Frenchwashing : une tendance très lucrative
La production française s’impose comme un argument de vente des plus convaincants en France comme à l’étranger. Mais en l’absence de cadre précis et de définition claire du concept made in France, il est plus que jamais utile de rester prudent quant à une éventuelle utilisation abusive de la "marque France".
L’image de marque de la France apparaît comme une valeur montante dans le monde du marketing. Il s’agit là d’une tendance importante qui prouve que le rayonnement de notre pays jouit encore d'une aura toute particulière dans le monde. Si la réceptivité systématique des marchés étrangers à la culture et au savoir-faire français existe bel et bien, on peut néanmoins se demander ce qui incite de plus en plus d'entreprises françaises à se prévaloir de l’étiquette « made in France » sur le marché domestique. L'esprit patriotique, peut-être ? L’interrogation est d’autant plus grande que l’on s’aperçoit que certaines entreprises s’engagent dans cette veine... sans pour autant réaliser une partie significative de leur production dans l’Hexagone.
La force du made in France…
Le made in France est en pleine explosion sur le marché national. On connaissait l’engouement des consommateurs étrangers pour les produits français, notamment dans le secteur du luxe. Il semblerait que cette fièvre touche désormais les Français eux-mêmes ! C’est en tout cas ce que rapporte Xerfi qui publiait en décembre 2010 une étude au titre éloquent : Les nouveaux Eldorados de la filière alimentaire. D’après Xerfi, le marché de la production locale et régionale a en effet cru de 0.4 % en 2010 ce qui justifie qu’on les considère comme de sérieuses opportunités. Ces conclusions sont partagées par le CREDOC qui publiait en mai 2011 les résultats d’une enquête réalisée un an plus tôt : « près de deux Français sur trois (64 %) se déclarent, en 2010, prêts à payer plus cher des produits industriels fabriqués en France plutôt que hors d’Europe ».
Partout en France, des entreprises profitent de cette tendance favorable au made in France pour développer une image de marque locale et porteuse. C’est par exemple le cas de Rossignol, entreprise au parcours significatif puisqu’après s’être délocalisée en Chine, elle a fini par rapatrier sa production en France. À l’occasion d’un entretien avec Le Journal du Net, le directeur financier de l'entreprise, François Chauvet, s’en explique : « on a remarqué que le consommateur attachait de plus en plus d’importance à la traçabilité du produit ». Depuis qu’elle a opéré ce retour sur son site de production historique en Haute-Savoie, l’entreprise Rossignol a renoué avec la performance et généré 3 millions d’euros de bénéfice net lors de son exercice 2010- 2011.
Autre démarche significative : celle de Toyota qui se trouve en campagne depuis maintenant plusieurs années pour faire valoir auprès des consommateurs hexagonaux sa « Yaris Française ». Pour cela, le constructeur japonais a fait implanter le site de production de la Yaris à Valenciennes dans le Nord-Pas-de-Calais en 2001 et son bureau d’étude à Sophia Antipolis. L’enjeu pour Toyota ? Obtenir la certification « origine France garantie » qui se trouve être la plus restrictive en la matière. D’après Le Figaro, Toyota estime « qu’il s’agit d’un avantage concurrentiel réel par rapport à des marques françaises qui ne pourraient pas l’obtenir pour l’ensemble de leurs gammes ».
À l’heure du patriotisme économique, le made in France constitue un argument de vente indéniable sur les marchés étrangers autant que sur le marché national. Mais alors que certaines entreprises s’efforcent de faire preuve de transparence pour se l’approprier, d’autres entreprises profitent du flou relatif qui demeure sur les critères de définition du produit local. Au détriment des producteurs de bonne volonté, et surtout de la crédibilité du concept.
… Et l’écueil du Frenchwashing
Il n’existe à ce jour pas de définition canonique du made in France. Une multitude d’appellations et de labels se côtoient pour former un pandémonium où plus rien n’a vraiment de sens. La mention « made in France » ne prouve ainsi seulement que la valeur ajoutée d’un article a été produite en France à hauteur d'au moins 45 %. Dans le but de donner plus de consistance au concept de « produit français », le label « origine France garantie » a été créé par l’association d’entreprise ProFrance. Ses critères son simples : pour être éligible, un produit « prend ses caractéristiques essentielles et sa forme distinctive en France », et « 50 % à 100 % du prix de revient unitaire de ce produit sont acquis en France ». L’attribution du label est conditionnée à un audit réalisé par le bureau Véritas Certification et il constitue donc à ce jour la référence en matière de production hexagonale.
Si des entreprises comme Rossignol, Toyota et d’autres font l’effort d’inscrire leur démarche dans la dynamique de transparence initiée par ProFrance, la course au made in France prend parfois des allures de mascarade. Faute de cadre normatif harmonisé à l'échelle nationale, des entreprises se prévalent volontiers de leur proximité à la France alors que l’essentiel de leur activité est réalisé à l’étranger. Par exemple, Armor Lux présente la promotion des « produits régionaux » de Bretagne comme l’un de ses premiers engagements à côté de la qualité alors même qu’elle ne fabrique que 40 % de ses produits dans ses usines françaises. Le reste est fabriqué chez les sous-traitants de la marque, pour la plupart au Maghreb, les autres étant asiatiques, bulgares ou roumains. Ainsi, « Les uniformes de la Police nationale, de la SNCF ou de la Poste, sont fabriqués en Tunisie ». Entreprise de confection d’espadrille fondée en 1935, Pare Gabia est un autre exemple du genre : elle ne dispose plus aujourd’hui d'aucune usine en France puisque l’intégralité de sa production est réalisée en Tunisie. Cela ne l’empêche pourtant pas de se présenter comme une « marque française » et d’arborer un logo affichant fièrement le mot « France ».
Difficile de dire si ces exemples sont dus à la stratégie de communication ou à l'attachement naturel des dirigeants au passé de leurs entreprises. Quoi qu’il en soit, ils illustrent bien comment est entretenu le flou sur la réalité du made in France à l’heure actuelle. Or ce phénomène est préjudiciable pour les entreprises qui jouent le jeu de la production locale. Thierry Moysset, patron de la Forge de Laguiole en témoigne dans les colonnes du magazine L’Entreprise édité par L’Express : « faute de loi, chacun peut raconter aux consommateurs ce qu’il veut », regrette-t-il, « mes produits entièrement fabriqués en France se perdent parmi ceux dont la vertu n’est pas acquise ». Le message est explicite : ce qui manque au made in France, c’est un cadre légal qui permette de faire le distinguo entre le produit réalisé en France, celui qui est simplement issu du terroir français et enfin celui qui ne serait que pure argument commercial et fallacieux.
À la façon de ces entreprises qui, il n’y a pas si longtemps, croyaient vraiment pouvoir berner le consommateur en lui présentant un message promotionnel emprunt d’écologie sans que celui-ci ne renvoie à aucune réalité tangible, certaines entreprises cherchent aujourd’hui à surfer sur la vague du patriotisme économique en se présentant comme des producteurs français. Il se dessine ainsi une pratique nouvelle : un « frenchwashing », qui serait au made in France ce que l’écoblanchiment est à l’écologie. Ce type de pratique n’a rien d’anodin. On peut tout d’abord la considérer comme une tromperie du consommateur. Mais c’est aussi un sérieux coup bas porté aux entreprises françaises qui, pour certaines, ont véritablement pris le pari de la production locale, se battent pour conserver les emplois en France et continuent de faire vivre les savoir-faire nationaux contemporains, et traditionnels. On ne peut que regretter l’absence de texte de loi pour encadrer ce sujet, car nul doute que les entreprises en seraient les premières bénéficiaires : l’intérêt des consommateurs pour la production française est une chance qu’il est normal d’exploiter, mais cette opportunité ne vaut rien si elle ne renvoie pas à une réalité tangible édictée par la norme.
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