La crise financière pour les nuls II - 3ème partie
J’avais écrit il y a quelques temps, sur AgoraVox, un article intitulé
« La crise financière pour les nuls » qui avait reçu un accueil très
favorable des lecteurs. Voici une version plus détaillée et plus complète. L’idée reste la même : expliquer la crise
dans des termes accessibles au plus grand nombre.
Les deux
premières parties ont été publiées tout récemment sur AgoraVox : elles
rappelaient quelques bases et explicitaient le fonctionnement de la « planète Finance ». Voici la troisième partie. Bonne lecture !
9. Quand les particuliers s’endettent pour spéculer.
Nous avons vu qu’il vous est possible d’emprunter de l’argent, par exemple à des proches mais plus généralement à une banque, pour acheter tout de suite ce qui ne serait dans vos moyens qu’au bout de plusieurs décennies d’épargne. C’est de cette façon que vous, moi, l’écrasante majorité des gens qui veulent devenir propriétaires de leur logement, s’y prennent pour essayer de le devenir. Le logement que vous achetez, où il se trouve, l’état dans lequel il est, dépendent de ce que vous avez été capable d’emprunter à la banque.
Souvenez-vous : grâce au prêt immobilier, vous devenez immédiatement propriétaire d’un appartement, voire d’une maison, en échange de vingt, vingt-cinq, trente ans de dettes que vous paierez chaque mois à la banque. Le montant des mensualités du prêt et le montant des intérêts à payer en plus de ces mensualités dépendent essentiellement de l’écart entre d’un côté, ce que vous gagnez et possédez déjà, et de l’autre, le coût de ce que vous voulez acheter. Plus cet écart est faible, plus la banque sera prête à vous prêter de l’argent et à vous faire payer des intérêts faibles. Plus cet écart est fort, moins la banque sera prête à vous prêter de l’argent et plus, si elle vous en prête, les intérêts seront élevés.
Pendant ce temps, les prix des logements ne sont pas figés. Comme pour les produits sur les marchés financiers, ces prix sont un point d’équilibre trouvé, pour chaque logement, entre la somme d’argent que le vendeur en attend et ce que l’acheteur est prêt à payer. Logiquement, plus il y a d’acheteurs de logements, plus ces prix vont monter.
Un bien immobilier peut être acheté par un particulier pour y habiter. Il peut être acheté par une entreprise pour y installer son siège, un de ses points de vente, un entrepôt. Cependant les particuliers et les entreprises qui achètent des biens immobiliers ne le font pas tous pour s’en servir. Ils peuvent aussi le faire pour spéculer.
Souvenez-vous : spéculer, au sens large, c’est faire un ensemble d’hypothèses sur les conséquences de ce qui se passe aujourd’hui et en déduire une prédiction sur ce qui arrivera demain. Au sens strict de la spéculation immobilière, cette prédiction s’accompagne du fait de parier de l’argent sur votre prédiction en achetant des biens immobiliers. Par exemple, si vous êtes un fonds d’investissement qui achète un immeuble dans le centre-ville de Lyon et que vous prévoyez de le revendre dans cinq ans, vous spéculez à la hausse sur le marché de l’immobilier dans le centre-ville lyonnais.
Qu’un fonds ou plus généralement une entreprise puisse faire de la spéculation immobilière ne vous surprendra probablement pas. En revanche, vous serez peut-être surpris à l’idée que des particuliers puissent en faire également. Par exemple, une pratique jusqu’alors inimaginable s’est répandue ces dernières années dans la population des cadres français jusqu’avant la crise : elle consistait à s’endetter pour acheter un bien immobilier, à le mettre en location à un prix qui paye les mensualités du prêt et les intérêts, et à louer un logement de moins bonne qualité pour y vivre. C’est un double pari. En tant que propriétaires, leur calcul est bon tant que l’état de l’offre et de la demande de location leur permet, grâce au loyer qu’ils touchent, de payer les mensualités du prêt et ses intérêts. En tant que locataires, leur calcul est bon tant que ce même état de l’offre et de la demande de location leur permet d’honorer le loyer qu’ils paient.
Rappelez-vous du mécanisme de la bulle spéculative financière : il s’applique à la spéculation immobilière. Une première vague d’acheteurs multiplie les acquisitions de biens immobiliers. L’augmentation du nombre d’acheteurs contribue à augmenter le prix d’acquisition. Les prix augmentant, de nouveaux spéculateurs se manifestent pour acheter un bien immobilier. Ils estiment que le prix va continuer à monter et qu’ils n’auront donc qu’à le revendre un peu plus tard, ce qui est leur façon de gagner de l’argent. De fait les biens immobiliers, de revente en revente, sont revendus chaque fois plus cher à l’acheteur suivant, qui en est parfaitement satisfait puisque lui-même vend plus cher à l’acheteur qui le suit. Comme pour la spéculation financière, la chaîne ne s’interrompt pas parce que le prix continue de monter, et le prix continue de monter parce que la chaîne ne s’interrompt pas.
Nous avons vu que la spéculation financière dépend essentiellement des mouvements d’achat et de vente des grands fonds, tout particulièrement des fonds d’investissement. A l’inverse, la spéculation immobilière dépend essentiellement des mouvements d’achat et de vente qu’effectuent des particuliers. Si la spéculation financière finit donc logiquement par buter sur un coup d’arrêt qui vient des grands fonds, la spéculation immobilière finit tout aussi logiquement par buter sur un coup d’arrêt qui vient des particuliers. Une fois que les prix des biens immobiliers ont atteint des niveaux auxquels les particuliers ne peuvent plus suivre même en s’endettant lourdement, les ventes de biens immobiliers commencent à être de moins en moins nombreuses : de la même manière qu’on parle de bulle spéculative financière, l’événement est baptisé après coup « éclatement de la bulle immobilière. »
Deux questions appellent cependant une réponse : qu’est-ce qui provoque la première vague d’achats qui amorce la bulle immobilière, et qu’est-ce qui amène les particuliers à arrêter d’acheter et donc à faire éclater la bulle ? L’une comme l’autre peuvent avoir de nombreuses réponses, mais chacune peut appeler une réponse qui est le cas se produisant le plus souvent.
Prenons la première question. Ce qui provoque la première vague d’achats amorçant la bulle immobilière, c’est généralement la nécessité de s’abriter d’une crise boursière. L’idée est d’investir l’argent sauvé du naufrage sur des placements plus sûrs, moins instables : les placements immobiliers. Rappelez-vous de l’éclatement de la bulle Internet dans la seconde moitié des années 90 : où est allé l’argent que les fonds d’investissement ont pu sauver du naufrage ? Il est justement passé de la tempête de la spéculation financière à l’île plus paisible de la spéculation immobilière. De fait le marché immobilier a la réputation d’être un abri en temps de crise, notamment quand vous achetez des produits dérivés de dettes de particuliers qui ont contracté des prêts immobiliers (voir chapitre 11) : le risque dépend en effet de la solidité des particuliers qui ont contracté ces prêts, solidité qui a dû être évaluée avant que ces prêts leur soient accordés.
En d’autres termes, c’est l’éclatement de la bulle financière Internet des années 90 qui a accouché de la bulle immobilière des années 2000.
Prenons la seconde question. Qu’est-ce qui amène les particuliers à arrêter d’acheter et donc à faire éclater la bulle ? Nous avons déjà vu que c’est le fait qu’à force de ventes et de reventes les prix des biens immobiliers leur soient devenus hors de portée même après endettement. Cela peut aussi s’expliquer par le fait que si la montée des prix n’a pas encore atteint ce stade, en revanche les revenus des particuliers ont baissé, ce qui revient au même. Ils peuvent également tout simplement être trop nombreux, parmi ceux qui peuvent s’endetter sans risques excessifs, à avoir déjà contracté des prêts immobiliers jusqu’à l’extrême limite de leur capacité d’endettement.
Aux Etats-Unis, des organismes de prêt ont même franchi cette extrême limite. Ils ont proposé des prêts immobiliers à des particuliers relativement pauvres qui, à la moindre grave difficulté économique, présentaient un risque très élevé de ne plus pouvoir honorer leurs dettes. Ces prêts s’appellent des subprime (voir chapitre 10).
10. L’oeuf pourri dans le panier d’oeufs frais.
Nous sommes aux Etats-Unis. Les particuliers qui ont les moyens de s’endetter raisonnablement ont déjà été largement sollicités pour alimenter la spéculation immobilière grâce à leurs achats, ventes et reventes de biens immobiliers. Les organismes de prêt décident alors de continuer à développer leurs activités en se tournant vers ceux qu’ils n’ont pas encore sollicités, et pour cause : les particuliers pauvres.
A l’époque, les prix des biens immobiliers continuent encore à monter. L’idée que ces organismes de prêt vendent à ces particuliers pauvres est la suivante : ils vont s’endetter pour acheter un bien immobilier qui en temps normal serait au-dessus de leurs moyens même après endettement, donc parier sur la hausse de sa valeur. Comme son prix va continuer à monter, ils seront en mesure de se ré-endetter en contrepartie de cette augmentation de valeur afin de payer leurs dettes. Au bout du compte, ils auront ainsi réussi à devenir propriétaires d’un bien immobilier qui était normalement hors de leur portée.
Notez bien qu’on distingue, parmi les prêts immobiliers, ceux dont les taux d’intérêt sont fixes et ceux dont les taux d’intérêt sont variables. Lorsque le taux d’intérêt est fixe, l’emprunteur doit rembourser chaque mois, en plus de la mensualité du prêt, une somme exprimée en pourcentage : ce pourcentage est lié au taux d’intérêt pratiqué sur le marché au moment de contracter le prêt et il ne bougera pas. En revanche, lorsque le taux d’intérêt est variable, ce même pourcentage est lié au taux d’intérêt pratiqué sur le marché et il bougera aussi souvent que bougera ce taux.
Lorsque le taux du prêt est fixe, l’emprunteur est à l’abri du risque que le taux pratiqué sur le marché grimpe en flèche au fil du temps. La banque, en revanche, prend le risque de perdre de l’argent par rapport à ce que l’emprunteur aurait dû lui payer avec un prêt à taux variable. C’est pour cette raison que votre banque vous prêtera toujours plus d’argent si vous choisissez un taux variable : parce que le risque passe chez vous au lieu de rester chez elle.
Dans le cas spécifique des particuliers pauvres, ces derniers ne sont guère en position de négocier. S’ils veulent devenir propriétaires et tenter de rejoindre la vague de spéculation immobilière en cours, ils doivent forcément accepter le taux d’intérêt variable que leur proposent les organismes de prêt. Par ailleurs, ils n’ont pas les moyens de commencer immédiatement à rembourser l’emprunt : les organismes de prêt leur donnent donc un délai d’une poignée d’années sans remboursement.
Ces subprime ont permis à des particuliers pauvres de devenir propriétaires alors qu’aux conditions normales ils ne l’auraient jamais pu. Cependant les organismes de prêt ne les ont pas faits bénéficier de cette opportunité par altruisme : ils l’ont fait moyennant rétribution et pour continuer à développer leur activité, alors que le rythme des achats, ventes et reventes de biens immobiliers commençaient à ralentir.
A y regarder de plus près, les organismes de prêt prennent un risque très élevé en ayant ces particuliers pauvres comme clients. C’est une excellente opération si les prix des biens immobiliers continuent à monter : cela permettra à ces particuliers de rembourser l’emprunt initial grâce à un nouvel emprunt fondé sur la hausse de la valeur du bien immobilier, ce qui permettra à ces organismes de faire un bénéfice et de continuer à développer leur activité. Cependant il suffit que les prix des biens immobiliers se mettent à baisser pour que la chaîne soit rompue. Les organismes de prêt vont donc décider de couvrir leurs arrières.
Souvenez-vous de la comparaison entre les marchés financiers et n’importe quel marché aux fruits et légumes. Dans les deux cas, le marché n’est là que pour permettre à une offre et à une demande de se rencontrer et de se mettre d’accord sur un prix. Restons maintenant sur le marché aux fruits et légumes. Imaginez qu’un vendeur ne sache pas comment se débarrasser d’un œuf pourri qui empeste son étalage, mais qu’il se refuse à essuyer une perte en décidant de le jeter. Il utilisera alors une astuce vieille comme le monde : il cachera l’œuf pourri dans un panier de magnifiques œufs frais et vendra le tout au prix d’œufs de bonne qualité.
C’est de cette façon qu’aux Etats-Unis, les organismes de prêt ayant fait souscrire des subprime à des particuliers pauvres vont couvrir leurs arrières. Ils mélangent ces prêts très risqués, autrement dit des œufs pourris, à des prêts qui rapportent plus et sont moins dangereux, autrement dit des œufs frais. Ils obtiennent ainsi, pris dans sa globalité, un panier d’œufs de fraîcheur moyenne. Ils vendent alors ce panier à une société intermédiaire qu’ils créent pour l’occasion. Cette société intermédiaire paye l’achat en vendant des reconnaissances de dettes sur les marchés financiers. Ces reconnaissances de dettes sont achetées par des investisseurs poids-lourds, notamment par des fonds d’investissement, avec comme garantie le panier de prêts initial. Les œufs pourris commencent alors à se promener de cabas en cabas, à se répandre sur le marché. Rappelez-vos par ailleurs que la bulle Internet ayant crevé, les investisseurs poids-lourds ont entrepris de se réfugier dans la spéculation immobilière : la propagation des œufs pourris va donc d’autant plus vite.
Vous avez beaucoup entendu que la crise des subprime a déclenché la crise économique et financière de 2008. C’est vrai. Vous avez aussi beaucoup entendu que la crise des subprime est la cause de la crise économique et financière de 2008. C’est faux. Etre le déclencheur et être la cause sont deux choses différentes : c’est confondre l’étincelle avec le baril de poudre.
11. La cigale américaine et la fourmi chinoise.
Les Américains sont les plus gros consommateurs du monde. En d’autres termes, l’activité économique mondiale ne sera plus la même selon que l’ampleur de leur consommation augmente ou se réduit. Dans leur écrasante majorité, ces Américains qui consomment sont des salariés. On pourrait donc déduire logiquement que quand leur consommation augmente, c’est parce que leurs salaires augmentent. Ce n’est cependant pas le cas depuis le début des années 1980. Au lieu de leurs salaires, c’est surtout grâce à l’augmentation de leurs dettes que leur consommation augmente à son tour. Comme les Américains s’endettent pour consommer, ils ne mettent pas d’argent de côté. En l’absence d’épargne américaine, l’économie des Etats-Unis continue donc à fonctionner grâce à de l’épargne étrangère.
En d’autres termes, non seulement une baisse de la consommation des Américains affecte le reste du monde en tant que producteurs, mais un ralentissement de l’économie américaine se propage au reste du monde en tant qu’épargnants.
Si les Américains sont les hyperconsommateurs de la planète, les Chinois en sont les hyperproducteurs. La Chine exporte d’ailleurs l’essentiel de sa production vers les Etats-Unis, tandis que réciproquement les produits étrangers consommés par les Etats-Unis viennent notamment de Chine. A l’inverse des Américains dont l’hyperconsommation génère des dettes, l’hyperproduction des Chinois génère de l’épargne.
Pour compléter le tout, cette relation inverse entre les Etats-Unis et la Chine se retrouve jusque dans leurs dettes publiques. Souvenez-vous : lorsqu’un Etat a besoin de s’endetter, que ce soit pour faire face à ses dépenses ou pour des investissements au-dessus de ses moyens, il vend sur les marchés financiers des reconnaissances de dettes qu’on appelle des obligations d’Etat. En l’occurrence, les Etats-Unis ont la dette la plus élevée au monde, ce qui signifie que ce sont les plus gros vendeurs d’obligations d’Etat. A l’inverse, la Chine est le pays qui épargne le plus au monde. En toute logique, c’est parce que l’économie américaine repose sur la consommation et la dette que les Etats-Unis sont eux-mêmes si lourdement endettés en tant qu’Etat, et c’est parce que l’économie chinoise repose sur la production et l’épargne que la Chine est aussi amplement épargnante en tant qu’Etat.
Notez bien que parallèlement, la Chine a décidé de faire un placement sûr avec son épargne plutôt que de la stocker. Elle a même fait le placement le plus sûr qu’elle ait pu trouver. Ce placement, c’est l’achat des obligations d’Etat américaines : avant la crise, à peu près une obligation d’Etat américaine sur dix était propriété chinoise.
En d’autres termes et pour résumer, la production chinoise se développe grâce à la consommation américaine qui provoque l’endettement américain que finance l’épargne chinoise.
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