations et incantations (il faut donner plus à certains) ne plus nous payer de mots et adopter des décisions qui permettront effectivement de restaurer l’équité éducative dans le monde du travail ?
L’Agence pour la Formation Tout au Long de la Vie, organisme de formation et de conseil aux entreprises, spécialiste depuis 2006 du déploiement du DIF et de l’orientation professionnelle, propose dix mesures simples et radicales à adopter d’urgence pour reconstruire notre formation professionnelle continue.
Les 10 propositions AFTLV pour reconstruire la formation professionnelle
- Déployer la sécurisation professionnelle des salariés du secteur privé en instituant un Compte Epargne Formation (CEF) abondé annuellement par les entreprises, intégralement provisionnable et transférable tout au long de la vie (y compris à la retraite)
- Abandonner l’obligation légale pour les contributions patronales. La seule obligation devant perdurer étant celle de former chaque salarié tous les ans. Les contributions formation ne doivent non plus varier selon la taille des entreprises et être utilisées pour former tous les salariés, tous les ans selon leurs besoins.
- Favoriser fiscalement les sociétés qui généraliseront le Droit à la formation (DIF) de leurs salariés car c’est bien le poids des charges qui empêche de nombreuses organisations de réunir les budgets pour former.
- Réaffirmer la co-responsabilité Employeur-Salarié dans le développement des compétences et le maintien de l’employabilité. Obliger les employeurs à motiver un éventuel refus DIF et à proposer régulièrement des formations DIF (abandonner les salariés sans conseil ni soutien reviendrait à freiner son déploiement)
- Doubler et financer annuellement les Droits à la Formation de tous les travailleurs précaires : Saisonniers, Intérimaires, salariés en CDD, temps partiels subis, contrats aidés..
- Dessaisir les OPCA de la collecte et de la gestion des fonds destinés au Droit Individuel à la Formation (DIF). Le DIF doit être géré par un seul organisme public unique avec des procédures simplifiées et en ligne de mise en œuvre.
- Permettre aux Comités d’entreprise de distribuer des titres formation et les former à leur nouveau rôle d’accompagnement et d’orientation professionnelle
- Instituer une égalité de traitement entre les organismes de formation en mettant en place un taux unique de TVA à 5,5 % pour toutes les organisations (y compris les chambres de commerce, l’AFPA ou les Greta)
- Mettre en place via Internet un système de notation et de réputation pour les organismes de formation. Abandonner le système inadapté et poussiéreux de certification et de normalisation
- Casser le monopole des grands organismes de formation (86 % des formations dans les très grandes entreprises sont réalisées par un seul organisme !) en obligeant toutes les entreprises à confier au moins 50 % de leurs actions de formation à des PME.
D Cozin
Auteur des ouvrages « Histoire de DIF » et Reflex DIF publiés tous deux aux éditions Arnaud Franel
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