« L’économie sociale est une partie intégrante de la structure socio-économique du Québec »
Au Québec, l’économie sociale bénéficie d’une véritable reconnaissance de la part des décideurs. Interview de Jacques Hérivault, responsable des communications stratégiques du Chantier de l’Economie sociale, organisme qui oeuvre au quotidien pour promouvoir le secteur...
Pour commencer, pourriez-vous nous dresser un portrait de l’économie sociale (ÉS) au Québec ?
Même si nous ne disposons pas d’un portrait statistique global, on peut dire que l’économie sociale du Québec est composée de 7000 entreprises, embauche 125 000 personnes et pèse 17 milliards de dollars canadien (10,4 millions d’euros), soit 6% du PIB québécois. Ses entreprises sont des coopératives et des organismes sans but lucratifs (OSBL) ayant des activités dans plus de 13 secteurs économiques différents.
Contrairement à la France, l’économie sociale québécoise n’est pas un nain politique. L’Etat a conscience de son action structurante. Depuis 1996, date du Sommet de l’économie et de l’emploi, l’ÉS a gagné la reconnaissance des décideurs… Reconnaissance qui a abouti l’année dernière à un plan d’action ambitieux.
En quoi consiste ce plan d’action ?
Il prévoit, entre autres, l’augmentation des financements du Chantier et des pôles régionaux d’économie sociale, qui assurent la promotion et le développement de l’ÉS au niveau régional. Ce plan n’implique pas moins de sept ministères et concerne le développement économique, la santé, les services sociaux, l’immigration, la jeunesse et les autochtones, pour lesquels la création d’entreprises d’économie sociale est parfois indispensable. La réalisation d’un portrait statistique précis de l’ÉS est également prévue par ce plan d’action.
Comment ce plan a-t-il pu voir le jour ?
C’est le résultat d’un travail de longue haleine et d’une adaptation aux alternances politiques. En 1996, le gouvernement dirigé par Lucien Bouchard du Parti Québécois présentait un intérêt marqué pour l’économie sociale. En 2003, un plan gouvernemental comme celui que nous avons obtenu en 2008 devait voir le jour, mais à la veille d’un changement de majorité, il n’a malheureusement pas été voté. Nous avons donc repris notre bâton de pèlerin pour sensibiliser le gouvernement libéral et après cinq années de lobbying auprès des fonctionnaires et des politiques, le Chantier de l’économie sociale a réussi à obtenir le vote de ce plan d’action.
A ce propos, pouvez-vous nous présenter le Chantier de l’économie sociale ?
Le Chantier est d’une certaine manière, la représentation politique de l’économie sociale québécoise. Il a donc une mission de promotion et de lobbying qui s’appuie sur la démonstration des forces des entreprises d’ÉS. Au Chantier, nous défendons l’idée selon laquelle l’économie sociale est une partie intégrante de la structure socio-économique du Québec. Pour nous, l’économie est plurielle et a trois composantes : le privé, le public… et l’économie sociale. Partant de ce constat, l’économie sociale n’est pas un secteur, mais un pôle économique à part entière qui s’appuie sur différents secteurs d’activité.
Le Chantier œuvre également à soutenir l’émergence, le développement et la consolidation d’entreprises et d’organismes de l’économie sociale. Ses membres sont de nombreux réseaux d’ÉS, dont plusieurs siègent au conseil d’administration aux côtés de représentants des mouvements sociaux et des syndicats.
Comment le Chantier s’est-il mis en place ?
Son origine remonte au Sommet de l’économie et de l’emploi qui a favorisé la création d’un groupe de travail composé de nombreux réseaux d’ÉS. C’est Nancy Neamtan, présidente-directrice générale actuelle du Chantier, qui les a réunis. Issue d’un mouvement d’économie sociale de Montréal, elle a senti à l’époque la volonté de ces acteurs d’entreprendre des actions de promotion et de valorisation de manière concertée. Deux ans plus tard, en 1998, ce groupe de travail est devenu le Chantier de l’économie sociale.
Pouvez-vous nous en dire davantage sur les actions de promotion du Chantier ?
Au niveau du lobbying, nous sommes en contact constant avec les décideurs politiques, notamment avec Mme Nathalie Normandeau, vice-première ministre qui a également la responsabilité de l’économie sociale. Nous redoublons d’efforts au moment des consultations prébudgétaires. Nous venons ainsi de publier un mémoire à destination du gouvernement.
Nous entendons également faire connaître les entreprises d’ÉS au grand-public. Nous avons ainsi créé le portail de l’économie sociale qui met en relation consommateurs et entreprises de l’économie sociale. Après deux ans d’existence, 4800 entreprises sont aujourd’hui recensées et pas moins de 40 000 internautes visitent chaque mois ce site internet ! Forts de ce succès, nous souhaitons aller plus loin en développant un espace intitulé « Acheter solidaire » qui fera le lien entre les produits et services des entreprise d’ÉS et les consommateurs.
A vous écouter, on a l’impression d’être à des années lumières de la France où l’économie sociale souffre d’un réel problème de reconnaissance…
Certes, l’économie sociale québécoise bénéficie d’une reconnaissance de la part de l’Etat, mais la situation est loin d’être parfaite. Certains préjugés ont la vie dure : pour certains, l’économie sociale serait une économie de pauvres. On observe une méconnaissance de la part des décideurs, des médias et du grand public. Beaucoup de nos représentants politiques sont par exemple surpris d’apprendre que certaines entreprises d’ÉS œuvrent dans les TIC, dans le multimédia et dans d’autres secteurs que ceux qui viennent spontanément à l’esprit (insertion, services à la personne…).
Cette méconnaissance s’accentue au niveau du grand-public qui a parfois l’impression que l’économie sociale permet à l’Etat de se désengager de certaines de ses missions sociales, notamment celle de la santé.
Les médias ont quant à eux des difficultés à comprendre la réalité de l’économie sociale. Cela vient du fait qu’à part les entreprises privées et l’Etat, on a du mal à imaginer qu’il existe d’autres acteurs économiques. C’est pour cette raison que le Chantier promeut le concept d’économie plurielle.
Question d’actualité : les entreprises de l’économie sociale québécoise bénéficient-elles d’une attention particulière de la part de l’Etat en ces temps de plans de relance ?
Quand on travaille dans l’économie sociale, on a immédiatement le réflexe de se dire que le modèle de l’économie sociale est une réponse à la crise. Les entreprises d’ÉS sont bien plus pérennes que les entreprises privées. Elles ne peuvent être ni délocalisées, ni vendues. Si l’on adopte un langage marketing, on peut dire que nous avons là un produit extraordinaire. Mais l’Etat ne change pas ses habitudes. Il soutient avant tout les secteurs les plus touchés : les banques, l’automobile, le manufacturier, l’industrie du bois et entend relancer l’économie par les infrastructures. On sent que les entreprises d’ÉS ne seront pas au cœur de son action. Pour avoir une chance d’être entendu et prendre part aux débats actuels, il nous faut donc continuer à communiquer en adoptant un message simple et combattre les idées préconçues, qui n’ont malheureusement pas changé avec la crise.
Finissons sur une note positive… Etes-vous optimiste quant à l’avenir de l’économie sociale québécoise ?
Oui, absolument ! L’économie sociale a parcouru un très long chemin. On assiste au développement, et à la progression de multiples secteurs. Nous sommes armés pour l’avenir. L’économie sociale dispose de centres de recherche et d’innovation très performants. Elle peut s’appuyer sur un comité sectoriel pour résoudre ses problèmes de renouvellement de main d’œuvre et sur deux entités financières créées par le Chantier (la Fiducie du Chantier et leréseau d’investissement social du Québec) pour soutenir le développement de ses entreprises. Enfin, elle peut compter sur le Chantier pour défendre l’intérêt de ses entreprises auprès des leaders d’opinion. La synergie de ces quatre éléments - innovation, main d’œuvre, finance et politique - est un des facteurs clés de succès et de progression de l’économie sociale dans les années à venir.
Julien de www.communication-solidaire.com
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