La dimension sociale du Web 2.0
Avec le Web 2.0 s’annoncent des bouleversements d’une nature différente de ceux qui étaient envisagés il y a encore cinq ans. A l’époque, le réseau Internet semblait devoir révolutionner la plupart des business models existants. Aujourd’hui, c’est la pratique du lien social qui pourrait être concernée.
En 1938 déjà, Gaston Bachelard écrivait : « Ce n’est pas seulement dans l’art que se sublime la libido. Elle est la source de tous les travaux de l’Homo faber... les gestes utiles ne doivent pas cacher les gestes agréables. » L’explication par l’utile est un leurre et « en désignant les objets par leur utilité, elle s’interdit de les connaître ».
Ce n’est pas le besoin qui tire l’homme vers l’innovation, mais le plaisir qui l’y pousse. La technologie ne vise que rarement les applications qu’elle rend possibles. Ignorants de leurs besoins, c’est en se laissant guider par leur plaisir que les consommateurs sanctionneront l’offre proposée. Bref, l’avenir du Web 2.0 dépend de la confrontation en cours entre une offre et une demande dont l’arbitre est le principe de plaisir, et non le principe de réalité.
Sachant cela, on est en mesure de deviner ce que peut être l’évolution à venir. Le principe de plaisir est un facteur de régression psychique. Le développement du blog en est un bon exemple. Là où beaucoup s’interrogent sur son utilisation possible, il est préférable de rechercher le type de désir qu’il est susceptible de satisfaire dans le grand public.
Le blog est un outil de communication qui subvertit toutes les règles du lien social. L’ ici et maintenant de la relation ordinaire est toujours médiatisé par une multitude d’institutions : la famille, l’école, l’entreprise, l’Etat... Dans la blogosphère d’aujourd’hui, ces dispositifs institutionnels sont congédiés. Le blog existe et se développe en marge de la plupart des institutions ; l’individu y est libre de toute appartenance structurée socialement, dès l’instant, bien sûr, où il respecte le cadre de la légalité.
Il devient clair que le sujet du blog, celui qui s’exprime par son intermédiaire autant que celui qui y fait des commentaires, s’éloigne du sujet qui parle, pense et agit dans la réalité quotidienne. Par définition, l’institution a pour fonction essentielle de matérialiser l’interdit de la loi, celle dont Freud disait qu’elle est source d’un malaise dans la civilisation. La tendance actuelle du Web 2.0 est en passe de satisfaire non pas un besoin, mais un désir collectif de masse, celui d’affaiblir le refoulement du surmoi délégué aux grandes institutions, en désactivant sa capacité de censure.
Le développement du réseau Internet s’accompagne, tout en la favorisant, d’une émergence massive de l’inconscient, en particulier de ses modes de fonctionnement. La pression des internautes sur les majors de la musique est un avertissement qu’il faut prendre au sérieux. Les arguments utilisés pour condamner le téléchargement gratuit étaient d’une autre époque. En les qualifiant de vols, on a tenté d’opposer à ces pratiques une morale classique que l’absence de surmoi partagé sur le Net rend inintelligible.
Les conséquences pour l’entreprise sont encore largement insoupçonnées. Il est clair désormais qu’à mesure qu’elle se développe, la communication tend aussi à favoriser des communautés d’individus rassemblées autour de centres d’intérêt convergents. Ce phénomène s’appuyant d’ailleurs sur la montée croissante des comportements addictifs, l’individu contemporain va probablement développer de nouveaux modes de dépendance à l’égard de communautés virtuelles qui viendront partiellement remplacer les grandes institutions à caractère professionnel dans leur rôle social.
On ne peut plus douter de la nécessité pour l’entreprise de repenser son identité et son modèle social en profondeur. Ne pouvant échapper à une confrontation de grande ampleur avec cette montée de l’inconscient, elle va devoir notamment inventer de nouveaux modes de communication et de relations avec ses salariés, ses clients et le public. L’expérience prouve qu’une telle démarche, forcément innovante, se fait rarement d’elle-même, et si l’enthousiasme actuel pour le Web 2.0 est en grande partie justifié, bien des résistances se chargeront de freiner son développement. L’avantage compétitif sera du côté des entreprises qui auront la volonté et les moyens de les surmonter.
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