La bombe AAA retardement
La perte du AAA français n’a guère de signification autre que médiatique. Cela fait deux mois maintenant que les taux d’intérêt touchant la dette française se sont alignés sur une classification AA+ voire même AA tout court, que la France devrait rejoindre dans les semaines à venir.
Ce qui frappe le plus quand on envisage les récents développements de la crise financière internationale, c’est l’impact d’accords secrets qui ont visiblement été signés en novembre dernier lors de la grave crise obligataire et de la flambée soudaine des taux d’intérêt.
D’abord cet accord manifeste signé entre les gouvernements et les agences de notation. Celles-ci se sont engagées – sous peine d’une guerre ouverte dont les menaçaient les États, soulevant contre elles les « peuples » (à la manière de Mélenchon) – à notifier les dégradations de notes non au fort de la crise mais à l’occasion d’une période de « redoux » telle que nous en connaissons une actuellement. Une indéniable détente sur les taux d’intérêt se fait sentir depuis une dizaine de jours, les bourses sont stables, le feu vert a donc été donné en ce moment approprié.
D’autres accords ont été signés entre les États et les banques centrales cette fois, et je suis très étonné (! !) que les commentateurs économiques aient gardé un silence complet à ce sujet. Voici la situation. Fin novembre 2011 (le 30), une intervention conjointe des six grandes banques centrales mondiales donne un grand coup d’arrêt à la crise obligataire marquée par une hausse ultra-rapide sur tous les taux, y compris les taux allemands, en mettant à la disposition des banques européennes, à prix réduit, toutes les devises dont elles pouvaient avoir besoin. Pourquoi cette solidarité soudaine, à un moment où la Banque centrale européenne persiste à refuser de faire fonctionner la planche à billets ? Et cela alors que tout le monde le demande. On sait que cette « solution » monétaire est l’arme principale adoptée par les États-Unis (les fameux Quantitative Easing) et par la Grande Bretagne pour la « relance » de l’économie. Au sein de la zone euro, les Français poussaient depuis belle lurette en ce sens mais se heurtaient à l’opposition résolue de l’Allemagne. L’impasse semblait totale.
Or voici qu’à la veille de Noël – pendant cette semaine de ruée vers les commerces – la BCE n’a certes pas fait fonctionner la planche à billets, ce qui aurait correspondu à un achat massif d’obligations d’État « pourries » pour injecter de nouvelles liquidités dans le système. Non, elle a fait mieux. Elle a « prêté » 500 milliards d’euros à un taux de 1% pour trois ans (LTRO pour Long Term Repo Operation). En théorie pour que ces banques soient en mesure de refinancer les États. En fait pour soulager leurs problèmes de liquidité. Les banques ne se sont pas ruées au portillon pour refinancer les États, mais ne faisant plus face à des problèmes immédiats de liquidités, elles ont arrêté de vendre massivement de la dette souveraine et d’exercer ainsi une pression permanente sur le marché obligataire, prêt à s’effondrer et sur les taux en plein envol.
Que dire du fait que le traité européen, comme le soutiennent les Allemands, interdit le financement monétaire des États de la zone euro ? Simplement qu'il s’agit bien ici de faire fonctionner la planche à billet, MAIS de manière indirecte, puisque la BCE n’achète pas aux banques leurs obligations souveraines pourries, non, elle se contente de les recevoir en garantie de ses prêts, avec une décote qui n’est d’ailleurs pas précisée. Mais si l’on fait rouler ces prêts de trois en trois ans, l’effet est bien le même que celui d’une création monétaire… En outre, la prise de risque actuelle par la BCE, à travers le LTRO, correspond concrètement à monétiser la dette souveraine d’une manière détournée puisqu’in fine dans le cas du déclenchement des risques, la BCE sera obligée de « lancer la planche à billets ». Il y a donc autant de différence entre cette opération et un fonctionnement de la planche à billets qu’il y en a entre la contribution volontaire des banques au sauvetage de la Grèce et un défaut de l’État grec. Mais comme certains ne veulent pas parler de défaut, d’autres ne veulent pas entendre la planche à billets… d’où ces moyens ingénieux de les contenter. Words, words, words !
Si c’est donc bien la planche à billets que la BCE a fait fonctionner avant Noël, en annonçant en outre qu’elle renouvellerait cette opération en février prochain, il ne faut pas s’appeler Sherlock Holmes pour comprendre rétroactivement le coup de pouce donné fin novembre par les banques centrales à la zone euro. Ni s’étonner outre mesure du grand calme qui a régné pendant trois semaines sur les marchés et a permis à nos politiques et financiers de passer joyeusement « un dernier Noël avant l’Apocalypse ».
La principale nouvelle de ce vendredi 13 janvier n’est pas la perte du AAA français, non, c’est la rupture des négociations entre les banques et Athènes sur le règlement de la dette grecque. Il y a six mois on a commencé à envisager une décote de 25% sur les obligations grecques. Il y a trois mois un accord a été imaginé pour le règlement de la dette sur base d’une décote « volontaire » de 50%. Pour mener cet accord à bien (de façon réaliste), les négociateurs se sont aperçus qu’il faudrait pousser cette décote jusqu’à 60 voire 70%. Là, les banques ne marchent plus. Plutôt que la fiction d’un accord « volontaire » de renonciation à une partie de leurs créances, elles préfèrent carrément l’option d’un défaut grec déclaré. Car dans ce cas leurs assurances (les fameux CDS) fonctionneraient… et ouvriraient un nouveau gouffre béant dans la Phynance internationale ! Ceci n’est bien sûr qu’un rebondissement dans des manœuvres en cours, lesquelles doivent absolument aboutir avant le 21 mars.
On le voit, nous sommes en pleine « sortie de crise », comme nous le chantonnent en chœur commentateurs et politiques, tirant parti du calme relatif qui règne depuis au moins deux semaines sur les marchés financiers…
Maltagliati
P.S. Et la campagne électorale dans tout cela ? Dans son message « funéraire » de vœux ce 31 décembre, le président pré-candidat a clairement donné le ton de sa campagne prochaine. Il parie clairement sur une aggravation de la crise dans les mois qui viennent (et il y contribuera donc !), crise dans laquelle il sera le candidat du réalisme et du courage contre les utopies et propositions démago-farfelues de M.Hollande, qui ne fait vraiment pas le poids (on ne peut lui donner tort sur ce point). Je vous ai dit mon sentiment sur cette campagne dans un autre article paru hier. Les commentateurs qui, sans lire vraiment cet article, ont voulu voir en moi un partisan de Bayrou se trompent ENTIÈREMENT. Je ne vous ai pas proposé de devenir partisans de Bayrou, je vous ai proposé de voter pour lui, machiavéliquement. Ce n’est pas nécessairement toujours les mêmes qui doivent rouler les autres… cela demande simplement de dépasser ses réflexes immédiats ! A bon entendeur.
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