Euro : 20 ans d’un désastre économique
Il y a vingt ans, la monnaie unique européenne commençait à prendre la place du franc dans notre porte-monnaie. Cet anniversaire occasionne la publication de tribunes et autres papiers qui présentent sous un regard tellement flatteur l’euro que cela rappelle, pour ceux qui en douteraient encore, que l’UE et l’euro sont une religion. Le discours de leurs défenseurs n’est qu’un catéchisme orwellien si détaché de la réalité que ses moines-soldats parviennent à dire blanc quand ils voient noir…
Un Titanic qui n’a pas encore rencontré son iceberg
« La voix de la raison » : voilà comme Gaëtan de Capèle a titré son éditorial d’hommage à l’euro. Premier faux pas tant l’euro est un projet profondément déraisonnable économiquement. On pourra rappeler ici que la théorie économique a produit le concept de Zone Monétaire Optimale, qui décrit une zone apte à partager une même monnaie, comme le rappelait Maurice Allais, notre premier « prix Nobel d’économie » il y a 30 ans dans les colonnes du Figaro. Une telle zone doit donc présenter une grande homogénéité économique, un budget commun important, et une forte mobilité des travailleurs. Comme l’a pointé la campagne référendaire sur le traité de Maastricht en 1992, la zone euro ne satisfait aucun de ces critères : la zone est très hétérogène, jusqu’au niveau des salaires, le budget commun est dérisoire, et les mouvements des travailleurs sont 80% plus bas que ce existe aux Etats-Unis, qui a bien reculé.
Bref, depuis le début, le choix de l’euro est un choix déraisonnable économiquement, dont l’objectif était alors avant tout politique, notamment de la part de la majorité des élites de la France. D’une part, elles pensaient ligoter une Allemagne qui regardait davantage vers l’Est à notre pays. D’autre part, cela correspondait à l’agenda oligarchiste qui visait à défendre le pouvoir d’achat des plus riches, qui peuvent épargner ; faciliter la vie des multinationales au sein de la zone euro ; et, cerise sur le gâteau, sortir la gestion de la monnaie du cadre démocratique pour la confier à des technocrates prétendument indépendants, dont il était évident qu’ils mèneraient une politique conforme aux intérêts d’une oligarchie seulement inquiète de l’inflation, au contraire de la Fed, qui met l’emploi au même niveau que l’inflation…
Vingt ans après, le bilan est assez calamiteux. Et il suffit pour le démontrer de reprendre un à un les arguments de Gaëtan de Capèle pour le démontrer. Premier argument : « les Français ont fini par adopter l’euro ». En effet, il existe un baromètre européen selon lequel 66% des Français penseraient que l’euro serait une bonne chose pour le pays. Néanmoins, ce baromètre sans doute un peu biaisé doit être sérieusement remis en perspective par les sondages qui montrent de manière assez régulière qu’invités à voter à nouveau sur le traité de Maastricht, les Français y répondraient « non », à 52%, et même 57% pour ceux qui pouvaient alors voter en 1992. En réalité, si les Français ne souhaitent pas quitter l’euro, ils regrettent majoritairement d’y être passés, mais une majorité s’y est résignée car elle craint les conséquences d’une sortie alors que les études sérieuses démontrent que cela est possible et même assez facile.
Le deuxième argument, « tout retour en arrière est illusoire » est donc complètement faux. Je renvoie ici à l’étude remarquable de Jonathan Tepper qui a fait les récensions des nombreuses fins d’union monétaire des décennies passées et qui montrent que ces unions finissent bien. L’un des exemples les plus intéressants, étudié en Allemagne, est la séparation monétaire de la République Tchèque et de la Slovaquie, que 70 ans de vie commune n’avaient pas transformés en Zone Monétaire Optimale… On peut également renvoyer à l’étude de Jacques Sapir et Philippe Murer sur la question. Comme je le pointe depuis 2010, une immense majorité des « Prix Nobel d’économie » qui se sont exprimés sur le sujet, critiquent la zone euro, Joseph Stiglitz y ayant même consacré un livre particulièrement sévère.
Dire que « l’euro s’est imposé comme monnaie de réserve internationale » est tout aussi partiel que partial. Son poids est inférieur au poids cumulé des monnaies qu’il a remplacé, et surtout, il n’a pas du tout remis en question la suprématie du dollar, contrairement aux promesses de ses défenseurs. L’argument le plus orwellien est probablement celui qui en fait une « balise de sécurité indispensable dans la globalisation ». Non seulement l’euro ne nous a pas protégé de la crise des subprimes venue des Etats-Unis, mais il nous y a plongé un trimestre avant les USA du fait de la politique d’euro cher ! Pire, la crise économique s’est prolongée avec la crise de la zone euro pendant des années. Et comme au début de la décennie précédente, la zone euro est une des zones qui subit la crise la plus dure avec la pandémie. Loin d’être une balise de sécurité ou une bouée, l’euro et l’UE sont des boulets aux pieds de nos pays.
Et s’il n’est pas faux qu’il « met les entreprises à l’abri de nombreuses fluctuations monétaires », difficile de voir en quoi cela apporte un avantage concret pour la zone euro par rapport à la Grande-Bretagne, au Japon ou à la Corée du Sud. Nous n’y avons pas gagné une meilleure position que les pays qui ont refusé de partager leur souveraineté monétaire. Pire, cela a poussé à une course maladive au moins-disant social et salarial entre pays européens, qui a fait de l’Allemagne le malade du continent pendant une décennie, et dont les réussites commerciales ne se concrétisent pas matériellement pour une grande partie de la population, précarisée et appauvrie, le prétendu modèle allemand ayant une face très sombre. Les pays du Sud et la France ont suivi plus tard les politique de l’offre, après avoir subi une désindustrialisation massive, avec sa marche arrière sociale, conséquence trop prévisible de l’unification monétaire.
Enfin, dire qu’il « apporte aux Etats des capacités financières incomparables » est assez grotesque étant donnée la taille ridicule du très tardif plan de relance européen, qui ne mobilise qu’un peu plus de 2% du PIB de l’UE sur 4 années, une fraction dérisoire des plans étatsuniens. Par ailleurs, les capacités financières sont largement décidées à Francfort par la politique de la BCE, qui peut retirer son soutien du jour au lendemain. La situation de la Grande-Bretagne, et plus encore du Japon, sont bien plus confortables. Et que dire de la « grand secours pour financer les investissements d’avenir », alors que l’UE et la zone euro sont en retard sur pratiquement toutes les dernières technologies, n’étant qu’un territoire de conquête pour les GAFAM, ayant vu bien de ses champions (Nokia, Alcatel…) rachetés. Ce ne sont pas les crédits dérisoires du plan de relance qui changeront quoique ce soit à la position du continent…
Vingt ans après, il est clair que construire l’euro était totalement déraisonnable, imposant une taille unique monétaire à des pays trop différents pour partager un instrument si important de la politique économique. Si la volonté d’en sortir demeure minoritaire, je crois que le soutien ne cesse de s’éroder, l’adhésion étant de plus en plus remplacés par une résignation à un système qui marche mal. Tôt ou tard, cette tour de Babel moderne finira par s’effondrer, et le jugement de l’histoire sera sévère…
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