Hayek voulait dénationaliser la monnaie
Friedrich August von Hayek (1899-1992), héritier de l'école autrichienne, né autrichien s'installant en Angleterre au début des années 1930 (et naturalisé par la suite), attiré par la London School of Economics qui avait besoin d'un renfort dans la rivalité qui l'opposait à l'Université de Cambridge où Keynes dirigeait la faculté de sciences économiques. Il est un des économistes les plus importants, connu pour son radicalisme libéral également présent dans ses ouvrages philosophiques.
On sait que les banques commerciales créent de la monnaie en accordant des crédits à l'économie ; mais il s'agit toujours d'une monnaie nationale contrôlée par une banque centrale publique. Soucieux de la valeur de la monnaie, Hayek ne fait pas confiance à ce système : les autorités et les banques sont trop tentées par la facilité consistant à créer trop de monnaie pour booster l'économie et l'emploi et financer les dépenses publiques. Il propose donc que les banques créent des monnaies privées qui leur sont propres et qui seraient mises en concurrence.
En 1976 paraît l'essai « Denationalisation of Money : The Argument Refined ». Pour Hayek, virulent opposant de toujours à l’intervention de l’Etat dans l’économie, la proposition de mettre fin au monopole de l’Etat sur l’émission de monnaie fiduciaire est une évidence. Il s’étonne qu’elle n’ait jamais été examinée sérieusement auparavant.
Les banques commerciales qui le souhaitent dispenseraient des crédits, géreraient les comptes de leurs clients et émettraient des billets de banque dans une monnaie qui est leur propre création ; il coexisterait donc de nombreuses monnaies indépendantes. Les monnaies publiques existantes disparaîtraient rapidement, incapables de faire jeu égal avec des monnaies mieux gérées parce que privées[1].
Supposons que nous pouvons observer le système en fonctionnement et décrivons-le. La « banque Hayek » émet des « ducats » ; à cette fin, elle dispose de deux canaux : elle achète au public intéressé d’autres monnaies et elle consent des prêts en ducats. A l’origine, elle avait déterminé un panier de produits, le plus probablement des matières premières cotées, qui servira de référence pour sa valeur tout au long de son existence. Le robinet des émissions s’ouvre plus ou moins grand selon l’évolution du cours de la monnaie par rapport à la valeur de ce panier. L’objectif de la banque est de garder ce rapport constant. Le public est abondamment informé des écarts, notamment par la presse. Si la banque Hayek applique une politique d’émission trop laxiste par des taux d’intérêt débiteurs trop bas, le public se méfie de sa monnaie ; par le jeu de l’offre et la demande le cours du ducat baissera par rapport à celui des autres monnaies. Si la banque Hayek a une obligation primordiale, c’est bien d’échanger les ducats qui lui reviennent ; l’incapacité de l’assumer implique la faillite. Une telle perspective suffit à insuffler les bons réflexes aux banquiers. Hayek croit à la discipline imposée par les marchés. En plus du droit d’émettre de la monnaie, il préconise la dérégulation de l’activité bancaire.
Le système monétaire prôné par Hayek fonctionne sans banque centrale. Quant au concept de politique monétaire, il devient sans objet.
Tous les salariés ne reçoivent pas leur salaire dans la même unité monétaire. Les commerçants sont motivés pour accepter un large éventail de monnaies. L’étiquetage des prix est, certes, un peu compliqué. Le paiement électronique facilite les transactions.
On ne peut exclure qu’une monnaie mal gérée défaille complètement. Les droits et obligations à long terme libellés dans cette monnaie ne s’effaceraient pas pour autant ; les tribunaux y veilleraient. Par contre, les détenteurs de liquidités seraient délestés de leur avoir.
Le but ultime de cette réforme est de prévenir l’inflation, que Hayek considère comme le mal absolu. L’inflation rend approximative la comptabilité des entreprises et donc les actions fondées sur elle. Elle favorise l’accroissement des dépenses publiques au-delà des recettes, puisque l’emprunt sera remboursé au rabais. Or l’histoire monétaire se révèle être la sempiternelle répétition d’un scénario de dépréciation des monnaies. Parlant de l’inévitabilité de l’inflation sous le régime actuel, il écrit : « But I believe that it will lead to the destruction of our civilisation unless we change the political framework »[2]. L’avantage d’opérer toutes ses transactions avec une seule monnaie monopolistique a un coût que le public trouvera excessif lorsqu’il le comprendra. Avec la concurrence entre les monnaies, l’inflation ou la déflation généralisées se révéleront impossibles. Pastichant Adam Smith, Hayek écrit : « Good money can come only from self-interest, not from benevolence »[3].
Comme la politique monétaire, la théorie quantitative est également frappée d’obsolescence. Hayek reste fidèle à la conception de la monnaie de son ouvrage antérieur « Prices and Production » (1931), si ce n’est qu’il ne croit plus qu’une monnaie peut être neutre (cf. ci-dessous). Il reproche aux monétaristes d’ignorer l’effet de la monnaie sur les prix relatifs et sur la structure de la production.
Pour contrer les effets indésirables de l’inflation sur la répartition des revenus, Milton Friedman avait préconisé l’indexation des contrats, envisageant non seulement les salaires mais tous les revenus fixes, y compris l’intérêt des fonds d’Etat. Hayek dénonce cette solution. En allégeant certains maux causés par l’inflation, on la rend plus tolérable, ce qui affaiblira la motivation pour l’extirper.
A plus d’une reprise, Milton Friedman, leader des monétaristes, bien que compréhensif envers le souhait de remplacer les monnaies publiques par des monnaies privées, jugera la réforme monétaire proposée par Hayek utopique. Il doute que le public abandonne les monnaies auxquelles il est habitué.
On peut s’étonner que Hayek n’est pas plus sensible au fait que son système ferait peser un risque permanent sur les épaules des agents économiques : perte des économies en cas de faillite d'une monnaie, perte de pouvoir d'achat si on a mal choisi sa banque. C'est à un casino que Hayek nous invite. L'aversion pour le risque, caractéristique normale de l'agent économique moyen, suffit à rendre ce système absurde.
[1] On connaît la loi de Gresham selon laquelle « les mauvaises monnaies chassent les bonnes », entendant par-là que les acteurs économiques voudront écouler les mauvaises monnaies dans leurs transactions afin de conserver les bonnes. C’est un peu le scénario inverse que prédit Hayek, mais il rappelle que la loi de Gresham s’applique à des monnaies entre lesquelles existe une parité fixe.
[2] Hayek (von) Friedrich A. (1990) Denationalisation of Money- The Argument Refined, The Institute of Economic Affairs, London p. 84
[3] Hayek Ibid p.
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