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Faut-il réviser les réviseurs d’entreprises européens ?

En décembre dernier, la Commission européenne a créé un « Groupe européen des organes de supervision de l’audit - European Group of auditors’ oversight bodies (EGAOB) », chargé d’assurer la coordination des nouveaux systèmes de supervision publique des contrôleurs légaux et des cabinets d’audit dans l’Union européenne. Seuls des non-praticiens peuvent être nommés membres du groupe (Cf. IP/05/1596 du 14 décembre 2005) Une recommandation de la Commission européenne de novembre 2000 prévoyait déjà un droit de regard par des non-praticiens sur les résultats du contrôle de qualité mis en place par les réviseurs dans les Etats membres (cf. IP/00/1327 du 21 novembre 2000), petite révolution pour une profession habituée à s’autoréguler. Cette recommandation était d’ailleurs formulée bien avant les scandales financiers qui ont éclaté aux USA (Enron, Worldom) mais aussi en Europe (Parmalat, VU...). Pour autant, a-t-on tiré les enseignements des affaires au niveau des réviseurs européens ? Ce n’est pas certain.

Si aux Etats-Unis, d’où le problème est venu, il semble y avoir une fermeté (I), en revanche, en Europe, beaucoup de chemin reste à parcourir (II).

Le « Tsunami Enron » a entraîné l’irruption de l’éthique des affaires.

L’affaire Enron a entraîné non seulement la disparition de l’entreprise concernée, mais aussi celle d’un des grands cabinets d’audit : Andersen (Cf. May Piaget et Claude Baumann, La Chute de l’empire Andersen, Dunod, 1983), qui a payé cher la transgression des valeurs et la compromission pour accepter la comptabilité en « partie trouble » (expression employée par Noël Pons, spécialiste français de la fraude, à un colloque sur la fraude organisé par l’Institut de l’audit interne, le 1er février 2006)

A la suite d’Enron et d’autres scandales qui ont suivi, chartes et codes déontologiques ont commencé à fleurir, tant dans les entreprises que chez les réviseurs anglo-saxons. Des législations très (trop ?) contraignantes ont été adoptées, comme Sarbanes Oxley, votée le 30 juillet 2002, qui instaure notamment des comités d’audit et des administrateurs indépendants au sein des conseils d’administration, et redéfinit le champ d’exercice des professions comptables, en procédant à une séparation nette entre les métiers de conseil et ceux de l’audit. Un nouveau rôle a été dévolu aux réviseurs pour promouvoir le contrôle interne et la gouvernance... Des résultats sont tangibles aux USA :

  • ainsi, en 2004, un des « big four », a été condamné par un tribunal administratif américain à une interdiction d’accepter tout nouveau client pendant six mois et à une amende de 1,7 million de dollars - plus les intérêts, pour ne pas avoir respecté les règles d’indépendance de l’audit des sociétés cotées
  • plus récemment, en octobre 2005, le ministère de la Justice américain a ainsi annoncé que dix-neuf anciens responsables d’un autre « big four » ont été inculpés pour avoir conspiré pour frauder le fisc, pour évasion fiscale et obstruction aux lois fiscales, pour avoir mis en place, promu et développé des systèmes permettant d’échapper à l’impôt. Selon le ministère de la Justice, il s’agit de l’ancien président adjoint, de l’ancien CFO du groupe, de plusieurs responsables du département fiscal, du responsable du secteur formation professionnelle, d’un ancien conseiller juridique du cabinet et d’un partenaire d’une autre société de conseil fiscal, ainsi que de plusieurs conseillers fiscaux. Selon les chefs d’inculpation, les mécanismes mis en place ont permis de déclarer pour au moins 11 milliards de dollars de moins-values fiscales fictives et permis aussi à des personnes jouissant de revenus élevés de frauder le fisc à hauteur de 2,5 milliards de dollars (www.usdoj.gov).

On le voit, aux Etats-Unis, la permissivité semble avoir fait long feu. La situation européenne, en revanche, se caractérise par un manque d’efficacité parfois caricatural.

Le retard européen

Si plusieurs affaires médiatiques en Europe ont mis en cause de grands cabinets d’audit, les limites de l’efficacité apparaissent au Luxembourg, pays fondateur qui héberge des institutions européennes.

Des législations ont été adoptées, telles la LSF (loi sur la sécurité financière) en France. Plusieurs cas, qui ont défrayé la chronique, ont impliqué les grands cabinets d’audit en Europe : le cas d’un éditeur de progiciels de consolidation comptable pour un risque de conflit d’intérêt en 2003 (L’Express le 06/02/03), le cas d’une société de distribution pour un risque de falsifications dans les comptes consolidés du groupe en 2003 (L’Expansion le 07/07/03), et le cas d’une enseigne cosmétique pour un risque de bilans « faux » ou « inexacts et trompeurs », fin 2005 (L’Expansion le 13/10/05). Ces exemples ne sont pas exhaustifs. Il s’est agi d’affaires ayant donné lieu à réaction des autorités compétentes dans les pays respectifs concernés.

Mais la réaction des autorités compétentes ne va pas de soi, en particulier au Luxembourg, pays fondateur de l’Europe qui héberge des institutions européennes, et dont la taille est celle d’un département français, ce qui devrait faciliter l’action publique :

  • un « big four » a recruté et soutenu un mauvais directeur financier qui a été en fonction de 1999 à 2001, et sa direction s’affiche encore aujourd’hui avec une entreprise qui a recruté et soutenu sciemment ce directeur financier, qui a même fait des déclarations inexactes devant un tribunal quant à son actionnariat (Cf. article de l’auteur « Petit audit du monde des affaires au Luxembourg »)
  • le président de l’autorité de régulation des réviseurs est partner de ce « big four » (Cf. Mémorial C, No 376 du 22 mai 2001 et Mémorial C, No 668 du 30 avril 2002, B 65.477), où il est entré en 1983 (Cf. communiqué de presse du 28 janvier 2003 sur le site du « Big four) : il a donc été en fonction en même temps que le directeur financier.
  • En vertu de la loi sur les réviseurs (article 28 de la loi modifiée du 28 juin 1984), le président de l’autorité de régulation des réviseurs instruit les affaires dont il est saisi soit par le procureur d’Etat, soit sur plainte, ou encore dont il se saisit d’office. Il les défère au Conseil de discipline s’il estime qu’il y a infraction à la discipline. Il est tenu de déférer au Conseil de discipline les affaires dont il est saisi à la requête du procureur d’Etat dépendant du ministre de la Justice, qui supervise aussi les réviseurs.

Une telle promiscuité explique sans doute la paralysie mutuelle et une force d’inertie du système, mais cela est d’autant plus difficile à comprendre que des erreurs flagrantes de mauvais management sont visibles dans des sources incontestables, et que le pays serait plutôt mieux placé que les autres pour avoir les moyens financiers de l’action publique (même s’il y a eu une dégradation du budget de l’Etat dans la période récente).

L’autorégulation (soft law) par les professionnels ne fonctionne pas de manière satisfaisante, et il ne faudrait pas croire que seul le Luxembourg est concerné, même si la visibilité des problèmes y est des plus remarquables.

Dans ce contexte, l’Union européenne doit remplir son rôle de « maître des horloges » (expression de Philippe Delmas, Le maître des horloges, Paris, Odile Jacob, 1991 : dans ce livre, l’auteur, magistrat à la Cour des comptes en France, fait un plaidoyer en faveur d’un Etat qui serait « ... non pas autorité gestionnaire, mais garant d’une vision d’ensemble, non pas providence, mais maître des horloges soucieux de l’équilibre interne des sociétés aussi bien que de l’homme ») et mettrait les pendules à l’heure.

La nouvelle 8e directive « droit des sociétés », qui a été récemment approuvée par le Parlement européen et le Conseil (IP/05/1249), impose aux États membres de mettre en place des systèmes de supervision publique des contrôleurs légaux et des cabinets d’audit, systèmes qui existent déjà dans certains d’entre eux mais pas dans d’autres. Les Etats doivent prendre leurs responsabilités.

Le groupe européen nouvellement créé a du pain sur la planche pour y veiller...


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2 réactions à cet article    


  • Jérôme Turquey Jérôme Turquey 6 mars 2006 09:55

    Quelques réflexions complémentaires sur la situation luxembourgeoise en particulier

    Il y a des faiblesses majeures, propres au Luxembourg, qui appellent une politique volontariste.

    La promiscuité, qui est un frein à l’efficacité, devrait être limitée pour prévenir les conflits d’intérêt au quotidien : ainsi le Groupe d’Etats contre la Corruption (GRECO) souligne-t-il que « les petites affaires ne doivent pas être négligées car elles banalisent le système et le rendent quasi-normal et invisible. C’est la raison pour laquelle il doit être observé que les raisons souvent invoquées, tenant à la dimension du pays et au fait que tout le monde se connaît (ce qui favoriserait un autocontrôle permanent), ainsi qu’à un niveau élevé de rémunération, ne sauraient constituer une garantie suffisante et pourraient même avoir un effet pervers, chacun sachant que l’autre pouvant être convaincu d’indélicatesse(s), se réfugierait dans un silence complice. » (GRECO, Rapport d’Evaluation sur le Luxembourg, 14 mai 2004, p. 13). Dans ce contexte les réviseurs, en raison du rôle qui leur est dévolu se doivent d’être exemplaires et de ne tolérer aucun manquement à la délicatesse de leur profession sous peine de jeter le doute : « Le rôle des autorités fiscales, des réviseurs et des comptables d’entreprises est fondamental pour la détection et la dénonciation aux autorités répressives des infractions comptables et de corruption. » (GRECO, Rapport d’Evaluation sur le Luxembourg, 14 mai 2004, p. 25). Le cas décrit d’un ex directeur financier d’un « Big four » de la Place est révélateur de l’acuité du problème de permissivité par le spectre large du « relationnel » autour des intéressés (Gouvernement, organisations professionnelles, sociétés du secteur financier, associations, réviseurs) et par le fait que les personnes sont toujours actives, ce qui peut être mis en évidence dans des sources publiques. Pour ce qui est de l’autorité de régulation des réviseurs, son président de devrait être « en disponibilité » de sa société d’origine pendant son mandat pour ne plus avoir de lien de subordination et ainsi prévenir un conflit d’intérêt si sa société est impliquée dans une affaire disciplinaire (soit comme personne morale, soit par une personne physique de la société) voire la possibilité de saisir le conseil de discipline devrait être élargie pour ne pas faire reposer l’auto saisine ou l’instruction des plaintes sur le seul président. Par ailleurs, les chartes éthiques des organisations professionnelles devraient donner lieu à sanctions en cas de moindre manquement à plus forte raison non confidentiel, sous peine de jeter le doute sur la sincérité des déclarations.

    Les sanctions devraient être communiquées. L’absence de transparence en la matière, qui est une « confidentialité mal placée », nuit à l’efficacité et à la dissuasion : les évaluateurs du GRECO ont ainsi souligné que, « même si le Luxembourg semble bien être largement épargné aujourd’hui par la corruption, il doit être vigilant s’il veut prévenir le développement de ce phénomène à l’avenir, compte tenu notamment d’un certain nombre de facteurs qui peuvent contribuer à le rendre vulnérable dans une certaine mesure (forte exposition en raison de son important secteur financier, système de financement des partis politiques, absence de journalisme d’investigation, absence de culture de la transparence) ». (GRECO, Rapport d’Evaluation sur le Luxembourg, 15 juin 2001, p. 13). Par exemple, les réviseurs devraient communiquer sur les procédures disciplinaires (nombre de cas, type de reproche) à l’instar de ce que fait par exemple l’autorité de régulation des réviseurs en Belgique, pour montrer que les sanctions sont effectives.

    Les autorités de régulation devraient être incitées à agir par intervention de l’Etat : « Les experts comptables et les réviseurs n’ont pas une idée de l’importance d’avoir une activité suffisamment active de collaboration avec les autorités judiciaires en ce qui concerne la détection des signes de corruption ou de blanchiment de capitaux. C’est pourquoi, l’Équipe d’Évaluation du GRECO recommande que le développement législatif existant soit assorti de la mise au point de lignes directrices, à l’attention des comptables et réviseurs, sur la détection des signes et des produits de la corruption dans le cadre de leur activité et pour faire rapport de leurs constatations. » (GRECO, Rapport d’Evaluation sur le Luxembourg, 14 mai 2004, p. 24). Le rapport paru en novembre 2005 du Parquet de Luxembourg est venu rappeler l’insuffisance du travail de détection du blanchiment par les réviseurs (Cellule de Renseignement Financier du Parquet de Luxembourg, Rapport d’activité pour 2003 et 2004, novembre 2005, page 8)

    La responsabilité des personnes morales devrait pouvoir être engagée avec des sanctions dissuasives effectives : « Le GRECO encourage l’introduction d’un régime adéquat de responsabilité des personnes morales assorti de sanctions dissuasives et permettant la confiscation de leurs avoirs criminels ». (GRECO, Rapport d’Evaluation sur le Luxembourg, 14 mai 2004, p. 25) ; « L’absence de sanctions ou mesures proportionnées y compris l’absence de sanctions monétaires au moment de la visite d’évaluation de l’Équipe d’Évaluation du GRECO, constitue une lacune importante en matière de responsabilité des personnes morales pour des infractions pénales. » (GRECO, Rapport d’Evaluation sur le Luxembourg, 14 mai 2004, p. 24). Cette absence de sanction a été déplorée par l’AED (Administration de l’Enregistrement et des Domaines) dans son rapport 2004 : « Le service, dans un souci d’amélioration de son efficacité, a commencé à nouer des contacts avec la Justice. Le combat de la fraude fiscale sans une suite au niveau pénal pour les responsables ne fait qu’aggraver la situation existante, déjà catastrophique. L’impunité des organisateurs favorise l’explosion actuelle du nombre des créations de sociétés frauduleuses au Luxembourg. » (AED, Rapport d’activité 2004, p. 18) et réitéré au Premier ministre dans une note fin 2005 : « Le manque incontestable de vérificateurs expérimentés et l’insuffisance de mesures de contrôle et moyens de coercition prévus par les dispositions légales et réglementaires en vigueur ne permettent plus d’effectuer un contrôle adéquat en relation avec la perception de la TVA. » (Cité par Gérard Karas, La voix, 29 octobre 2005). Dans ce contexte, les notaires auraient aussi sans doute un rôle à jouer lors des créations de sociétés pour détecter les anomalies (dirigeants multirécidivistes de la faillite...).

    En partant d’une petite affaire dans le Mémorial et en remontant les responsabilités et les relations, on découvre un risque majeur pour le pays par la preuve flagrante que l’autorégulation par les professionnels (soft law) ne fonctionne pas de manière satisfaisante, y compris pour du mauvais management au grand jour, corroborant de manière inquiétante les réserves du GRECO sur « l’autocontrôle permanent ». Pour autant, il ne faudrait pas croire que le Luxembourg, où l’administration semble toutefois en avance sur les associations professionnelles et les politiques publiques dans la prise de conscience des enjeux, est seul concerné même si la visibilité des limites de l’autorégulation y est des plus remarquable et menace dramatiquement un monde des affaires où la majeure partie des professionnels sont compétents et honorables dans leur travail quotidien.


    • www.jean-brice.fr (---.---.108.246) 6 mars 2006 20:58

      LA COMMISSION EUROPEENNE SE PREND POUR LE GOUVERNEMENT DE L’EUROPE : SON ARROGANCE A QUAND MEME RECU UNE PETITE LECON AVEC LE REFERENDUM...

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