France Telecom et Telia Sonera ? Non merci !
Alors que France Telecom est sur le point d’engranger les dividendes de sa politique avisée, la rumeur lui prête l’intention de se lancer dans une OPA sur Telia-Sonera. La bourse a accueilli fraîchement la nouvelle, franchement, il y a de quoi !
Fiche financière France Telecom
Telia-Sonera, quelques chiffres
La société est le fruit de la fusion des opérateurs historiques finlandais et suédois, le capital est d’ailleurs encore détenu principalement par ces Etats. Le chiffre d’affaires de Telia-Sonera en 2007 a été un peu supérieur à 9 milliards d’euros. Le bénéfice net est supérieur à 1,5 milliard d’euros. La dette est très faible : trois milliards d’euros. Ces paramètres, joints au très fort positionnement de la société dans les pays d’Europe de l’Est et d’Asie centrale, en font une proie extrêmement tentante sur le papier. La société apporterait à la fois des positions enviables dans des pays matures technophiles : Suède, Norvège et de belles positions sur des marchés en croissance.
Le PER de Telia était de 12,5 avant que la rumeur ne courre. Celle-ci a d’ores et déjà encouragé une très forte hausse du cours.
Pourquoi les actionnaires de France Telecom n’ont aucune raison d’être enthousiastes
Les deux valeurs sont bien des valeurs télécoms, mais elles sont très différentes. France Telecom est une valeur de rendement et Telia est une valeur de croissance, c’est sur ce postulat que l’on doit juger la création de valeur d’une telle opération pour l’actionnaire.
Dans l’état actuel des choses, France Telecom était en train de devenir une valeur refuge à croissance faible distribuant un produit élevé et jouissant d’une excellente visibilité. Son PER était donc logiquement assez faible par rapport à celui de Telia (9,5/12,5). Les actionnaires de FT paieront donc une prime immédiate sur le résultat net de Telia.
Or, le poids des zones géographiques matures de France Telecom restera de toute façon déterminant dans l’évaluation que l’on fera de la société après une éventuelle opération. L’actionnaire de France Telecom paiera donc cher une dilution qui en définitive aura surtout pour résultat de baisser les bénéfices nets par titre sans augmenter la valeur de ceux-ci. France Telecom ne deviendra pas une valeur de croissance du fait de l’adjonction de quelques licences mobiles de plus dans le monde en développement. Au surplus, nous ajoutons que la société déployait déjà une politique extra-européenne tout à fait convaincante qui n’avait aucun effet significatif sur les cours.
Aux hasards politiques africains, la société ajoutera les méandres politiques de l’Asie centrale. En terme de gestion du risque géopolitique, c’est loin d’être optimal pour une valeur de père de famille. La purge boursière de mercredi est donc parfaitement justifiée. A titre d’illustration, on peut souligner que c’est plus d’un an de dividende qui vient de s’envoler en quelques heures.
Telle qu’elle a été évoquée dans Le Figaro, la valorisation de Telia-Sonera serait de 30 milliards d’euros, un PER qui flirterait avec les 20. Autant dire que la perte sèche pour les actionnaires de France Telecom serait de l’ordre de 15 milliards d’euros soit, grosso modo, 5 euros par action de quoi justifier une punition de l’ordre de 20 % sur le cours. L’historique de l’opération Orange démontre que, même dans un métier aussi solide et prévisible que les télécoms, une opération mal conçue et surpayée peut faire valser les cours.
Sauver le soldat Alcatel ?
La fusion avec Lucent était un échec annoncé, aujourd’hui il est parfaitement clair que Lucent s’orientait vers une faillite. Seul Tchuruk peut se prévaloir d’un succès, il est parvenu à se maintenir au pouvoir alors que, quelques semaines avant l’opération, il était sur un siège éjectable. Alcatel a perdu la bataille du mobile en 1989 lorsque le standard GSM a été défini et qu’il faisait appel pour l’essentiel à des technologies Nokia Ericsson et Motorolla. Depuis, les mauvaises langues l’affirment, seuls les contrats d’Orange ont permis à la branche mobile de l’opérateur de surnager.
On peut se douter qu’un énième sauvetage d’Alcatel est en cours d’élaboration. Le dernier avait vu France Telecom se lancer dans des opérations de croissance dans le mobile très douteuses sur le plan financier qui avaient surtout pour vertu de « garantir » des marchés à Alcatel.
L’opération Telia-Sonera serait placée, selon nous, sous le même signe : tenter d’arrondir le portefeuille de client d’Alcatel en étendant le portefeuille de licence de France Telecom, le tout en jouant un mauvais coup à Nokia et Ericsson qui sont de gros fournisseurs historiques de Telia.
Si l’opération devait avoir lieu et réussir, les mêmes causes produiraient les mêmes effets, les actionnaires de France Telecom au premier rang desquels on doit compter l’Etat sortiraient largement perdants et Alcatel, brièvement tiré d’affaire, ne tarderait pas à rechuter. En effet, la société ne sera toujours par dominante sur le marché mobile, elle a toutes les chances de ne jamais l’être à l’avenir.
En somme, on nous rejouerait la même pièce qu’en 2000, les sommes en jeu étant moins importantes, les résultats seront moins catastrophiques, mais les actionnaires de France Telecom n’ont franchement pas de quoi se réjouir.
Si l’opération devait vraiment se lancer, la détention de titres reviendrait à subventionner une politique industrielle qui a échoué il y a vingt ans. Franchement seule une cession semblerait logique dans cette perspective.
Au surplus, lancer une opération maintenant alors que le marché n’a pas atteint son plancher est fort curieux. Dans un an, France Telecom aura moins de 36 milliards d’euros de dettes et les cours auront probablement encore chuté d’une bonne dizaine de pourcents (4 300 points ?). Autrement dit, même le calendrier est mal choisi.
D’autres options sont possibles pour France Telecom
Si vraiment il fallait se lancer dans des opérations de croissance à tout-va pour les beaux yeux d’Alcatel, nous suggérerions volontiers à France Telecom de se pencher sur les dossiers des opérateurs télécoms qui sont entre les mains de Fonds de Private Equity et de banques. Ceux-ci devraient être amenés à se montrer modestes au cours de l’année à venir (en l’occurrence TPG et Goldmann Sachs). Dans ce cadre, Alltel l’opérateur mobile américain présente de bonnes caractéristiques susceptibles de donner satisfaction à tous. La baisse du dollar se poursuivra sur les mois à venir. A un an d’ici, le coût d’acquisition pourrait être autofinancé entièrement par France Telecom sur deux ou trois ans. A moyen terme, le marché américain sera de toute façon plus dynamique que les marchés matures de la société. La société déploie des réseaux GSM/ UMTS et MCDA/MCDA2000, donc Alcatel pourra profiter de son positionnement sur les deux standards. Enfin France Telecom et Deutsche Telekom pourraient fusionner T-Mobile USA et Alltel de façon à se garantir des économies d’échelle et de réseau. Si jamais la livre sterling devait s’effondrer, ce qui relève du probable, il y a alors quelques chances que le dossier BT puisse être ouvert avec profit. Il ne s’agit là que de quelques exemples d’opérations que la société peut envisager.
L’avenir d’Alcatel passe par le fixe celui de France Telecom aussi
Il est de plus en plus évident que l’avenir de l’investissement dans les télécoms passe par le fixe et l’installation de la fibre optique et de la 4G. L’essentiel du volume des communications passera toujours par les lignes en dur et la voix n’en est qu’une petite partie désormais. Plutôt que s’obstiner à perdre bataille après bataille dans le mobile, Alcatel pourrait songer à abandonner ce business et à se concentrer sur ce qui constituera le gros de la croissance des investissements des opérateurs occidentaux à l’avenir. Sur ce point, on doit signaler que Nexans l’ancienne spin-off d’Alcatel se porte plutôt bien, pourquoi ne pas fusionner ces entités et proposer au Chinois Huawei, qui est présent sur les deux standards, de reprendre la division mobile en son entier via la création d’une Joint-Venture dont Alcatel pourrait se retirer lentement en tirant profit de ses échecs, pour une fois.
Les problématiques liées au fixe seront tout aussi décisives pour France Telecom. D’un point de vue financier, il n’y a guère de doute qu’il y aura des économies d’échelle à retirer d’un élargissement à l’Europe de la stratégie fibre de France Telecom. Il y a des opérateurs BTP qui trouveront intérêt à se voir confier des chantiers s’étalant sur dix ans et pesant des dizaines de milliards d’euros, voire à participer au financement pour se comporter ensuite comme des concessionnaires. C’est sur ce terrain qu’à notre sens une opération de croissance serait capable de générer des économies d’échelles. C’est pour cette raison qu’une fusion avec un opérateur bénéficiant d’un gros réseau fixe (BT, KPN ?) nous semblerait plus séduisante qu’une accélération de la course à l’échalote dans le domaine du mobile.
La création d’oligopoles européens des télécoms : une dynamique qui n’est plus « économique »
Il y a encore dix ou quinze ans, les géants historiques des télécoms jouissaient d’un savoir-faire spécifique sur lequel ils pouvaient capitaliser pour accroître les synergies d’opérations de croissance sur un marché encore en gestation. C’est ainsi que France Telecom a apporté son expertise technique à Wind, le troisième opérateur mobile italien (aujourd’hui propriété de la famille Sawiris).
Mais cela fait maintenant longtemps que grossir le nombre d’abonnés mobiles, mutualisations aidant, ne génère plus d’économies d’échelles significatives. Les taux de marge des opérateurs sont principalement conditionnés par les conditions concurrentielles et réglementaires des marchés sur lesquels ils opèrent, leur taille européenne ou mondiale n’apporte plus grand-chose. Sauf dans le cadre du roaming. Mais, sur ce terrain, la communauté a l’air d’être entrée sur le sentier de la guerre et il n’est pas sûr que le surcroît de marge dégagé par les appels internationaux résiste très longtemps à l’attention qu’elle génère au sein des institutions européennes.
Sur le terrain du marketing, on pourrait imaginer qu’une marque européenne, voire mondiale, soit susceptible de générer de la valeur ajoutée. C’est indéniable, mais jusqu’ici il n’y a guère que Vodafone qui puisse prétendre mener une telle politique avec succès, l’immense majorité des clients d’Orange se soucient comme d’une guigne que la marque soit exploitée dans tel ou tel pays.
Privée de son argument économique fondateur, la course à la taille doit plutôt être interprétée comme une dynamique propre au capitalisme contemporain qui voit se renforcer les oligopoles même en l’absence de justification économique. Si France Telecom se lançait dans cette opération ce serait plus pour acheter des parts de marchés et s’assurer une « position » incontournable en Europe que pour générer de la valeur ajoutée pour ses clients et ses actionnaires. Autrement dit, elle suivrait la pente que suit assez naturellement ce type d’institution économique, il suffit de suivre les aventures d’EDF dans l’énergie pour s’en convaincre. Une telle opération serait le contrepoint exact de l’investissement réalisé par Deutsche Telekom au capital de l’opérateur grec OTE qui détruit objectivement de la valeur pour les actionnaires de l’opérateur allemand. Seuls les sphères dirigeantes de la société pourraient tirer un profit quelconque de cette dynamique dont l’étude déborde manifestement le seul cas de France Telecom. Ce n’est toutefois pas sans surprise que nous constatons que la « concurrence » et l’« ouverture du marché » ont pour corollaire pratique une organisation oligopolistique à l’échelle continentale. Le tout sans que les marges n’aient bougé d’un iota. Schumpeter avait pourtant bien pris la peine de démontrer que la « route de la servitude » pouvait se cacher aussi bien dans le socialisme que dans le corporatisme triomphant. Ludvig Von Mises, Frederik Von Hayek revenez, ils sont devenus fous !
Pour conclure avec optimisme
Notre gouvernement actuel a fait du ballon d’essai sa principale stratégie de communication et, pour tout dire, sa seule politique. Le sauvetage d’Alcatel est à l’étude, c’est du moins ce que des rumeurs récurrentes laissent à entendre. Il y a fort à parier qu’un tel projet ressort probablement des hypothèses explorées, et il fait débat, ce qui explique qu’il surgisse dans Le Figaro. Espérons que, comme de nombreux projets abandonnés ces derniers mois, il retournera lui aussi aux limbes dont il n’aurait jamais dû sortir. Et comme il faudra bien sauver Alcatel, gageons que de l’argent public sera encore dépensé en pure perte pour une société dont le principal métier, désormais, est le transfert de technologie à la Chine via sa filiale Shangai Bell. Comme nous l’avons écrit plus haut autant le faire officiellement.
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