Gamelle, gabelle et game-over

Cette pico-mesure est censée compenser, au moins partiellement, le manque à gagner créé par l’interdiction à venir de fumer dans tous les lieux publics, y compris les bars accueillant ces machines automatiques...
Avant de fustiger le caractère anecdotique de cette annonce et d’en profiter pour montrer, une fois encore, via cet exemple dérisoire, l’absurdité de notre système fiscal, rappelons les faits...
Cette taxe par appareil, acquittée par l’achat d’une vignette auprès des services de douanes, a été pérennisée en 1968, en assimilant ces machines à des "spectacles de 5e catégorie", et correspond à un montant allant de 16 euros à 368 euros suivant la taille de la commune et la commune d’installation elle-même : nos fiscalistes ont fait simple, comme toujours...
Sachant que l’établissement accueillant la machine perçoit entre 20% et 50% des sommes insérées dans ladite machine (le reste étant gardé par l’exploitant du parc de machines), qu’il doit acquitter la TVA à 19,6% sur ces gains et cette fameuse taxe sur les spectacles de 5e catégorie, on s’aperçoit qu’un flipper coûte de l’argent à l’établissement l’accueillant, dans les cas les plus défavorables et si mes calculs sont justes, s’il ne permet pas la réalisation d’un chiffres d’affaires minimal de 2300 euros par an. Dorénavant, la taxe étant portée à 5 euros par an, le point d’équilibre se trouve vers 30 euros !
Le déclin de cette industrie du jeu automatique a été vertigineux au cours des trente dernières années : la filière comptait 16 000 emplois en 1970 pour moins de 3000 aujourd’hui, chaque jour 55 machines (on en compte encore environ 100 000) retournent dans les ateliers, faute d’avoir trouvé la rentabilité dans un bistrot d’accueil, et chaque semaine quatre sociétés d’exploitation de jeux automatiques font faillite...
Cette désaffection pour le baby-foot ou le flipper n’est certes pas un phénomène purement fiscal. Nos lycéens et étudiants actuels leur préfèrent, en effet, les consoles de jeux (de salon ou portable), mais la "pression fiscale" présentée plus haut n’a fait qu’accélérer la disparition des machines et, par conséquence, des habitudes de jeu.
Toute cette histoire appelle les remarques suivantes :
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La taxe avant réformette représente au niveau national une collecte de 9 millions d’euros (à savoir "epsilon" à l’échelle du budget de l’Etat) qui vont fondre aux environs de 500 000 euros, soit de quoi payer (coût total chargé) une grosse quinzaine de fonctionnaires sur l’ensemble du territoire français : il est à peu près évident que continuer à collecter cette somme ridicule va coûter beaucoup plus que le montant perçu !
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La mesure est censée créer 600 emplois (un pour 50 à 100 machines déployées), ce qui est une goutte d’eau dans l’absolu et en comparaison des milliers d’emplois détruits dans le passé mais qui montre bien qu’alléger le fardeau fiscal d’une industrie (ou d’un pays) déclinante est la seule façon de redonner un certain dynamisme au marché du travail...
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Cette taxe a été introduite et maintenue depuis plus de trente ans pour lutter contre le "baby foot/flipper au noir" : nos députés, qui aiment bien s’occuper des détails, ont, d’ailleurs, planché en 1996 sur l’utilisation exclusive de cartes à puces comme moyen de paiement donnant ainsi "toutes les garanties au Trésor public" ! A cela, on peut répondre deux choses. D’abord, la collecte des pièces dans le monnayeur est faite par les sociétés d’exploitation en présence du bistrotier, ce qui signifie qu’il faut qu’il y ait une parfaite connivence entre ces deux acteurs pour mettre du beurre dans les épinards. Enfin et surtout, cette "taxation universelle acharnée" ne laisse aucune flexibilité à un secteur où les conditions de travail sont dures, la rentabilité précaire et les salaires de base faibles, et c’est la meilleure recette pour tuer les emplois ou les rendre totalement inattractifs (j’avais déjà abordé le sujet dans Service non compris). Sans doute préfère-t-on favoriser les "chômeurs professionnels", qu’ils soient des débrouillards isolés ou organisés au sein de filières que l’actualité a révélées récemment !
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La filière des jeux automatiques n’a pas su innover au sein du cadre légal et fiscal qu’on lui a imposé. Faite de milliers de TPE, il était difficile de lui demander d’inventer la killer machine et, quand elle a proposé à maintes et maintes reprises la légalisation des "appareils récréatifs à mise et gain limités" (du genre de la Rotamint germanique), elle a essuyé une fin de non-recevoir car elle proposait de venir rogner sur le sacro-saint chiffre d’affaires de la "Française des jeux de grattage" !
Petite histoire, petits montants, nano-réforme, vertigineux déclin d’un petit business, mais plus d’une dizaine de milliers de jobs détruits et, surtout, excellente illustration de cette mort lente à petit feu, ordonnée, pour la France entière, par son administration fiscale, et malheureusement inéluctable, vu l’impuissance réformatrice de nos hommes politiques.
Tilt ! Game over !
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