L’économie est une science lugubre
En 1849, l’historien Ecossais Thomas Carlyle désigna l’économie comme « une science lugubre ». « Ce n’est pas une science gaie […], [l’économie] est terne […] et particulièrement abjecte et déprimante. Nous pourrions la qualifier, en guise de distinction, de science lugubre ». Ce raisonnement peut encore subsister pour la plupart des observateurs. L’économie tente toujours de justifier l’impossible, l’impardonnable, seulement à partir de considérations théoriques.
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Autrefois, les économistes montrèrent l’erreur de l’abolition de l’esclave car, laissé au seul règne du marché, les anciens esclaves subirent des conditions humaines pires que la servitude. Aujourd’hui encore, les économistes peuvent justifier la rigueur, la crise, les coupes dans les dépenses publiques, certains vont même jusqu’à considérer que les inégalités sont justes dans la mesure où elles arrivent par l’action intentionnelle de l’agent.
DES FONDEMENTS THÉORIQUES
Ce qui compte ce sont les hypothèses initiales, comment doit être appréhendé le raisonnement ? A partir de quel équilibre ? Selon quelle école ? L’économie n’est pas, et ne sera jamais, une science exacte, tout part de l’idéologie et de la croyance des fidèles. Aucune politique économique n’a su montrer son efficacité et à chaque fois qu’une décision est prise, il y a toujours un opposant universitaire pour montrer le fourvoiement.
D’ailleurs, si l’économie était véritablement une science pure, où chacun de ses modèles formalisés, chacune de ses fonctions mathématiques, présenteraient une efficience quasi-parfaite, il n’y aurait plus d’économistes. Revenons à la prophétie de John Maynard Keynes. En 1936, lorsque le célèbre intellectuel Anglais publia « La théorie générale », il prophétisa la fin de l’économie politique dans 100 ans, si toutes ses injonctions étaient respectées. Comme le marché est capable, par le mécanisme d’ajustement automatique, de se réguler seul mais, puisqu’il est facteur de défaillances – nous sommes dans les années 1930 et la crise frappe de plein fouet les populations occidentales – l’Etat peut intervenir pour corriger les problèmes, à travers les stabilisateurs automatiques, et alors tout rentrera dans l’ordre. Plus de chômage, plus de crise, plus de contrainte, plus d’inflation, bienvenue dans le meilleur des mondes.
L’ÉCONOMIE ET LE RÉEL
Or cette prophétie est encore loin d’arriver, les thèses keynésiennes certes ne furent pas respectées après la guerre, et malgré l’intervention de l’Etat, malgré la montée des thèses libérales, les crises continuent et apparaissent comme consubstantielles au capitalisme. L’économie s’obstine à afficher sa volonté d’un changement, d’une réparation et un débat quotidien s’installe entre les tenants d’un régulationnisme étatique et les partisans des thèses libérales et néo-keynésiennes du marché-roi.
Mais, en ce sens, personne n’a raison, personne n’a tort, puisque personne n’a jamais su trouver la réponse. D’ailleurs si elle existait, il n’y aurait plus d’économiste, et la prophétie de Keynes se vérifierait. L’économie n’est ni une science exacte ni une science gaie, elle n’apporte aucune réponse précise, tout n’est qu’affaire d’idéologie dans les débats qui opposent les professionnels de la matière. Même les prévisions sont erronées, quel que soit la doctrine utilisée, toutes les estimations de l’avenir sont fausses, et quand bien même elles le seraient, la « prophétie auto-réalisatrice » est tout de suite soulevée.
Les économistes deviennent des partisans d’un ordre politique obscur et officieux, ce ne sont plus des scientifiques neutres et objectifs. Toutes leurs décisions, leurs recommandations, leurs conseils sont pris sous l’aune d’hypothèses prédéfinies. Pour une même question, selon son opinion et sa classe, on peut apporter des réponses totalement opposées. Lorsque, dans un précédent article, nous montrions la justification marxiste de la rémunération des footballeurs, c’était à partir d’hypothèses bien précises d’une classe théorique particulière sans aucune considération morale et éthique. Seul comptait la réponse économique à apporter. L’économiste ressemble alors de plus en plus à un autiste ignorant le monde qui l’entoure, incapable de sentiment altruiste et philanthropique, il devient la créature qu’il a lui-même créé : « l’homo economicus ».
CAS PRATIQUES
Prenez un exemple, jeudi 6 février, le gouvernement français, dans la lutte pour la biodiversité, prit la décision de détruire toutes les défenses d’éléphants du patrimoine, pour l’exemple. La réaction d’un économiste est de dire « quelle grave erreur ! ». En effet, le prix sur le marché, qu’il soit officiel ou officieux, est déterminé par la rencontre entre l’offre, fonction croissante des prix, et la demande, fonction décroissante des prix. Si, par une action parfaitement humaniste et respectable, l’offre venait à se réduire, en supprimant une partie du stock des défenses d’éléphants, le prix sur le marché noir devrait exploser. La demande dépassera l’offre et les trafiquants, braconniers vont être incités à accélérer la production d’ivoire, donc le massacre d’éléphants.
C’est la même considération qui sévit lorsqu’on parle du marché de l’immobilier, les prix dans les grandes villes explosent et de plus en plus de ménages éprouvent de grandes difficultés à se loger. La plupart des partis politiques de gauche proposent, pour faire face à l’augmentation du prix, de bloquer les loyers. Or économiquement et seulement économiquement c’est une faute. En effet, le prix est censé se réguler à travers le mécanisme du marché, à travers la relation de l’offre et de la demande. Si les loyers, par une décision politique, venaient à être fixes, les propriétaires et les investisseurs seraient désincités à venir sur le marché et à constituer l’offre. Une pénurie s’installerait alors, ce qui serait encore plus grave que la hausse des prix.
A travers tous ces exemples, on voit bien en quoi l’économie peut être qualifiée de science lugubre, elle n’a aucun égard humaniste, éthique ou moral. Les décisions et analyses sont toujours prises à partir d’hypothèses fondamentales hermétiques aux autres sciences humaines ; les footballeurs sont bien payés parce qu’ils répondent à la loi de l’offre et la demande, le massacre d’éléphants perdure mais il est contreproductif de détruire le stock d’ivoire, les loyers sont trop élevés mais les bloquer contraindrait encore plus le marché.
Que faut-il faire alors ? Simplement ne pas donner trop d’importance aux économistes, ce ne sont que les adeptes d’une science lugubre …
Pierre Rondeau @Lasciencedufoot
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