La décennie 2020 ou la finance dans le rôle de l’orchestre sur le Titanic
Nous vivons un moment où tout semble aller pour le mieux dans le cercle clos des marchés boursiers, alors que de par le monde la fièvre sociale prend la forme d'un mouvement de désobéissance à l'encontre des politiques publiques et que les signes de fragilité de notre économie se multiplient.
![](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L300xH225/titanic-redo-jpgavant_le_naufrage-090ad.jpg)
Comment se portent les marchés financiers mondiaux ?
Tous les investisseurs sur les marchés financiers ont rapporté un « millésime exceptionnel, un grand cru », en évoquant l'année 2019 où les indices boursiers, portés par des politiques monétaires accommodantes, ont terminé l'année en fanfare. En France le CAC 40 a enregistré sa plus forte hausse depuis l'année 1990 avec un gain de 26,4% alors que les Fonds d'actions européennes ont progressé de 24, 5%. Les Groupe du CAC 40, qui réalisent près de 80% du chiffre d'affaires et des profits à l'international ont distribué sur l'année 2019 60,2 Milliards d'Euros à leurs actionnaires, renouant avec leur sommet de 2007, juste avant la crise des Subprimes ( Lettre Vernimmen.Net n°175, 01 2020).
Aux États- Unis de nouveaux records historiques ont été enregistrés, portés entre autres par des anticipations positives sur la croissance mondiale conduisant à une hausse vertigineuse du prix des actifs financiers entièrement décorrélée de l'économie réelle. Le Nasdaq, porté par les GAFAM qui représentent à eux seuls 30% du poids de l'indice a progressé de de 35, 7%. Soulignons ici que ces firmes globales, acteurs nomades de la globalisation, de par leurs schémas d'optimisation fiscale bien rodés, paient très peu d’impôts et emploient peu de personnel là où les entreprises de l'ancien monde faisaient vivre des milliers de salariés. Bien que l'on observe un ralentissement de l'activité industrielle aux EU, le plein emploi soutient encore la consommation ce qui suffit à rassurer les investisseurs en cette année électorale. A l'approche des élections américaines du mois de novembre prochain, il n'est pas dans l’intérêt de Donald Trump de risquer une récession.
Selon une expression populaire, les arbres ne montent pas jusqu'au ciel
Plus fondamentalement, les phases de crise qui n'obéissent pas à une périodicité constante, sont inhérentes à l'économie de marché et à l'instabilité intrinsèque au capitalisme financier. On y observe une période d'emballement euphorique sur le prix des actifs, précédant la séquence de crise préalable à la récession. A ce propos, Michel Aglietta disait déjà en 2008 « La leçon de la crise à plus long terme est la fin d'un modèle de croissance fondé sur la montée inexorable de l'endettement qui a été observé dans les vingt dernières années. Cette période exceptionnelle a été due à la conjonction d'une gouvernance d'entreprise tournée exclusivement vers la créatib de valeur pour l'actionnaire en Occident. »
Regain des tensions géopolitiques accru
Dans le brouillard international de troubles civils qui va de Hong-Kong au Chili en passant par les convulsions du Moyen Orient, se forment les maillons d'une chaîne à l'encontre des inégalités, de la corruption des firmes et la défiance augmente à l'égard des États souverains incapables de s'adapter aux enjeux écologiques. Le conflit entre les États-Unis et les pays du Golfe Arabo persique pourraient faire bondir les cours du pétrole tout en perturbant l'approvisionnement mondial. Il ne faut pas non plus s'illusionner sur le récent apaisement du bras de fer entre la Chine et les États-Unis, les problèmes structurels ayant été soigneusement évités. L'administration américaine a bâillonné l'OMC, et l'on assiste à l’émergence d'un commerce administré, avec une prise en otage du multilatéralisme mondial.
Les pays émergents souffrent de grandes fragilités : on observe en Inde un déclin de la consommation, des investissements et de retards pris dans les réformes structurelles, l'Amérique Latine demeure une poudrière politique, plus près de nous, l'Algérie est au bord de l'implosion.
En Europe, des revendications identitaires resurgissent ça et là ( Italie, Autriche, Catalogne ). N'oublions pas que l'accord négocié à Bruxelles sur le Brexit n'est que le début d'un long et incertain processus, parce que tout reste à négocier. La dérégulation du marché de l’emploi Européen, l'écrasement des salaires, en particulier ceux des personnes peu qualifiées, font porter l’effort sur les populations les plus précaires dans les pays du sud ( Grèce, Portugal, Espagne).
Les professionnels de l'industrie financière
Selon un récent rapport du Conseil de Stabilité financière ( FSB) les États-Unis hébergent les principaux acteurs du « Shadow Banking », représentant 15200 Milliards de dollars soit 30 % du marché mondial, alors que la Chine occupe 15 ,4% du marché. Cette finance de l'ombre regroupe de grandes banques d'investissement dont Barclays, HSBC, des organismes de placement collectif monétaires ( OPCVM) qui peuvent s'avérer être des Hedge Funds distribués à des particuliers ( ex Société H2O, filiale de Natixis ), des véhicules de titrisation, des caisses de retraite aux États-Unis. Ce marché opaque qui concentre désormais près de 14% des actifs gérés par la finance mondiale échappe entièrement au contrôle des régulateurs. Et c'est l'interdépendance des économies renforcée par ces acteurs et leurs produits de titrisation qui a entraîné la diffusion de la panique à l'ensemble du globe en 2008.
Mais aujourd'hui c'est la croissance effrénée du marché des prêts à effet de levier et ses conséquences potentielles pour la stabilité financière qui deviennent préoccupants. Généralement octroyés à des entreprises très endettées sous la forme de LBO ( Prêts a effet de levier ), ou à des acteurs de capital investissement ( Private Equity ), ils représentent un marché mondial de 2200 Milliards de dollars, soit près de deux fois la taille du marché des prêts subprimes avant la crise de 2008. Selon un rapport publié par la Banque de France en décembre 2019 le secteur non bancaire se développe plus vite que l'activité bancaire dans la zone euro et en France. Entre 2008 et 2018 son encours a progressé en France de 46% contre 28% pour le secteur bancaire, et pèse 1300 Milliards d'Euros. L'endettement à effet de levier ( LBO) pourra-t-il miner la fragile stabilité financière au moment où les taux d’intérêt vont se redresser ? La question mérite ici d'être posée.
En attendant le seul événement qui semble préoccuper les différents acteurs des marchés financiers, les élections américaines au mois de Novembre prochain, belle année à toutes et à tous.
32 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON