Et si on s’en sortait ... par le haut !
Depuis des semaines nous sommes submergés d’annonces et de commentaires sur la “nécessaire rigueur” qui va nous permettre de surmonter la crise de la dette.
En somme, pour parodier Danton, “il nous faudrait de l’austérité, encore de l’austérité, toujours de l’austérité et la France serait sauvée” !
Qui peut croire à l’issue positive d’un tel programme ? Une récession sans doute, une révolte populaire ce n’est pas exclu, un redémarrage certainement pas.
Une purge à la Molière en somme ! Sans même être assurés de “mourir en bonne santé” !
Bref une sortie … par le bas.
Si nos politiques connaissaient l'entreprise, ils sauraient que, face à une crise, un dirigeant s'appuie sur 3 leviers : faire rentrer l'argent, réduire les dépenses, particulièrement les frais généraux, et investir de façon sélective pour se développer.
Aucun ne se contenterait de simplement couper dans les dépenses car l'expérience montre que cela ne fonctionne tout simplement pas.
Mais voilà, nos dirigeants ne sont pas des hommes d'entreprise.
Ceci est d'ailleurs un problème dont je reparlerai ultérieurement.
Il est vrai que l'expérience d'un fonctionnaire (fût-il "haut"), d'un enseignant (fût-il du "supérieur"), d'un avocat ou d'un médecin (fût-il spécialiste) ne prédispose pas à avoir les bons réflexes face à une crise qui n'est pas (encore) une crise politique mais une crise économique et financière.
Moralité : aucun plan global susceptible d'engendrer de l'espoir pour le futur. L'austérité semble être le seul programme, à droite comme à gauche d'ailleurs.
Or il existe des alternatives et cet article a la prétention de le démontrer.
Remarquons pour commencer que cette crise est essentiellement une crise de confiance des "marchés" vis-à-vis de la France (c'est d'elle que je me préoccupe, même si leur défiance est généralisée à l'ensemble de l'Europe). Le risque à court terme n'est donc pas celui d'une faillite, d'un dépôt de bilan, mais celui d'un renchérissement de nos emprunts. Lesquels sont, pour encore quelques semaines, notés AAA (le déjà fameux "triple A"), c'est à dire garantis sans risques pour le prêteur, et donc consentis à des taux avantageux.
Perdre cette notation est grave, bien sûr, mais - comme pour les tranches d'impôt - le fait de changer de taux s'applique aux nouveaux emprunts et non aux anciens. Nos intérêts ne vont donc pas enfler immédiatement de façon insupportable.
D'ailleurs ils ont déjà augmentés, les différents "avertissements" lancés récemment et régulièrement par les agences de notation valent dégradation ...
Contrairement à ce qu'on nous serine, nous avons encore le temps de la réflexion afin de construire un plan cohérent et complet comportant des actions de fond sur les 3 axes :
- faire rentrer l'argent dû,
- couper dans les dépenses improductives,
- continuer à investir, mais de façon plus sélective.
La première priorité de notre dirigeant d'entreprise, cherchant à regagner la confiance de son banquier, serait de faire rentrer l'argent dû par les clients. D'ailleurs, s'il s'agissait d'un dirigeant sérieux, il n'aurait certainement pas attendu les sommations de son banquier pour le faire rentrer. Mais passons ...
En l'espèce nos dirigeants doivent accélérer la lutte contre la fraude. Car, même s'ils l'ont déjà intensifiée ces dernières années, les gisements sont encore prometteurs. Ainsi, une récente enquête du Point, bien documentée, rappelle que la fraude sociale est estimée à 20 milliards € (alors que le déficit de la sécurité sociale est de 25 milliards €) et la fraude fiscale à 40 milliards € (alors que le déficit budgétaire est de 95 milliards €). Et encore ces montants sont-ils probablement sous évalués.
S'en prendre publiquement à la fraude sociale (comme l'a fait récemment Nicolas Sarkozy) est donc légitime, mais ne doit pas occulter la seconde, la fraude fiscale, 2 fois plus importante.
Autrement dit traquer les pickpockets oui, mais s'attaquer avec une égale détermination au grand banditisme que représentent les opérations à tout le moins opaques, probablement à la limite de la légalité, voire totalement illicites, que nos stars du CAC 40 (France Telecom, Renault, GDF Suez, EDF) réalisent dans les paradis fiscaux. Voyez à ce sujet l'excellent article, également bien documenté, d'Alternatives Économiques.
En parallèle notre dirigeant d'entreprise responsable analyserait les dépenses et couperait sans hésiter dans les dépenses improductives : les frais généraux, les frais "corporate" (c'est à dire d'état-major), ...
Or l'entreprise "France" a des charges "corporate" bien trop importantes, dues à l'empilement des niveaux de commandement (commune, communauté de communes, département, région, État ; j'en oublie peut-être !). A chaque niveau ses présidents, ses secrétariats, ses palais (parfois somptueux), ses flottes de voiture de fonction, etc. Un système pléthorique pour lequel Jacques Attali, dans son rapport remis en grande pompe au Président de la République en janvier 2008 (Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française), avait des propositions intéressantes, allant dans le sens d'une simplification de l'organisation territoriale (ex. supprimer l'échelon départemental).
Certes il y a bien une mission interministérielle pour la réforme de l'organisation territoriale dans le cadre de la RGPP (Révision Générale des Politiques Publiques). Mais que sont devenues ses propositions et promesses d'économies ? Où sont les résultats ?
Parmi les "frais généraux", on peut, même si cela peut paraître "populiste", pointer du doigt les systèmes et avantages divers de notre personnel politique. Sachez que la France est un des rares pays où les élus du peuple ont des indemnités forfaitaires de frais (pour lesquels ils n'ont donc pas de justification à donner). Les dépenses correspondantes sont sans doute plutôt symboliques (rapportées à notre endettement abyssal). Mais lorsqu'on traque les dépenses improductives on le fait complètement ! A défaut de faire de grosses économies, on donne un signal fort au citoyen.
Autre exemple : simplement prendre en compte les gaspillages relevés chaque année par la Cour des Comptes permettrait d'épargner des milliards € totalement improductifs.
Notre dirigeant d'entreprise responsable essaierait également de réduire son train de vie, c'est à dire trouver des solutions moins coûteuses pour poursuivre les opérations, voire à réduire ces dernières lorsque l'entreprise n'a plus les moyens suffisants.
Un seul exemple d'un train de vie que nous ne sommes plus en mesure d'assurer : les dépenses liées à notre Défense Nationale.
Nous sommes désormais une puissance intermédiaire. Or notre système de défense est celui d'une grande puissance (porte-avions et sous-marins nucléaires, avions de combat hyper-sophistiqués Rafales, etc.).
Il urge de prendre en compte la disparition de notre empire colonial, la fin de la guerre froide et autres changements stratégiques intervenus ces 50 dernières années !
L’Europe, si la volonté politique existait (mais elle n'existe pas encore), serait certainement la grande (voire l'hyper) puissance susceptible de financer une armada militaire comprenant porte-avions et sous-marins nucléaires de la classe des Charles de Gaulle, Redoutable, Rubis, etc.
Or, en 2010, le projet lié à la Défense prévoit de dépenser 185,9 milliards € sur 5 ans (2009-2014) dont 101,9 milliards dans l'équipement. C'est du pur délire dans la situation où nous sommes !
Le seul coût d'entretien du porte-avions nucléaire Charles de Gaulle est évalué par le très sérieux Comité des Prix de Revient des fabrications d'Armement à près de 8 milliards € pour sa durée de vie (35 ans).
Certes, me direz-vous, mais ces équipements existent maintenant. Qu'en faisons-nous ?
Je réponds sans hésiter : désarmons-les, économisons au moins leurs énormes coûts de fonctionnement, en attendant des jours meilleurs pour une Défense européenne.
Et, surtout, ne sortons pas des cartons le projet de 2ème porte-avions (car il existe, même si personne n'en parle actuellement).
Passons au volet "développement".
Que ferait notre dirigeant d'entreprise avisé ? Il ferait l'analyse objective de ses produits et de ses marchés, de ses atouts et de ses faiblesses. Ça s'appelle l'analyse stratégique.
Après quoi il ferait des choix et concentrerait ses ressources sur le développement des marchés sur lesquels il est bien positionné et des marchés prometteurs et se donnerait les moyens d'y réussir.
Au lieu de quoi nos dirigeants ont dépensé, par exemple, un milliard € pour la prime à la casse automobile. Laquelle prime a fortement encouragé l'achat de petites voitures produites, pour l'essentiel, hors de France, pesant négativement sur la balance commerciale.
Pour quel résultat ? Un effet d'aubaine pour les acheteurs qui ont anticipé sur le renouvellement de leurs équipements vétustes ? De meilleurs résultats pour Renault, Peugeot et consorts et donc davantage de dividendes pour leurs actionnaires ?
Et on remet cela avec une prime à la casse des chaudières !
Sont-ce là des investissements qui préparent l'avenir ?
Quels sont les atouts de l'entreprise "France" ?
De nombreuses études s'y sont intéressées, de nombreux livres ont été publiés. Quels dirigeants s'en prévalent ?
Au contraire, le discours dominant est un discours "décliniste".
Ainsi par exemple, en 2007, le Conseil d'Analyse Économique souligne que "la France se distingue par la qualité de sa main d’œuvre et de son savoir-faire ; par la qualité de ses ingénieurs et techniciens ; par la qualité de ses chercheurs notamment dans les sciences (mathématiques, physique, chimie, médecine, biologie)".
On peut également citer la productivité horaire (sait-on que le travailleur français est le plus efficace au monde par heure travaillée ?), la qualité des infrastructures de transport.
La France est également en excellente position dans l'automobile, l'aéronautique, le luxe, le tourisme, l'agro-alimentaire, l'énergie par exemple.
Bâtir une véritable politique de développement pour la France est évidemment complexe. Je ne prétends pas le faire dans le cadre de cette réflexion.
Néanmoins il y a quelques pistes que je veux évoquer ici, et que je développe dans la suite de l'article.
- Nous appuyer, en le modernisant, sur le "modèle" français.
- Mettre fin à la fuite des cerveaux.
- Refonder notre fiscalité.
La première est de nous appuyer, en le modernisant, sur le "modèle" français qui nous a permis, après les destructions de la 2ème guerre mondiale, de rebâtir le pays, de l'engager dans une forte période de croissance (les "Trente Glorieuses").
Il fait partie de notre ADN.
Il est de bon ton, depuis quelques années de le critiquer, de lui imputer même notre déclin. Au point de vouloir lui en substituer d'autres au gré des événements et changements de conviction de nos politiques (actuellement le modèle allemand a le vent en poupe, mais il y eût auparavant le japonais, le suédois ...) !
Mais notre "modèle", tout français et, par conséquent, suspect, soit-il ne peut-il pas nous donner quelques éléments intéressants ?
Examinons-le.
L'une de ses caractéristiques est le rôle central de l’État en matière de planification économique et d'innovation (c'est lui qui prend en charge le risque).
Or, si nos politiques sont prompts à entonner des antiennes qui sonnent agréablement à nos oreilles ("acheter français" ou "produire français") je ne sache pas qu'ils nous expliquent comment ils comptent s'y prendre.
Pour ma part j'avance l'idée que l'innovation est l'un des leviers majeurs pour y parvenir. Pour cela il faut une stratégie et des moyens.
La stratégie : continuer à développer les secteurs où nous sommes parmi les leaders (secteurs en croissance, tels que transports, agro-alimentaire, luxe, espace, etc.) en nous appuyant davantage sur les PME (notamment les Établissements de Taille Intermédiaire - ou ETI de 250 à 5000 personnes) et investir dans des secteurs émergents où nous n'avons pas encore une forte position (nano et bio-technologies, énergies renouvelables par exemple).
Les moyens : 1) multiplier les contrats de recherche appliquée entre l'Université et les entreprises ou à travers un Ministère de l'Innovation et de l'Industrie (un MITI japonais à la française) 2) mise à disposition de ces ETI de toute la logistique de promotion de la marque "France" existant déjà dans les représentations diplomatiques. Une réorientation du secteur bancaire dans le cadre d'un service public de l'énergie financière, tel que je l'ai décrit dans un précédent article serait certainement un atout supplémentaire.
La modernisation consisterait, par exemple, à décentraliser ces aides dans les régions plutôt que de les centraliser comme ce fut le cas pour le TGV, le nucléaire, le Concorde, etc. Ainsi la prise de décision serait-elle proche du terrain, une émulation entre les régions rendrait certainement le dispositif plus dynamique.
Nous pourrions alors passer d'une "économie de la demande" (c'est à dire stimulant le pouvoir d'achat, ce qui a pour conséquence d'accroître les importations et le déficit commercial) à une "économie de l'offre" (c'est à dire stimulant la créativité des entreprises et les incitant à vendre sur les marchés étrangers).
C'est ce qui assure les performances actuelles à l'exportation de l'Allemagne.
Je propose qu'on examine toutes les aides accordées aux entreprises à l'aune de leur intérêt stratégique. On constatera que la plupart n'en ont aucun, créant simplement des effets d'aubaine pour les entreprises les mieux organisées pour les capter (les grandes entreprises par exemple).
La deuxième levier consiste à mettre fin à la fuite des cerveaux. Cette notion reste un peu floue et la réalité qu'elle recouvre également. Il semble cependant que l'on assiste à une accélération de l'expatriation des chercheurs français et, surtout, que cette expatriation tend à devenir définitive, privant notre pays d'un retour sur l'investissement réalisé dans leur formation.
Si l'on y rajoute les effets potentiellement dévastateurs de la circulaire Guéant visant à réduire l'immigration professionnelle, on a là tous les ingrédients pour une baisse durable de notre potentiel de recherche et de création d'entreprise.
L'Institut Montaigne a consacré à la fuite des cerveaux une étude parue en novembre 2010, formulant 12 propositions pour y remédier. Elles me paraissent très intéressantes. J'y ajouterai l'abrogation pure et simple de la circulaire Guéant du 31 mai 2011. Elle cristallise sur elle les critiques de toutes les forces vives de la nation.
Inciter chercheurs et entrepreneurs à acquérir une formation complémentaire ou une expérience à l'étranger (notamment aux États-Unis) et à revenir exercer leurs talents au pays serait hautement profitable à notre économie. De même retenir les meilleurs étudiants étrangers formés dans nos écoles et universités, voire attirer des talents formés ailleurs, loin de créer du chômage serait source d'enrichissement pour la France.
Le troisième et dernier levier consiste à refonder notre fiscalité.
Ce sujet peut paraître austère, voire inaccessible à l'homme de la rue.
Or des économistes renommés, Camille Landais, Thomas Piketty, Emmanuel Saez, viennent d'y consacrer une étude réellement passionnante, aboutissant à la publication d'un ouvrage "Pour une révolution fiscale". Il est tout à fait à la portée d'un citoyen ordinaire (mais néanmoins vigilant !).
Je reviendrai plus longuement sur cette étude qui fait des propositions concrètes pour un impôt à la fois plus juste et plus efficace.
Cette étude concerne l'impôt sur le revenu des personnes physiques. Mais elle démontre (ce qui ne me semblait pas évident) que, en dernier ressort, ce sont bien les personnes physiques qui paient l'impôt et personne d'autre. Ainsi l'IS (Impôt sur les Sociétés) - qui représente 4,3% de la totalité des prélèvements obligatoires - n'est en fait qu'un impôt sur le capital, imputé aux propriétaires (actionnaires) et réglé par l'entreprise en leur nom.
Dans la mesure où il est proposé que les revenus du travail et ceux du capital soient imposés de la même manière (via un impôt de type CSG, mais progressif), alors l'actuelle anomalie qui fait que les PME paient 30% d'IS sur leurs bénéfices là où les grandes entreprises (par le biais des rabais divers et ... de l'évasion fiscale) n'en paient que 8% disparaîtrait d'elle même.
Je suis donc convaincu qu'une refonte de notre système fiscal est l'une des pistes prometteuses au service d'une économie tournée vers l'avenir.
Pour finir je proposerai volontiers que nos députés et sénateurs suivent, obligatoirement, une formation de type "Administration des entreprises" (ou Business Administration) afin qu'ils en comprennent mieux les ressorts. Voilà une mesure peu coûteuse qui permettrait à coup sûr un débat plus ... sérieux, dès lors que des décisions économiques sont en jeu.
Pourquoi pas alors une sortie ... par le haut ?
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