Et si les ressources du Quantitative easing allaient à une agence européenne d’investissement ?
« Dans le cadre de notre mandat, il n’existe pas de restrictions quant au choix des instruments que nous utiliserons », a dit Mario Draghi le 14 Décembre dernier lors d’un discours à Bologne. Chiche !
Aussi expansionniste soit-elle, la politique monétaire de la Banque Centrale Européenne semble avoir atteint ses limites dans le contexte macro économique actuel de la zone euro. L’institution monétaire de Francfort a beau avoir réalisé ses deux principaux objectifs implicites, à savoir la dépréciation du taux de change de l’euro et la baisse des taux d’intérêts réels, ces deux leviers se révèlent inefficaces pour transmettre les effets de ses actions monétaires à l’économie réelle afin de faire remonter les anticipations d’inflation. En témoigne le niveau d’investissement productif des entreprises qui, en dépit d’une relative amélioration de la profitabilité, ne se redresse pas. Le canal du crédit peine à être stimulé et les effets de l’inflation importée restent peu sensibles.
Cette situation traduit en réalité l’insuffisance chronique de la demande agrégée en Europe. Dans un tel contexte, taux de change et taux d’intérêts n’influencent guère la décision d’investir des entreprises et des ménages, le manque de visibilité cristallise la situation.
Changer de méthode
Pour remédier à cette situation, une politique budgétaire digne de ce nom combinée aux efforts de la BCE est indispensable. Autant qu’impossible ! Pacte de stabilité oblige, les pouvoirs discrétionnaires en matière budgétaire sont désormais hors du champ de la délibération parlementaire ordinaire. Les Etats donnent la priorité au respect des règles budgétaires et profitent des conditions de financement avantageuses pour se désendetter.
Face à cette impasse, la mise en place d’une agence européenne d’investissement qui financerait des services publics, des infrastructures matérielles mais aussi la recherche et développement et des projets environnementaux (transition énergétique par exemple) prendrait tout son sens. Progressivement, les ressources du Quantitative Easing basculeraient du rachat de titres souverains vers le rachat de titres de dettes de l’entité ad hoc en question, qui pourrait aussi contribuer à la diversification de la structure de financement des PME.
Dans cette perspective, il faudrait que le Conseil des gouverneurs de la BCE prenne les mesures nécessaires pour garantir le succès des émissions obligataires de l’agence. Il pourrait très bien décider par exemple d’intégrer ces titres à la liste des collatéraux éligibles pour les opérations de refinancement à son guichet. Ce qui inciterait les opérateurs bancaires notamment à les souscrire en masse.
Il faudrait aussi lever les restrictions quantitatives que la BCE applique dans le cadre du Public Sector Purchase Program, et qui concernent l’encours des titres de dettes des « institutions européennes », telles que la Banque Européenne d’Investissement, plafonné à 12%. D’ailleurs pourquoi ne pas faire évoluer la BEI et l’associer à la BCE ? Pour Joseph Stiglitz cette option « paraît bonne », tout en précisant qu’on pourrait « imaginer utiliser aussi d'autres institutions ou d'en créer de nouvelles ». Les deux solutions paraissent donc pertinentes, à la différence près que l’on pourrait profiter de la création d’une nouvelle agence pour instaurer un mode de gouvernance nouveau, incluant divers acteurs dans les processus de prises de décisions rompant ainsi avec la perception trop technocratique des institutions européennes.
Une telle entité serait donc en mesure de relancer l’investissement global en soutenant la demande agrégée, sans aggraver la dette publique et privée, sans créer de bulles spéculatives et sans accroître les inégalités. Ne serait-ce pas aussi une excellente occasion pour la BCE d’affirmer son indépendance vis-à-vis des marchés financiers ? Avec à la clé des retombées positives sur les opinions publiques qui en ont tant besoin…Pour finir, la réussite de cette stratégie présuppose aussi la question du développement du marché domestique allemand, qui devra s'efforcer à employer ses excédents à bon escient pour dynamiser la demande en zone euro...Ce fléchissement paraît malheureusement autant improbable qu'un changement de stratégie faisant office d'aveu d'échec implicite de la BCE.
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