Idées reçues sur le chômage (suite)
Après les idées fausses sur les causes, les idées fausses sur la façon de régler le problème. Les auteurs, Pierre Cahuc & André Zylberberg, n’y vont pas de main morte.
7 - Yaka collectiviser l’économie. Déjà tenté et dangereux.
Outre que cela a déjà été tenté, avec la pénurie, l’élitisme policier et les millions de morts par famine ou par opposition... Qu’on le sait, l’économiste du tiers-monde Amartya Sen cité, prix Nobel 1998, avance un argument puissant : on « a tendance à juger le marché sur ses résultats, c’est-à-dire à l’aune des revenus et des biens qu’il procure. Cet aspect mérite d’être considéré. Mais il existe un argument plus immédiat en faveur de la liberté du marché, il se résume, tout simplement, à l’importance de cette liberté elle-même. Nous avons de bonnes raisons d’acheter, de vendre, d’échanger et de conduire notre vie sur un mode qui exige l’existence de transactions. Un déni de liberté sur ce terrain constituerait, en soi, un grave échec pour la société. » (in « Un nouveau modèle économique », O.Jacob 2003, cité p.41
8 - Yaka baisser la durée du travail. Pas prouvé.
« L’idée selon laquelle l’économie d’un pays et, a fortiori l’économie mondiale, contient un nombre fixe d’emplois ou d’heures de travail devant être partagés d’une manière ou d’une autre, est fausse. » p.46 Les « 35 heures » sont une mesure sociale, pas une mesure pour créer des emplois dans les faits, malgré l’objectif affiché. Les auteurs déclarent : « en dernière analyse, l’impact de la réduction du temps de travail sur l’emploi dépend de la manière dont elle affecte la compétitivité des entreprises. » p.61 L’adoption d’une organisation plus performante permettra d’absorber le surcoût, inévitable malgré les aides d’Etat à court terme. Les auteurs citent une étude de Jennifer Hunt sur les réductions de travail effectuées par branches en Allemagne entre 1984 et 1994. Leur conclusion : « l’expérience allemande de partage du travail a donc permis à ceux qui ont conservé leur emploi de bénéficier d’horaires moindres sans perte de salaire, mais n’a pas contribué à faire baisser le chômage. » p.63
9 - Yaka créer des emplois publics aidés pour insérer les jeunes dans le privé. FAUX
Barbara Sianesi, citée par les auteurs, a étudié le modèle suédois et, parmi les mesures tentées, les créations d’emplois non permanents dans le secteur public. Elle « trouve que, comparée à la moyenne des parcours des simples chômeurs n’ayant participé à aucun programme, les chances de retour vers un emploi « régulier » (un emploi non aidé) sont sensiblement plus faibles, tout au long des 5 années de suivi, pour les personnes ayant bénéficié d’un emploi temporaire dans le secteur public. » p.181 Ces emplois n’augmentent pas les capacités de ceux qui les occupent et envoient un mauvais signal aux employeurs, semble-t-il. Mieux vaut subventionner directement l’emploi privé, ce que l’étude montre comme la mesure la plus efficace dans la pratique. En France, un suivi par la DARES (mais depuis 2002 seulement en raison des résistances à toute évaluation qui viendrait contrarier le discours « politique » sur le sujet) montre le même phénomène pour les contrats emploi-solidarité : il « diminue les chances de retour vers l’emploi régulier de celui qui en bénéficie de 8 points de pourcentage. » p.186 Mais « à l’inverse, dans tous les domaines où l’intervention publique apparaît complémentaire des activités du secteur privé, la création d’emplois publics est susceptible d’augmenter l’emploi privé. » p.189
10 - Yaka taxer les riches. Fausse bonne idée.
Une étude américaine de 2002 (pays où l’on ne se contente pas d’idéologie mais où l’on préfère les faits) montre « qu’une hausse des taux d’imposition des revenus les plus élevés modifie les comportements des personnes percevant ces revenus. (Elles) paient moins d’impôts lorsque le taux d’imposition augmente, ce qui signifie qu’elles diminuent leurs activités ou qu’elles en délocalisent une partie. » p.104 Comme les footballeurs européens qui vont exercer dans d’autres clubs ou les mannequins, ’résidant’ à Londres. Politiquement on peut avoir intérêt à taxer les hauts revenus, à condition de fixer une limite qui ne soit pas confiscatoire au point d’inciter à ne plus travailler. Thomas Piketty, cité, la situe pour la France à 80% du revenu pour la période précédant 1996, mais c’était avant la liberté d’établissement et les réformes fiscales dans le reste de l’Union européenne. Depuis, ce prélèvement serait jugé ’confiscatoire’ bien plus bas, concurrence des partenaires européens oblige. Economiquement, « taxer les riches » ne crée aucun emploi supplémentaire, et apporte peu de moyens à l’Etat, puisque « les riches » sont très peu nombreux en France. « Prélever 10% d’impôts en plus sur les tranches de revenus supérieurs à 8000 euros par mois (ce qui est beaucoup) entraînerait une augmentation des recettes fiscales de l’ordre de 0,02% du PIB (ce qui n’est pas grand-chose) » p.106 Avec le risque de la délocalisation des hauts patrimoines et des activités d’entrepreneurs exercées (voir un récent article du « Monde » sur « la tentation de la Belgique pour certains patrons du Nord). Peut-être faut-il le fairemalgré tout, pour l’harmonie sociale, mais ce n’est PAS cette mesure qui règlera le chômage, au contraire. Il faut donc bien être conscient des effets pervers d’une telle mesure et ne pas afficher « l’emploi avant tout » si on lui préfère la posture politique.
11 - Yaka sanctionner les chômeurs. FAUX sauf si...
La gentillesse des fonctionnaires des ASSEDIC et de l’ANPE qui vous reçoivent est réelle, le temps passé avec eux est parfois utile pour vous orienter dans le maquis bureaucratique de la manie législative et réglementaire qui règne en France (où faire une loi signifie ’régler le problème’). Mais, si vous n’êtes pas illettré, peu qualifié ou recherchant l’un de ces emplois bien classifiés comme « boulanger » ou « maçon », vous avez peu de chances de trouver une aide auprès de ces organismes. Vous ne rencontrez jamais les mêmes personnes, vous n’êtes pas suivi. Pire, selon les auteurs, « si les services publics de l’emploi ne remplissent pas leur part du contrat qui consiste à fournir une aide réelle au chômeur, et se contentent simplement de les contrôler, le système perd alors toute efficacité » p.120 Ce modèle purement neutraliste et bureaucratique, la France est en plein dedans. Et de citer à l’inverse le système suisse, très orienté sur le suivi et la recherche, et crédible quant aux sanctions éventuelles. Le système hollandais, en revanche, garde les sanctions, mais sans contreparties positives, il n’est pas plus efficace que le nôtre. Celui qui vient d’être mis en place, comme d’habitude « trop peu, trop tard », voire ’électoraliste’ pour dire que l’on tente quelque chose, ne réforme pas l’ANPE, il ne sera donc vraisemblablement pas plus efficace.
12 - Yaka mettre plus de moyens. FAUX
« Comparée à d’autres pays, la France se situe dans le peloton de tête pour les aides à l’emploi (public et privé). Selon l’OCDE, ces aides s’élèvent à 1,04% du PIB pour l’année 2000. Tandis qu’elles atteignent 0,08% aux Etats-Unis, 0,68% en Allemagne et 1,12% au Danemark. La Suède ne dépense que 0,6% de son PIB en aides à l’emploi en 2000, alors qu’en 1994 elle en dépensait 1,91% » p.177 Et la Suède est désormais bien plus efficace.
Ce sera l’objet de la 3e partie de ce compte rendu du livre.
Cet article nous livre la suite de la note de lecture du livre de Pierre Cahuc & André Zylberberg. Une réflexion sur l’économie qui devrait permettre de débattre de quelques idées reçues. Partie 1 Partie 3
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