La deuxième mort de Keynes
L’analogie entre la crise actuelle et la Grande Dépression est tentante et nombre d’analystes appellent de leurs vœux un second "New Deal", en référence au plan de sauvetage mis en place par le président Roosevelt au milieu des années 30. Par ailleurs, la stature, le calme et la modestie d’Obama ne vont pas sans rappeler l’empathie du 32e président des Etats-Unis.
Certes, bien des déclarations du secrétaire d’Etat au Trésor, Paulson, auraient pu être prononcées par Herbert Hoover, l’homme qui occupait ce poste à l’époque, et la campagne présidentielle actuelle rappelle par sa rhétorique enflammée celle de 1933 ayant vu l’élection de Franklin D. Roosevelt et la mise en place du New Deal... Enfin, les tentatives quasi désespérées des responsables actuels de rassurer une opinion publique paniquée en faisant valoir que le pire est passé évoquent également les discours du début des années 30.
Pourtant, l’économie américaine d’aujourd’hui qui sous-traite une partie substantielle de sa production à l’étranger et qui obéit à une finance sophistiquée et instantanée n’a pratiquement plus rien de commun avec la "old economy" de la décennie du New Deal. Les usines américaines tournaient effectivement au ralenti dans les années 30, mais leur qualité et leur productivité n’avaient pas été bradées, comme c’est le cas aujourd’hui, au bénéfice des usines chinoises ! Le « keynésianisme militaire » avait notablement contribué à redresser les Etats-Unis car les usines d’armement avaient en effet fonctionné à plein régime à l’aube de la Seconde Guerre mondiale, contribuant à y résorber, voire à y supprimer, le chômage endémique des années 30 et à donner un coup de fouet à l’ensemble de l’économie du pays... Cet argument ne peut plus être mis à profit aujourd’hui - même dans une conjoncture où l’on sait qu’Obama intensifiera la présence armée de son pays en Afghanistan - car l’industrie de l’armement américaine s’est elle aussi reconvertie à la sous-traitance !
De surcroît, comment oublier l’effet dévastateur pour l’économie américaine "réelle" des années Reagan dont la politique s’est scrupuleusement employée à réduire la part de l’industrie dans le revenu national (de 21,5 % en 1980 à 12 % en 2005) pour augmenter celle des services financiers (de 15 % en 1980 à 22 % en 2005) ?
Par ailleurs, comment négliger la révolution technologique ayant favorisé la propagation du virus du capitalisme-casino à une vitesse sans précédent depuis Wall Street jusqu’à la moindre des places financières de ce monde ? Ce qui en effet avait mis trois ans, au début des années 30, a mis trois semaines de nos jours à se transformer en crise mondiale !
Obama n’héritera pas non plus du leadership et de l’innovation intellectuelle en vigueur à l’époque puisque les deux grands partis américains partagent dans les grandes lignes les mêmes positions sur les échanges commerciaux, sur les privatisations, sur les plans de relance, le tout dans une sorte d’endoctrinement néolibéral imposé par Goldman Sachs qui a fourni deux secrétaires d’Etat au Trésor en moins de dix ans et à des années-lumière du keynésianisme...
Le New Deal n’a pas été un plan imaginé de toutes pièces par des technocrates en fonction à la Maison-Blanche, mais a plutôt été le fruit d’un intense bouillonnement intellectuel dans un contexte politique où les idées marxistes exerçaient une influence considérable, y compris dans le milieu des syndicalistes américains. En fait, le New Deal a été une réponse adaptée - un authentique contrat social - ayant remporté l’adhésion de l’ensemble des citoyens américains. Il reste à espérer que l’élection de Barack Obama servira de catalyseur à une élite intellectuelle américaine dont l’inspiration est loin de concurrencer celle de ses aînés.
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