L’interventionnisme en question
Au centre d’une tourmente sans précédent, les institutions financières américaines ont pu bénéficier d’un répit grâce à l’intervention cette semaine de leur Banque centrale, mais cette accalmie risque d’être de courte durée. L’atmosphère fébrile était évidente mardi et mercredi derniers après la décision de la Réserve fédérale américaine d’injecter 200 milliards de dollars sur les marchés obligataires dans un contexte où le scénario d’implosion de certaines institutions financières devient de plus en plus vraisemblable. En substituant les instruments de garantie classiques couramment utilisés entre banques aux Bons du Trésor américains, la Fed espère que les banques seront ainsi plus tentées de se prêter entre elles, le papier valeur américain étant jugé plus fiable.
De fait, le niveau des prêts interbancaires - indispensable au bon fonctionnement de toute économie de marché - s’était effondré suite à une défiance généralisée vis-à-vis des titres engagés comme caution de ces prêts. Le marché du crédit s’était même totalement asséché vendredi 7 mars suite à des rumeurs de faillite de Bear Stearns dont l’action a néanmoins gagné 10 % dès l’intervention de la Fed mardi 11 mars. En offrant des liquidités à bon marché aux banques, aux fonds spéculatifs et aux investisseurs noyés à la fois dans un flot des crédits subprimes et dans un marché des dérivés au bord de l’abîme, la Banque centrale américaine a pu ramener un semblant d’ordre même s’il semble de plus en plus évident qu’elle ne fait que retarder l’inéluctable...
La confiance en les supports traditionnels du crédit entre banques s’étant effondrée, les établissements financiers en sont réduits à une quête quasi désespérée aux liquidités dont l’ampleur rappelle celle de la Grande Dépression. La présence de la Réserve fédérale américaine, ses interventions régulières, ses baisses répétitives de taux d’intérêt permettent aux marchés de conserver un certain optimisme, mais en réalité ils ne font que gagner du temps. La Réserve fédérale a certes réduit ses taux plusieurs fois, mais elle n’a pu agir que sur les taux qu’elle contrôle car ceux affectant directement l’économie, comme les taux hypothécaires ou comme les taux des obligations émises par les entreprises, n’ont fait que grimper contribuant à gripper encore plus la machine...
Pendant combien de temps la Fed s’acharnera-t-elle à sauver un malade qui semble mortellement condamné ? En effet, les Etats-Unis, symbole du libéralisme et de la dérégulation, doivent à présent compter sur leur Réserve fédérale pour sauver leur marché du crédit, pour empêcher une débâcle de leurs bourses et pour insuffler un souffle de vie à leurs marchés financiers... Ben Bernanke, le président de la Fed, qui espère atteindre la ligne d’arrivée en restaurant la confiance tout en évitant la disparition de banques importantes, est allé si loin qu’il semble avoir atteint le point de non-retour. Bien avant sa nomination à ce poste, Bernanke s’était fait l’apôtre de l’utilisation agressive et non orthodoxe du bilan de la Réserve fédérale pour lutter contre la déflation. A présent qu’il préside cette institution, il met en pratique ce type de stratégie face aux dysfonctionnements des marchés financiers, mais il ne fait que traiter les symptômes de la maladie sans s’attaquer à ses causes profondes... Cette dernière manoeuvre en date de la Fed, inflationniste à souhait, tout en n’apportant aucun remède aux quelque 600 milliards de dollars de créances douteuses, est tout au plus un pansement permettant d’éviter à la bourse un bain de sang prévisible du fait d’un marché du crédit anémique ! Abstraction faite du sentiment de panique qu’elle laisse transparaître, cette substitution des Bons du Trésor américains aux papiers valeurs habituels est une sorte de "nationalisation" de facto des banques en ce sens qu’elle les rend totalement dépendantes de la générosité de la Réserve fédérale américaine ! Plus grave encore : Bernanke épuise progressivement toutes ses munitions et ceux qui espèrent que la Fed pourra toujours activer la planche à billets se méprennent car ses largesses ont les limites que lui impose son bilan.
Néanmoins, il semble bien qu’elle soit sur le point de prodiguer des traitements peu conventionnels qui seront très intéressants à étudier. Ainsi, deux directions se dégagent, l’une étant de consentir des prêts à des institutions financières non bancaires, l’autre consistant en des achats directs et pour son propre compte de ces papiers valeurs dont les banques ne veulent plus ! Si elle franchit cette ligne, la Banque centrale américaine exposera certes son bilan à un risque crédit, mais il semble bien que M. Bernanke veuille utiliser toutes les cordes à son arc afin d’éviter que son pays ne sombre dans une récession à la japonaise... Outre leur aspect "révolutionnaire", de telles décisions démontreraient également les limites des politiques orthodoxes d’assouplissements monétaires.
Le drame qui se joue sous nos yeux est digne d’une tragédie grecque où les interventions divines remettaient les hommes sur le droit chemin. Et précisément l’intervention de la Fed de ce début de semaine aura été une divine surprise pour les marchés qui ont réagi avec euphorie... jusqu’à revenir vers leurs niveaux de lundi en quelques heures. Depuis le déclenchement de la crise l’été dernier, les rares moments d’optimismes, loin d’être consubstantiels aux marchés, ont été redevables à une "intervention divine" : baisse du taux d’escompte en août dernier, injection de liquidités en masse de la Fed en décembre 2007, baisse en urgence des taux américains en janvier, prise de participation du fonds souverain d’Abu Dhabi dans Citigroup... La dernière intervention en date de la Fed démontre, si besoin est, que le système bancaire américain traverse bien plus une crise de solvabilité qu’une crise de liquidités car bien des actifs n’ont - de loin - pas la valeur originelle qui leur avait été accordée. Elle indique également que la Réserve fédérale américaine, en violation de son mandat et des règles fondamentales du marché, est disposée à intervenir pour soutenir les marchés boursiers ! La Fed se serait-elle donc résignée à sauver de la déconfiture banques, fonds spéculatifs et autres investisseurs lourdement engagés dans des créances douteuses du fait de leur appétit de rendement ? Il va de soi que M. Bernanke ne pourra aller jusqu’au bout de cette logique et qu’il devra se résoudre, à un moment donné, à laisser les forces du marché agir... Nous serons alors témoins de faillites bancaires, de dégringolades boursières se chiffrant en 500 points par séance et le marché devra subir des réajustements majeurs car rien ne pourra plus l’arrêter.
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