Financement du secteur associatif : un système absurde et inefficace
Dans un récent article dans la « Tribune », Hugues Sibille, ancien délégué interministériel et dirigeant d’une banque de référence du tiers secteur, dresse un constat amer de la situation financière des associations françaises.
Premier constat de ce spécialiste du tiers secteur : il faut clarifier et sécuriser les financements publics.
Hugues Sibille propose donc :
Il conviendrait d’abord de distinguer précisément entre subvention et délégation de service public ou commande publique soumise au Code des marchés publics. Les subventions souffrent de la mauvaise situation du budget de l’État : elles sont les premières à être menacées. Les pratiques de gel budgétaire et de modifications incessantes des règles de financement créent l’insécurité. Il faut que l’État redevienne plus fiable. Peut-on envisager qu’un pourcentage du budget de l’État soit affecté à la vie associative, inscrit dans une loi de programmation pluriannuelle, voté par le Parlement, géré par un organisme répartiteur, et donne lieu à évaluation et rapport annuel devant le Parlement ?
Je partage totalement cette revendication mais ma modeste expérience de consultant et de formateur intervenant régulièrement auprès de différents services de l’Etat chargés de la distribution et du contrôle de l’utilisation des fonds publics au secteur associatif me conduit vers un diagnostic un peu différent dans ses arguments.
En premier lieu, je suis
d’accord avec Hugues Sibille pour soutenir que le financement public
des associations souffre avant tout du caractère byzantin de la réglementation.
Je connais des secteurs où les associations reçoivent les subventions
étatiques sous trois modalités techniques différentes. Dans le secteur
médico-social par exemple, un établissement cumulant différentes
activités peut recevoir une partie de ses subsides calculés de manière
forfaitaire (prix de journée homologué), une autre sous forme de
dotation globale (subventions classiques) et enfin une troisième sous
forme d’appui ponctuel à un projet.
Multipliez cela par le nombre
de financeurs (région, département, communes, CAF) et vous pourrez
mesurer l’insécurité financière dans laquelle se retrouvent ces
établissements.
Ensuite, le financement des structures associatives est perverti par l’hypocrisie bien partagée des parties en présence. Entre l’association et l’Etat dispensateur de fonds se joue chaque année une formidable partie de poker menteur. Les dirigeants surévaluent leur budget pour présenter une demande de subventions supérieure à leurs besoins réels, sachant que les fonctionnaires en charge du calcul de la subvention réduiront la demande à la baisse. Ces derniers sont parfaitement fondés à le faire, puisque la plupart des budgets qui leur sont présentés sont artificiellement "gonflés". Ce cache-cache est un pousse-au-crime ; il induit une spirale inflationniste au niveau des montants sollicités et pénalise les structures qui jouent la carte de l’honnêteté et de la transparence.
Troisièmement, il faut regretter que malgré la
LOLF, les circulaires Jospin et Raffarin, la multiplication des
conventions pluriannuelles, le principe d’annualité inscrit dans notre
droit budgétaire continue d’imposer aux structures et à leurs
dispensateurs de fonds une terrible myopie financière.
L’horizon des associations tributaires des fonds d’Etat (y compris des
plus importantes) reste désespérément borné à six mois ou à douze, le
prochain dépôt de dossier de subvention, le prochain versement de la trésorerie.
Quel acteur économique peut dans le monde actuel optimiser sa gestion avec une visibilité aussi réduite ?
Ensuite,
et c’est là un problème de fond, de nombreuses associations supportent
des missions trop lourdes pour elles. Je veux dire par là que l’environnement juridique de la loi de 1901 n’est pas adapté aux contraintes qu’elles supportent.
Est
à mettre en cause le principe du bénévolat des dirigeants. Des
structures gérant des budgets de centaines de milliers d’euros,
employant des salariés par dizaine sont vaguement pilotés par une
équipe de notables locaux, souvent de bonne volonté mais souvent aussi
totalement dépassés par la tâche qu’ils doivent assumer. La
responsabilité encourue par ces bénévoles est minime, voire inexistante
et ils se reposent le plus souvent sur les cadres salariés, également
protégés par le lien de subordination.
Cette irresponsabilité généralisée constitue une vaste incitation à l’incompétence,
au laisser-aller, quelques fois à la malhonnêteté caractérisée. Il n’y a
de sanction ni juridique, ni financière puisque chaque fois que
l’association présente une utilité sociale, elle est assurée de voir
"rattraper" toutes ses erreurs de gestion lors de la prochaine
attribution de subvention.
Il suffit de présenter la note, d’agiter le chiffon rouge d’une possible cessation d’activité et l’Etat paye...
Dernier aspect - et je rejoins là Hugues Sibille -, l’Etat est trop mauvais payeur et cela lui coûte des fortunes.
Il n’est pas rare de voir des associations qui consacrent 3,5 voire 7%
de leur budget aux charges financières induites par le décalage exagéré
du versement des fonds publics (cette dépense étant naturellement
intégrée au budget qui va servir de base de discussion pour la
prochaine demande de subvention). N’ayant pas vocation à dégager des
excédents, l’association peine à se constituer un véritable fonds de
roulement et c’est le banquier qui finance l’activité à coups de
concours à court terme.
Il m’est arrivé de voir des dossiers qui,
dans le monde de l’entreprise, auraient relevé clairement du soutien
abusif ou du crédit ruineux. Mais dans le tiers secteur, la situation
du banquier est confortable : encore une fois, dès que l’association
présente une certaine utilité collective et qu’elle est financée par
l’Etat, le prêteur ne court quasiment pas de risques.
Toujours cette fameuse prime à l’irresponsabilité et la certitude que l’Etat payera toujours...
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