Gilets jaunes, grèves et crise du modèle français
Qu’est-ce que le modèle français ? existe-t-il vraiment ? Avant de pouvoir affirmer ou infirmer que ce modèle est en crise, il convient d’en préciser les contours, d’expliciter ce que l’on entend par modèle français. Il est exact d’affirmer qu’il existe un singularisme français, et celui-ci tire son origine de l’histoire millénaire de la France. La France s’est constituée en tant qu’État sans discontinuité depuis plus de 1400 ans, une longévité exceptionnelle en Europe. Fille aînée de l’église, mais en même temps terre du Gallicanisme, la France a dans une Europe très chrétienne et soumise à l’autorité du Pape, très tôt adopté une indépendance de fait vis-à-vis de toute tutelle religieuse, cela fera le lit de l’éclosion des Lumières et par la suite de la Révolution.
Le modèle Français est donc avant tout un savant mélange de puissance étatique couplé à une distanciation des velléités d’absolutisme tutélaire du Vatican. Distanciation qui prendra tout son sens avec la Loi sur la Laïcité de 1905. Le tout étant assortis d’un fort penchant pour l’égalitarisme né avec l’esprit des lumières et repris dans le triptyque républicain, Liberté, Egalité, Fraternité. Le modèle français remonte donc à très loin et ses effets touchent l’ensemble de la société française, l’univers religieux, le monde du travail, la conception de la liberté d’expression, mais aussi la symbolique politique. Or ce modèle est en crise, et cette crise provient en fait de sa nature profonde, de son histoire. Car le modèle français dans sa conception de la société porte en lui le germe de sa propre crise. Et qu’en raison de son histoire et d’archaïsme prégnant, le modèle économique Français est pour le moment incapable de s’adapter aux bouleversements du XXIe siècle.
Toute l’Histoire de France pourrait se résumer à la volonté de centraliser, de parvenir à une verticalité du pouvoir. Car en France à la différence de pays comme l’Allemagne ou l’Italie, l’État précède la nation. On se souvient de la célèbre phrase de Louis XIV « l’État c’est moi ». L’ancien régime avait déjà pour but de soumettre l’ensemble des provinces à un seul pouvoir celui du Roi, celui-ci était en lutte constante face aux désirs d’émancipations des seigneurs locaux ou des cités bourgeoises. Mais plus que la royauté, c’est la révolution avec le Jacobinisme et enfin Napoléon qui pousseront à son paroxysme cette logique de centralisation administrative. Après Versailles, c’est à Paris que tout devait se décider, poids et mesures, taxes et autres impôts. La République en s’installant dans les palais de la monarchie a ainsi parachevé l’unification culturelle, linguistique et juridique du pays.
Ainsi s’est développé chez le français le goût pour les solutions venues d’en haut. Ce qui explique notamment la place prépondérante de la politique en France, au détriment de l’économie ou de l’entreprenariat. Avec pour conséquence la multiplication des réformes de fonctionnement institutionnel où les réformes sociétales aux détriments des réformes économiques, qui sont bien souvent d’ailleurs sacrifiées sur l’autel de la politique. Ce goût pour la politique explique également la tendance à privilégier parfois des solutions radicales. Un permanent désir de vouloir écrire une nouvelle page, si les Américains ont conservé la même constitution depuis 1776, les Français en ont adopté depuis 1789 une bonne quinzaine, sans compter les réformes constitutionnelle. Tout cela au nom d’une vision de l’Etat presque messianique, l’État peut tout, et s’il ne peut pas c’est uniquement en raison d’une carence institutionnelle.
Les appels actuels à passer à une VIe République relèvent encore de ce raisonnement. Certes du chemin a été fait depuis la création des préfets en 1800 par Bonaparte, un véritable effort de décentralisation a été consenti avec la création des régions en 1982 puis des métropoles en 2014. Mais l’État par le biais des Préfets de Région ou par le levier financier conserve un contrôle étroit sur les territoires de la République en se gardant bien d’élargir les prérogatives des collectivités territoriales. Cela évidemment au détriment des populations locales qui voient les déserts médicaux et scolaires avancés à grands pas tant Paris et ses ministères sont loin.
Ce poids de la réglementation et de l’État va bien au-delà des institutions. En France l’État entend avoir son mot à dire sur tout, y compris la religion et la culture. Cette place prépondérante de l’État touche même l’économie et c’est d’ailleurs ce qui avait fait dire à l’économiste et ancien directeur du journal le Monde Jacque Lesourne que : « la France est une Union Soviétique qui a réussi ». D’autant qu’en France l’économie de marché ne va pas de soi, et cela est certainement dû à des considérations historiques. Le poids du catholicisme a toujours été important dans la société, et celui-ci est viscéralement critique visà-vis des forces de l’argent, cela jumelé à un état excessivement centralisateur qui a empêché la naissance d’une société ouverte et concurrentielle comme ce fut le cas dans les pays protestant tel que l’Angleterre ou les Pays Bas.
Le dirigisme économique français remonte à loin, déjà sous Colbert, les manufactures royales était une tentative de faire de la France un producteur de biens de qualités comme pouvait l’être certaines régions italiennes ou l’Angleterre. Ces expériences se renouvelleront à la Révolution et après avec les ateliers nationaux destinés à accompagner l’industrie naissante et à donner du travail au chômeurs. Un véritable secteur industriel privé a néanmoins fini par émerger mais toujours sous le regard suspicieux de l’Etat devant ses capitaines d’industries susceptibles du fait de leurs richesses de disputer le pouvoir politique. Ces grands capitaines d’industries ont donné naissance à des entreprises devenus multinationales, la France à la différence de l’Allemagne et de son capitalisme Rhénan est avant tout un pays de multinationales tel que Total, Renault, Groupe Bolloré, où L’Oréal. Mais ces grandes entreprises ont pour beaucoup délocaliser leurs productions industrielles dans les pays émergents, engendrant de facto une désertification industrielle qui a durement touché des régions entières : Nord-Est de la France, Vallée du Rhône, Région Marseillaise, et a profondément changé la structure de l’économie française.
La France est désormais une économie de service. Le tourisme, la restauration, les banques, les services à la personne sont désormais les secteurs les plus importants, mais ceux-ci, s’ils sont pourvoyeurs d’emplois, sont souvent pourvoyeurs d’emplois mal rémunérés, ce qui participe au marasme économique que la France subit depuis bientôt quarante ans. Evidemment la conséquence naturelle de ce marasme économique, c’est le fait que le citoyen se tourne naturellement vers l’État lorsque le travail manque. Par conséquent, en France le poids de la fonction publique est beaucoup plus élevé que dans le reste des pays de l’OCDE, d’abord parce que comme nous l’avons vu précédemment, la France a toujours été centralisé cela nécessitant une administration pléthorique, mais aussi car lorsque le travail vient en manquer, l’État a toujours fait du recrutement de fonctionnaire un moyen de faire baisser le chômage et la pression sociale que celui-ci exerce.
En 2017, 1000 milliards de dollars auront été consacré à la politique sociale. Celle-ci couvre tous les aspects de la vie, enfance, vieillesse, chômage, lutte contre la précarité. La France étant un pays de recherche constante de l’égalité, Chateaubriand disait déjà des Français que « l’égalité seule est leur idole », la lutte contre les inégalités par le biais de la redistribution est fondamentale. Mais pour exister ce modèle social nécessite d’importantes ressources prélevées principalement sur les entreprises et les citoyens. Malgré un taux de syndicalisation parmi les plus faibles d’Europe, assurances chômages, et sécurité sociale continue d’être négociés selon la méthode paritaire et toujours sans succès. Les réformes de ce modèle à bout de souffle et qui grève les finances de l’Etat sont souvent impopulaires et faite à minima par les pouvoirs publics.
Enfin un code du travail extrêmement rigide dissuade parfois les PME-PMI d’employer plus de personnel, bridant par la même leurs potentiels de développement. Les tentatives d’introduire plus de liberté et plus de flexibilité dans le code du travail que ce soit au travers des lois Macron ou de la Loi El Khomri se sont traduites par des manifestations massives. Ce modèle social que beaucoup disent intenable financièrement, François Fillon parlait déjà en 2008 d’une « France au bord de la faillite » n’est surement pas prêt d’être réformés malgré son inefficacité de plus en plus patente, la crise des gilets jaunes en étant un des preuves les plus récentes, et l’actuelle fronde contre la suppression des régimes spéciaux de retraites est l’une des traductions concrètes des résistances qui se dressent chaque fois qu’une tentative de réforme est annoncée par les pouvoirs publics.
En réalité le modèle français existe bel et bien, mais ce modèle n’est pas seulement en crise, il est en fin de vie. Les français tentent de faire survivre un modèle du XXe siècle, qui n’est en fait ni tenable, ni souhaitable. En effet les défis qui attendent la France sont nombreux, participations des citoyens à la décision politique au niveau local et en dehors des élections, cohésion de la société dans une époque de diffusion rapide des idéologies extrémistes, et surtout au niveau économique, probable fin du salariat avec l’ubérisation et la robotisation. Tous ces changements dont nous connaissons déjà les prémices nécessitent une vision nouvelle, et des réformes audacieuses qui seront peut-être impopulaires. Mais le courage politique c’est aussi et surtout tracer le chemin d’une voie nouvelle, qu’un vieux pays comme la France devra nécessairement emprunter, au risque sinon de sortir définitivement de l’Histoire.
14 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON