L’économie est idéologique
Depuis la fin du XIX° siècle et la révolution marginaliste, les économistes ont cherché à formaliser et modéliser leur matière afin de lui octroyer une légitimité scientifique. La volonté était de dépasser le cadre subjectif de l’économie et d’imposer une neutralité absolue, une crédibilité dans la recherche sans biais idéologique ou historique.
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C’est ici que se situe la frontière entre les sciences herméneutiques, dites les sciences humaines et sociales, et les sciences nomologiques, les sciences dures. Alors que les premières dépendent de l’observation du chercheur et de sa subjectivité dans l’action, du cadre spatio-temporel, les secondes n’accordent aucune place à l’histoire, à l’individu et au biais méthodologique. Seul compte la primauté des modèles et leurs objectivités fondamentales.
QUESTIONS ÉPISTÉMOLOGIQUES
Lorsqu’on souhaite résoudre un problème mathématique ou une équation physique, les démonstrations s’imposent à nous, nous ne sommes pas dépendants de notre histoire, de notre mentalité, de notre culture. Le résultat final sera unique et ne dépendra d’aucune idéologie particulière. Contrairement à l’économie qui est, à l’origine, une véritable science herméneutique, liée à la pensée du chercheur, à sa place, à son statut, à son idéologie. Les réponses apportées par la science économique seront toujours biaisées par l’origine subjective du répondant.
Il est impossible de formaliser, de modéliser le social, de tout ce qui est dépendant de l’économie, de façon totalement neutre. Les hypothèses fondamentales seront toujours liées aux pensées de l’auteur, qu’il affirme telle ou telle considération, elles seront strictement idéologiques et subjectives, il n’y a pas d’objectivité dans les sciences humaines, elles décrivent un réel particulier sans apporter une réponse globale. L’induction logique ne peut avoir sa place dans la science économique.
Cela consiste à passer d’un fait particulier à un fait général, sans prendre en compte les évènements extérieurs. Ainsi, une analyse a posteriori d’un phénomène mineur prendrait une importance majeure pour justifier la mise en place de politiques économiques particulières. A partir d’un raisonnement biaisé et considérablement teinté d’idéologies.
DES HYPOTHÈSES MULTIPLES
Lorsqu’on raisonne en économie, il faut poser des hypothèses fondamentales : quel est l’équilibre considéré ? Équilibre partiel ou équilibre général ? Est-ce que toute chose égale par ailleurs ? Les marchés sont-ils interdépendants entre eux ? Doit-on se référer à un individu représentatif pour comprendre le monde tout entier ? Se situe-t-on dans une analyse holisme qui fait des agents des êtres dépendants de la société dans laquelle ils sont placés ? Ou, au contraire, se base-t-on sur l’individualisme méthodologique, qui fait de l’individu un acteur du social parfaitement rationnel et maximisateur ?
Pour résumer, on pourra construire deux écoles économiques – les orthodoxes et les hétérodoxes – et aucune ne serait capable d’apporter une réponse exacte aux questions posées. Dans la mesure où chaque hypothèse détermine une variable particulièrement aléatoire, les modifier contraindrait le système et les modèles appliqués. Supposons la chose suivante : nous sommes des économistes adeptes de l’équilibre partiel, toute chose égale par ailleurs et nous croyons aux mécanismes d’ajustement automatique, nous nous basons sur la théorie sociale de l’individualisme méthodologique. En définitive nous croyons (et il s’agit bien évidemment d’une croyance) que les agents sont des êtres parfaitement rationnels et adaptables, qu’il n’y a aucune interdépendance entre les marchés et que l’équilibre est et sera toujours naturel. Si crise il y a, c’est tout bonnement du fait d’une trop grande intervention étatique et d’une incapacité donnée au marché à se réguler seul.
L’IDÉOLOGIE DU CHERCHEUR
La question est donc de savoir comment perçoit-on les individus. L’économie est la science des échanges dans un contexte de rareté, comment les agents coopèrent face à un risque de pénurie : chômage, crise de sous-production, déséquilibre macroéconomique, etc. C’est un jugement idéologique et particulièrement subjectif, le chercheur doit décider, pour répondre à la question, si nous sommes des acteurs sociaux capables d’influencer le phénomène ou, au contraire, des individus totalement prédéterminés et façonnés par la société, par les institutions ou par l’origine sociale.
Par exemple, mettre en place une libéralisation du marché du travail afin de lutter contre le chômage, si nous acceptons les agents capables de se battre égoïstement et individuellement pour leur propre réussite personnelle, cela aboutit au bonheur collectif résultant de la somme des intérêts particuliers. Au contraire, favoriser des politiques de soutien de la demande dépend de la façon dont nous percevons les ménages, influencés ou non par leur origine sociale et conditionnés dans l’échec ou dans la réussite. Ici, le tout n’est pas réductible au jeu des parties.
On voit bien ici en quoi l’économie est une science particulièrement idéologique et il serait tautologique de dire que c’est idéologique de le croire. Prendre des décisions économiques c’est déjà prendre parti avec un thème particulier, l’économie est forcément de droite ou de gauche, elle ne peut être neutre, elle ne peut pas séparer les jugements scientifiques et les jugements de valeur. Un économiste va raisonner à partir d’une analyse théorique préconçue, à partir de sa propre philosophie politique et de ses convictions éthiques, consciemment ou inconsciemment.
Un économiste, un professeur, un chercheur doit toujours présenter ses convictions avant d’énoncer ses thèses, il ne peut pas prétendre à la neutralité ou à l’indifférence politique. Son discours est forcément teinté d’idées personnelles et de jugements de valeur qui influencent sa démarche scientifique et ses conclusions pratiques. Il ne peut pas être l’expert adepte de la neutralité axiologique venant sur les plateaux de télévision présenter « les solutions pour sauver la France ». Lorsqu’il s’adresse aux citoyens, il le fait avec une considération particulière.
Les économistes sont des hommes politiques modernes, fidèles à des croyances distinctes. Lors d’un débat, personne n’a raison et personne n’a tort. Comment d’ailleurs le savoir puisqu’il est impossible de formaliser le réel, les vérifications n’ont lieu qu’a posteriori et jamais un économiste pourra reconnaître son erreur. Pour véritablement prendre une décision, il convient alors de connaître tous les tenants et les aboutissants du phénomène : en ces temps de crise économique et de chômage, il n’y a pas de consensus large mais une pluralité de point de vue dépendant des idéologies de chacun.
Pierre Rondeau @Lasciencedufoot
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