L’idéologie managériale
L'idéologie managériale peut être vue comme une continuation de l'idéologie entrepreneuriale. Celle-ci avait été fondée par Adam Smith, si l'on peut dire, dans son Enquête sur la richesse des nations (1776).
Mais l’idéologie entrepreneuriale a été refondée par Schumpeter autour d’une idée centrale, l’innovation[1]. Peter Drucker reprendra cette idée dans les années cinquante.
[1] Théorie de l'évolution économique (1911). Il écrit que « L’innovation est osée ; pour la plupart des producteurs, elle est presque impossible ». Mais si l’un d’entre eux y parvient, « Il réalise alors un gain. Sa contribution n'a été que sa volonté et son action, il a simplement combiné d'une manière neuve des éléments présents. Il est entrepreneur, son gain est un profit. »
Ce que décrivent Burnham et Galbraith, c’est l’apparition d’une nouvelle classe dominante. Trotskyste repenti, Burnham[1] établit un parallèle entre les bureaucraties russes et allemandes, puis étend hardiment sa comparaison à celle qui domina aux Etats-Unis pendant le New Deal. L’Etat « soviétique » ayant fait disparaître la bourgeoisie russe, il croyait voir le même phénomène se produire sous l’impulsion de Hitler et de Roosevelt. Les phénomènes offraient, il est vrai, quelques similitudes, mais la conclusion était hâtive. C’est parce que la bourgeoisie russe était mal établie que la bureaucratie bolchevique avait pu s’y substituer si facilement. Les bourgeoisies allemandes et états-uniennes étaient bien plus solides et le demeurent encore. Cependant sa conclusion était une illusion que semblait partager, à l’époque, Schumpeter, le fondateur de l’idéologie entrepreneuriale. Dans un livre de 1941, il n’hésitera pas à écrire que « loin d'être un obstacle à la démocratie, la bureaucratie en est le complément inévitable »[2]. Mais il ne décrivait pas, comme Burnham, l’apparition d’une nouvelle classe dominante suite au triomphe d’une idéologie révolutionnaire, mais la production d’une nouvelle classe dominante, aux Etats-Unis, par le système économique lui-même : la classe des managers. Galbraith reprendra cette analyse et décrira l’apparition de l’idéologie de cette nouvelle classe qu’il nommera technostructure.[3]
C’est ce moment historique que décrit aussi Drucker. Il reprend l’idéologie entrepreneuriale fondée par Schumpeter en 1911, mais, loin d’abdiquer, comme son devancier en 1942, devant l’inexorable avènement de la bureaucratie socialiste, il pose le postulat : « L’entrepreneur, c’est le manager. » Et fort de cette découverte, il n’hésitera pas à conclure qu’il a fondé une nouvelle science : le management.
Mais c’est à ce moment aussi qu’apparaît le consumérisme, l’idéologie d’une classe moyenne qui a assez d’argent pour consommer abondamment et bruyamment. Cette nouvelle classe intermédiaire est à fois grégaire dans ses comportements et individualiste dans l’idée qu’elle se fait d’elle-même. Elle est issue de l’immense classe du salariat et veut s’identifier à la bourgeoisie pour qui elle travaille, à qui elle cherche à s’identifier et parfois même à se mêler par la voie du sang ou des loisirs. Dans les années soixante du siècle, il était convenu de nommer cette nouvelle classe sous le terme générique de « cadres ». Le cadre veut peser de tout son poids comme salarié et comme client. Mais les inégalités sont grandes et grandissantes dans cette classe de salariés privilégiés. Et très vite, parlant d’eux, on a parlé du « malaise des cadres ».
Aujourd’hui en France, on a adopté le terme de manager, mais on ne parle pas encore du « malaise des managers ».
(à suivre)
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