Florange, Gandrange, Aulnay. Firmes en crise et Etats : le rapport de force a changé
Les drames économiques et humains qui se jouent à Florange mais aussi chez Peugeot ou à la raffinerie de Gandrange illustrent les difficultés qu’ont les Etats à contrôler ou orienter désormais les décisions des grandes sociétés modernes.
Trois cas emblématiques dans lesquels les firmes auront, in fine, le dernier mot car les erreurs stratégiques des uns ou la réalité économique imposent une adaptation douloureuse à laquelle l’Etat semble n’être que spectateur par delà des effets d‘annonces temporaires qui cherchent souvent surtout à sauver les apparences…
En effet, les firmes multinationales ou transnationales ont pris de la distance face aux pouvoirs locaux pour mener des stratégies à l’échelle de la planète. Comment ?
Impôts et emplois
Les grandes firmes ont deux atouts majeurs que les politiques ne sont plus en mesure de refuser aujourd’hui. Un : elles paient des taxes au niveau local et national, mis à part quelques exceptions il est vrai dans l’univers numérique par exemple. Sachant les déficits abyssaux de nombres de pays occidentaux, quelques recettes supplémentaires sont cruciales et les collectivités territoriales ainsi que les nations endettées peuvent difficilement se passer de ces contributions. Les groupes sont les poumons économiques de nos régions, départements et communes. La dérive des comptes publics locaux rend leur présence encore plus impérieuse pour les équilibres budgétaires.
Deux : elles emploient des salariés. A l’heure du chômage de masse en France (+ 45 000 en Octobre, 10,3 % de la population active) et en Europe (11,7 % de la population active en octobre 2012, record historique pour la zone euro) les gouvernants ne peuvent à nouveau pas se payer le luxe de négliger cet aspect fondamental pour leurs citoyens et leur électorat. Car on sait que c’est souvent sur l’emploi que seront jugés nos responsables. Gagner la bataille de l’emploi, c’est gagner partiellement sa réélection et la crise qui sévit a balayé quasiment tous les dirigeants à cause notamment de l’explosion du chômage et de la précarité qu’il engendre. On peut penser qu’Obama a été réélu grâce aussi au sauvetage de l’industrie automobile américaine et au redressement bienvenu de l’emploi dans les dernier mois de son premier mandat.
L’emploi et l’argent, deux leviers incontournables dans des temps de sinistroses locales et de compétitions internationales : deux leviers dont nos politiques ne peuvent plus s’exonérer.
Nos faiblesses renforcent le pouvoir des firmes.
On constate donc de façon claire que la faillite des politiques économiques sur l’emploi depuis 30 ans et la dérive de nos comptes publics ont renforcé le pouvoir des FMN. Le malheur et les errements des uns à fait « le bonheur » et la puissance des autres …les rapports de force tournant ainsi à l’avantage des firmes Plus la situation économique, fiscale et sociale se dégrade, plus de façon en apparence paradoxale, les entreprises privées peuvent faire pression sur le politique. Oui Un Mittal peut faire une forme de chantage à l’emploi et c’est bien notre soucis. Le pouvoir semble avoir changé de mains en ces temps de crise, d’austérité et de croissance nulle.
Par voie de fait, la posture et les gesticulations de M. Montebourg ne pèsent pas bien lourds face au poids économique et industriel d’un Arcelor Mittal en France. 20 000 emplois directs et 150 sites. On n’est pas dans une cour d’appel où les effets de manches vont emporter la décision du juge ! Quels signes envoie-t-on aux investisseurs du monde entier lorsque l’on parle de mettre Mittal dehors, de nationalisation ? C’est peut-être une posture, mais attention aux enjeux ! On nous observe, nous évalue et les possibilités d’aller voir ailleurs sont nombreuses….
La conscience morale de gauche d’un gouvernement qui semble impuissant.
Le discours de notre ministre semble donc purement politique voire démagogique, prompt à rassurer des électeurs qui veulent que leurs responsables mouillent leurs chemises ou montrent une volonté d’agir. M. Montebourg est la conscience morale de gauche d’un gouvernement qui semble impuissant. Certes, montrer que l’on n’est pas inactif, que l’on essaye, que le politique n’est pas mort, c’est louable et nécessaire. C’est rassurant pour les politiques qui veulent être utiles et maintenir leur influence déclinante et rassurant pour les citoyens perdus au milieu d’une crise profonde et anxiogène.
Mais hélas, derrière ce discours, ces filières sont malmenées depuis des années, la compétitivité est insuffisante, la demande faiblit hélas. (Notons ici que les firmes ne souhaitent bien sûr pas rencontrer des difficultés mais qu’elles s‘y adaptent par nécessité économique.) Que va faire l’Etat ? Créer de la demande ? Garantir un emploi à vie à des ouvriers qui n’ont plus de clients ? Subventionner sur fond public des entités pas ou peu viables ? Faire appel à l’Europe via d’hypothétiques projets écologiques ? Non décidément, les marges de manœuvres semblent minces et l’on ressent la difficulté à faire bouger les lignes. Voilà plus de dix que l’on envisageait de fermer Florange…on a laissé pourrir des situations sans prendre des mesures préventives pour innover, former, convertir, reconvertir les salariés et les bassins d’emplois. Comme souvent chez nous, au pied du mur, on crie au scandale. On accompagne la mort lente ce qui est mieux que rien, certes. Il aurait fallu anticiper, planifier, agir en amont. Des postures conjoncturelles en lieu et place de mesures structurelles…
Notre division européenne fait le jeu des firmes
En prenant du recul sur ces affaires, il s’agit de comprendre qu’il faut travailler à l’attractivité de notre pays et surtout de l’Europe en général. Les luttes fratricides intra-européennes en matière de subventions, de fiscalité sont dangereuses. Il est grand temps de mettre en œuvre une harmonisation de nos pratiques sociales et fiscales. Comment tolérer que le maire de Londres ou le premier ministre britannique ne cessent de tirer à boulet rouge sur La France ? Comment admettre qu’ils promettent monts et merveilles aux firmes qui viendraient s’installer chez eux ? C’est la surenchère permanente, chacun tentant d’attirer à soi les bonnes grâces des firmes, des investisseurs et des citoyens fortunés.
Or, nous sommes censés être dans le même espace économique et social et si chaque Etat se désolidarise des autres sous les coups de boutoir de la crise, cela ne fera que renforcer le pouvoir des firmes qui joueront de notre division.
C’est notre union qui permettra de regagner le terrain perdu et de faire bloc face à la difficulté de la compétition internationale. Il faudra un jour aussi avoir de vraies politiques préventives et offensives face aux mutations industrielles de notre espace et mettre en place des stratégies innovantes qui pérennisent ou transforment l’emploi et nous permettent de nous placer face à la concurrence notamment des pays émergent.
Accompagner le déclin n’est pas suffisant et pour créer de la croissance et de l’emploi, il s’agit bien d’anticiper et de se positionner sur des secteurs d’avenir. Au-delà des coups médiatiques sur tels ou tels dossiers, au-delà d’un activisme désordonné qui suscite le doute dans ses promesses et ses résultats, travaillons à des réformes structurelles cohérentes et pérennisées au dessus des échéances électorales et des clivages politiques. Union communautaire, union nationale… Que faisons-nous pour cela ?
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