L’économie va très bien, tout va bien, dormez bien (1)
Profits record des multinationales et des grands établissements financiers, record des fusions acquisitions en 2006, records boursiers, OPA des bourses américaines en Europe, échec du cycle de Doha, chute de l’immobilier US, éclatement des classes moyennes aux Etats-Unis et en Europe, baisse du pouvoir d’achat, montée de la précarité, montée des extrémismes... Tout va bien, dormez-bien.
En ouvrant mon quotidien en page économie hier matin, voici les principaux titres que je découvre :
- La City se prépare à des bonus record
- Les Américains à l’assaut des bourses européennes
- Tous les records de fusions et acquisitions seront battus en 2006
Et sous ce dernier titre, l’article commence ainsi : « Le volume de l’année 2000, alimenté par la bulle Internet, est déjà surpassé par les opérations annoncées cette année. »
Wall Street n’a jamais été aussi haut et le Cac 40 est remonté aux niveaux de cette même année 2000. Il paraîtrait que cela est dû entre autres à un excès de liquidités dans le monde. Et le fait est que les entreprises américaines croulent sous les liquidités[1], leurs profits n’ayant jamais été si élevés, et leurs investissements si réduits[2].
Ces liquidités sont si importantes que l’on en est arrivé à la situation inédite où les grandes entreprises jouent le rôle de prêteurs[3] de l’économie dans les pays du G7, alors qu’elles devraient normalement être en situation d’emprunteurs ! Le ratio d’investissement, lui, n’a jamais été aussi bas depuis plusieurs dizaines d’années. Ce qui inquiète la Banque de France et lui fait se demander si la situation est bien « normale »[4]...
Et lorsqu’on réalise l’ampleur du déficit de l’Etat américain, comparé à la situation décrite ci-dessus, on peut se demander si l’économie mondiale tourne bien rond.
La conséquence de cet afflux de liquidités astronomiques (alimenté par seize trimestres consécutifs de croissance à deux chiffres) vient s’ajouter aux autres liquidités astronomiques des fonds de pension : une course effrénée aux concentrations, comprendre OPA ou encore fusions acquisitions. Car des entreprises qui doutent sur l’avenir préfèrent utiliser leurs liquidités pour atteindre leur « taille critique et ne pas mourir[5] » - encore qu’à ce niveau ce soit de la gloutonnerie - plutôt que d’investir dans leur développement.
Mais pourquoi les dirigeants de ces entreprises douteraient-ils, puisque tout va bien, comme l’a dit hier encore Ed Lazear, chef des conseillers économiques de la Maison Blanche en annonçant une baisse de la croissance US en 2006 et 2007 : « ...le chômage est en baisse et les salaires devraient augmenter... Le PIB est en baisse au troisième trimestre mais devrait se reprendre au quatrième trimestre... L’inflation est moins forte que prévu pour 2006... », et d’ajouter, comme autant de signes que l’économie est solide : « ...les prix de l’énergie ont chuté [...] le sentiment des consommateurs est positif et la Bourse a été très solide[6]... ».
Le fait est que les statistiques liées à l’immobilier, parues en fin de semaine dernière, ne sont pas bonnes du tout, et ont jeté un coup de froid sur la communauté financière.
Au moment où j’écris cet article, c’est une autre nouvelle concernant l’indice du sentiment des consommateurs américains qui baisse en ce mois de novembre, ces deux nouvelles entraînant dans leur sillage un dollar à son plus bas cours depuis août dernier[7].
Serait-ce donc le spectre de la récession sur fond de dette américaine colossale, d’éclatement de la bulle immobilière et de chute du dollar, comme annoncé par LEAP/E2020[1] dès février sur AgoraVox[2], qui inhiberait les grandes entreprises ?
Ou bien est-ce l’échec du cycle de Doha et la fin de la mondialisation telle qu’on la connaissait depuis trente ans ?
C’est vrai que si la mondialisation et son cortège de déréglementations à tout va au profit des pays riches - comprendre en majorité les grandes entreprises et les investisseurs institutionnels - s’arrête, personne ne sait comment les investissements et flux financiers de ces derniers seront affectés. En tout cas, ce ne sera pas positivement. Et qui dit arrêt de la mondialisation dit fin de la libéralisation des marchés, et retour au protectionnisme ?
C’est en tout cas ce à quoi songe de plus en plus de monde, Etats-Unis et UE en tête. Balivernes ? Alors pourquoi l’échec de Doha, si ce n’est le refus d’une forme déguisée de protectionnisme[8] ?
La nouveauté depuis quelque temps c’est que même les bourses s’y mettent, les bourses américaines (Nyse et Nasdaq) faisant le forcing pour absorber les deux principales bourses européennes (respectivement Euronext et LES)[9]. La raison officielle de cette attaque en règle provient du fait que les coûts de transactions seraient largement réduits et l’accès des Américains aux bourses européennes renforcé. De plus, le renforcement de la transparence (loi Sarbanes-Oxley 2002) aurait fait augmenter les coûts d’audit de 63% rendant ainsi les places boursières américaines moins attrayantes... Pour des entreprises dont les capitalisations se comptent en milliards de dollars !
Mais, curieusement, on assiste en même temps à la création d’une place boursière pan-européenne concurrente, créée par sept des plus importantes banques d’investissement mondiales[10]. Il est vrai qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même. Leur point commun : ces banques d’affaires (qui n’en ont plus que le nom) génèrent tellement de profits sur la spéculation - 90% de leurs revenus pour certaines, elles investissent même leurs propres capitaux - qu’elles font dire à certains qu’elles n’auraient même plus besoin de clients...
De là à se demander pourquoi ces sept banques, dont quatre sont américaines, Citigroup, Goldman Sachs, Merril Lynch et Morgan Stanley, investissent le marché européen avec autant de précipitation...
Certains seraient tentés d’y voir des rats quitter le navire. D’autres, une façon d’anticiper un retour au protectionnisme. D’autres, seulement une prise de position massive des principaux acteurs financiers en dollars dans la zone euros.
Mais tout va bien, nous dit la Maison Blanche, et Monsieur Paulson son secrétaire au Trésor connaît bien l’économie, son ancien métier est PDG de banque... de la banque Goldman Sachs, justement.
A suivre...
David Carayol
Paris (France)
http://europemondi.hautetfort.com/
Notes :
[1] ProAT.com, paru dans www.letemps.ch
[2] Article La Tribune
[3] Les cent premières entreprises de l’indice S&P ont prêté pour 1300 milliards de dollars en 2005.
[4] Banque de France - Le comportement d’investissement des entreprises est-il normal ? Août 2006
[5] Cette expression largement répandue dans les milieux de l’entreprise est largement utilisée pour justifier la plupart des acquisitions des grosses entreprises.
[6] Le gouvernement Bush abaisse ses prévisions de croissance
[7] Le dollar chute en direction des 1,3 €
[8] Cycle de Doha ou la grande comédie
[9] Les Américains à l’assaut des bourses européennes
[10] Sept banques d’affaires tentent de contourner les bourses européennes
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