Face à l’urgence climatique, la rente pétrolière et gazière a-t-elle un avenir ?
Alors que s'impose un nouvel âge industriel des technologies propres, cinq majors internationales, Chevron, ExxonMobil, Shell, BP, TotalEnergies ainsi que les compagnies du Golfe persique dominent le marché. En Russie, Gazprom bras armé de Poutine concentre 24% des réserves prouvées, et Moscou en a fait une arme stratégique pour imposer sa volonté au reste de l'Europe. Les Etats producteurs longtemps négligés par les Etats consommateurs se sont aperçus que les hydrocarbures étaient une arme géopolitique. Et l'on assiste à une montée en puissance de leur contrôle sur le marché .
Rente des principales majors pétrolières et gazières
Leurs résultats nets en 2022 ont dépassé 181 Mds de dollars ( +107% ) dont l'essentiel provient de l'amont ( exploration-production) avec une hausse de 40% du prix du brut lié au conflit en Ukraine, la menace de la fin des approvisionnements depuis la Russie et un prix du gaz en Europe multiplié par 2,7. Historiquement ces entreprises recourent massivement aux rachats d'actions qui ont pour effet de faire monter leurs cours boursiers et aux versements de dividendes à leurs actionnaires sous prétexte du manque d'opportunités d'investissements offrant une rentabilité supérieure au cout du capital.
C'est ainsi que TotalEnergies a alloué en 2022 les 46 Mds de dollars de sa marge brute d'autofinancement ( MBA) sous la forme suivante :
16 Mds de dollars en investissements dont les ¾ en hydrocarbures et ¼ pour les énergies renouvelables, principalement dans le solaire et l'éolien
7 Mds de dollars en rachats d'actions
10 Mds de dollars en dividendes versés
son ROE ( rentabilité des capitaux propres ) s'élève 32,5 %.
Son président Patrick Pouyanné a rappelé à juste titre que la demande en énergies fossiles va continuer à croitre, propos ayant attiré les foudres des ONG compte tenu de la nécessité de transformer l'architecture énergétique mondiale avec un passage à une énergie à faible teneur en carbone. Ces multinationales qui n'ont pas l'intention de transformer leur modèle en investissant massivement dans les énergies renouvelables sont-elles crédibles face aux préoccupations des Etats sur le temps long ? A ce propos le président des Etats Unis qui juge les profits des pétrolières scandaleux propose de quadrupler la taxe sur les rachats d'actions entrée en vigueur au cours du mois de janvier 2023. De plus les marchés financiers du pétrole représentent plus de 35 fois la valeur des marchés physiques (marchés spots et marchés à terme et rapportent des sommes considérables à leurs intervenants.
Rente des pays exportateurs de pétrole et de gaz
La transition énergétique risque d'être accompagnée de prix élevés à moyen terme du fait de l'embargo imposé par les pays européens sur la Russie depuis le 5 février 2023 et de la montée en puissance du contrôle des pays producteurs sur le marché. Avec des couts de production très faibles et des prix de vente très élevés, la rente se localise aux Etats-Unis, en Russie, au Canada, en Norvège et dans les monarchies du Golfe persique ( Arabie Saoudite, Oman, Koweit, Bahrein, Emirats arabes unis, Iran, Irak, Qatar ). Les Etats -Unis qui sont derrière la Chine le deuxième pays consommateur d'énergie au monde font preuve d'autosuffisance énergétique grâce à la découverte de gaz de schiste sur leur sol, leur permettant de se désengager des conflits européens et du Moyen-Orient. La baisse « maitrisée » des investissements des majors internationales renforce la prévalence des pays de l'Opep+ et particulièrement ceux du Golfe persique qui continuent d'engranger des profits considérables en contrôlant les prix de vente du baril de brut. Les pétromonarchies livrent leur production en Europe et la guerre en Ukraine représente pour elles une manne financière complémentaire. C'est ainsi que le Qatar qui possède près de 10% des réserves mondiales de gaz a reçu en 2022 la visite de plusieurs dirigeants européens dont le Président Emmanuel Macron. Ce pays exploite en association avec TotalEnergies un immense champ gazier que l'on peut qualifier de catastrophe climatique à venir. La Direction de Trésor nous informe que les échanges entre la France et les pays du Golfe ont atteint 25 Mds d'euros en 2022, en hausse de 68 % de par l'envolée de nos importations d' hydrocarbures. Dans ce contexte, Bruno Le Maire s'est rendu au cours de ce mois de janvier en Arabie Saoudite, au Qatar et aux EAU et a « apporté un soutien sans ambiguïté aux efforts de la région en faveur du verdissement de leurs économies » en sachant que les Emirats accueilleront la COP 28 fin 2023.
Rente des pays importateurs de pétrole et de gaz européens
Pour les pays consommateurs les carburants sont une source de recettes fiscales non négligeables. Les fluctuations des prix de l'essence et du diesel à la pompe sont moins importantes que celles du brut, du fait du poids de la fiscalité pesant sur les carburants. C'est ainsi qu'en France le cout du pétrole compte pour 25% du prix de l'essence à la pompe, 60% pour les taxes dont la TVA et la TICPE, les15% restant représentant la marge brute de l'aval ( raffinage-distribution ). En 2021 le montant des taxes prélevées sur les produits pétroliers s'est élevé à 33,1 Mds d'euros, représentant la quatrième recette fiscale de l'Etat, dont une partie non négligeable est affectée aux collectivités locales. La confrontation entre les consommateurs et le prix de l' énergie a lieu à la pompe, l'Etat ne prenant pas en compte la difficulté de certains d'entre eux d'accepter des prix élevés. En Europe la fiscalité appliquée aux carburants comporte des écarts importants selon les Etats membres. En moyenne, le prix du SP95 dans l’UE est composé à 48 % de taxes et celui du diesel à 39 %, la France se situant dans la fourchette haute de la taxation. Au cours de la récente explosion des prix, les gouvernements ont bricolé des subventions à l'égard des familles, de certains industriels et commerçants.
Dominé par des enjeux géopolitiques et des logiques de rentes de situation, qu'en est-il de la responsabilité des démocraties et des entreprises qui s'allient avec des régimes autocratiques ? D'autre part le chemin visant à parvenir à un « nouvel âge industriel des technologies propres » selon l'Agence internationale de l'Energie ( AIE) suppose que l'ensemble des acteurs mettent en œuvre leurs engagements en matière d'énergie et de climat. Mais l'ampleur des subventions versées par les Etats au soutien des énergies font courir le risque de ne pas basculer durablement vers des technologies vertes.
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