Kidnapping du rêve européen
Qui a jamais prétendu que le projet européen de monnaie unique était simple ? Et comment une devise commune à des nations au développement économique et industriel ainsi qu’à des cycles d’activité parfois divergents est-elle viable ? Le principe essentiel d’une devise « flottante » étant par définition soit de refléter l’harmonie financière du pays émetteur soit de servir de verrou qui sauterait en cas de trop forte pression, l’Euro était fatalement condamné à payer un prix élevé reflétant des niveaux de productivité, des cultures et des langues différents… En fait, avec 17 pays membres, l’accident majeur était inéluctable : ce n’était en effet qu’une question de temps.
Le problème essentiel dépassait largement les cas de la Grèce, de l’Irlande ou du Portugal. Effectivement, comment des nations structurellement faibles auraient-elles bien pu s’imposer à elles mêmes le cœur léger une discipline de fer suite à leur renoncement à tout contrôle sur leur politique monétaire (taux d’intérêts) et sur leur monnaie nationale ? Le bulle immobilière espagnole ne fut-elle ainsi pas le fruit de taux européens anormalement bas eu égard au cycle d’activité de ce pays ? Et la terrible perte de compétitivité italienne ne provient-elle pas d’une monnaie unique tout compte fait peu flexible ? L’Euro était donc damné dès son lancement comme l’union monétaire était appelée à se transformer en machine à déprimer certaines économies qui n’auraient nulle possibilité de se sauver elles mêmes par leurs propres moyens.
Et par quel miracle se redresser du reste en l’absence de tout mécanisme permettant de transférer des ressources des nations ou des régions les plus favorisées au bénéfice de celles menacées de déflation ? Pire encore puisque ces mêmes pays sinistrés étaient poussés à réduire davantage leur niveau de vie à la faveur de coupes salariales et de baisses massives des dépenses publiques. Il était ainsi écrit que la seule manière de parvenir à la cheville de la compétitivité allemande serait de s’enliser davantage dans la déflation au risque d’en étouffer ! De même était-il gravé dans le marbre que nul mécanisme de solidarité ne prendrait le relais en cas de défaillance d’une de ces économies pas tout à fait « intégrées ». Elles seraient livrées à elles mêmes en cas d’incident majeur…
Il leur serait ainsi tout au plus consenti des prêts ayant pour seul objectif de permettre à ces pays mauvais élèves d’honorer leurs engagements tout en les contraignant à se serrer la ceinture. C’est ce scénario en tout cas qui prévalut avec la Grèce et avec l’Irlande dès lors qu’il devint évident que les périls contamineraient à terme l’ensemble de l’Union par la courroie de transmission de son système bancaire. Pitoyable manque d’imagination de dirigeants économiques et politiques européens persuadés qu’il suffit de dépenser moins pour rentrer dans le rang et ce alors même que la charge de la dette s’envole ! Inadmissible manque de clairvoyance d’une élite dirigeante ayant malencontreusement négligé un élément fondamental, à savoir que l’extraordinaire rigueur mise en place ne saurait ramener la croissance sans l’activation du moteur des exportations qui, lui, ne s’allumerait que par la grâce de la dévaluation massive.
Le programme d’assistance du F.M.I. aux pays à la dérive du tiers monde ne comprenait-il pas (jusqu’à une époque très récente) une dévaluation substantielle de leur monnaie censée rétablir leur compétitivité ? Loin de bénéficier de cette soupape vitale qui agit en compensant une inévitable déflation instaurée par les mesures d’austérité par une bouffée d’oxygène apportée par une relance des exportations, les comptes publics d’un pays comme la Grèce ne pouvaient donc que se dégrader… Voilà pourquoi la cruelle rigueur instaurée dans ce pays résulte aujourd’hui en un déficit budgétaire en nette aggravation sur 2011 par rapport à 2010 et ce en dépit de toutes les économies pratiquées.
En d’autres termes, l’Union Européenne doit se préparer à plusieurs plans de sauvetage successifs de ces nations européennes en pleine cure d’austérité et incapables d’honorer leurs engagements. La parade consistant en un défaut (au moins partiel) accompagnée d’une sortie de l’Euro. Les crédits successifs accordés à des nations comme la Grèce ne permettront ainsi que de gagner un peu de temps tout en leur évitant d’entreprendre les indispensables réformes structurelles qui ne sont payantes que sur le long terme. Sauf si l’Europe se décidait enfin à compléter l’union monétaire par une union politique tout en instaurant des mécanismes budgétaires prévoyant des transferts de ressources au sein d’un espace fiscal qui, dès lors, deviendrait unique.
Une telle réalisation serait le couronnement du rêve européen et permettrait de tirer les bons enseignements de cette crise aigue et ce pour le plus grand bénéfice des générations futures. Malheureusement, l’avenir de l’Union ne se décide pas à Athènes ni à Lisbonne et pas même à Paris. Il se décrète à Berlin et à Francfort…
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