La Directive sur le redressement et la résolution des crises bancaires (BRRD) : révolution ou spoliation ?
La Directive sur le redressement et la résolution des crises bancaires (BRRD), effective depuis le 1er janvier 2015 pour l’ensemble des États membres s’inscrit dans une volonté d’harmonisation des procédures de résolution des défaillances bancaires en améliorant les instruments (write down and conversion of capital instruments) visant à faire face aux crises bancaires dans l’ensemble de l’UE.
Ainsi, elle introduit plusieurs concepts et notamment le pouvoir de transfert d’actifs ou de passifs des banques vers les marchés « sale of business tool », une structure de dépeçage « asset separation tool », la banque de transition « bridge bank » et en particulier ce qui nous intéresse en premier rang, le concept du renflouement interne « bail-in » afin de responsabiliser les banques et leur faire comprendre une bonne fois pour toute que le recours systématique à l’argent public « bail-out » ne se fera qu’après un détroussage méthodique des créanciers de la banque. A premier abord, cela paraît être effectivement une avancée importante pour limiter conséquemment l’aléa moral induit par l’appel récurrent aux deniers des contribuables en période de défaillance aggravée : les propriétaires des banques réfléchiraient en effet à deux fois avant de cautionner les agissements risqués de leur dirigeants puisque cette fois, leur propres biens matériels seraient directement menacés.
Vous aurez remarqué depuis le début de cette brève introduction l’utilisation du conditionnel dans les tournures de phrases, cela n’est pas anodin. Alors revenons d’une manière plus précise sur les risques que présentent les prérogatives de cette directive transposée dans le droit en Français au moyen d’une simple ordonnance1.
Les créanciers ? Oui, TOUS les créanciers !
Le bail-in mettra donc à contribution tous les créanciers et devra éponger au moins 8% du passif bancaire pour déclencher l’intervention du fonds de résolution unique bancaire2 (même si des ressources étatiques peuvent êtres mobilisées à hauteur de 5% du passif bancaire). En comptabilité générale, un bilan nous donne une vision sur le patrimoine d’une entité à un instant bien précis, il retranscrit donc ce que l’entreprise possède à l’« actif » et les dettes qu’elle doit au « passif ». Jusque là, rien de très compliqué, mais lorsque nous analysons un bilan comptable bancaire, nous nous apercevons très vite que les dépôts du public sont comptabilisés au passif, ces dépôts qui constituent des ressources sont de l’argent que la banque nous doit (en fonction du support de placement l’exigibilité de la dette peut varier), nous sommes donc en réalité des créanciers à part entière de ces institutions financières. C’est pourquoi, il faut bien avoir conscience que cette directive introduit et légalise pour la première fois la participation des déposants au renflouement interne au même titre que les propriétaires et les investisseurs obligataires, certes avec une hiérarchisation qui détermine l’ordre de passage à la casserole, les déposants seraient en effet ponctionnés en dernier ressort, mais soyons sérieux, si une banque d’ordre systémique venait à rencontrer des difficultés pouvant sérieusement mettre à mal sa solvabilité, cela exigerait la contribution de tous les créanciers tour à tour et nécessiterait même très probablement in fine, un bail-out. Nous sommes donc là en présence d’une dérive potentielle. Il est tout à fait judicieux de mettre à contribution les créanciers qui tirent profit durant les cycles haussiers, ceux qui investissent volontairement dans les titres bancaires afin d’en dégager un rendement substantiel mais pourquoi mettre aussi à contribution des créanciers passifs qui dépose leur argent dans une banque parce qu’il faut bien le déposer quelque part ?
Certains points de vue, défendent l’idée qu’il faudrait responsabiliser les propriétaires des banques ainsi que les créanciers directs (seniors et juniors) au même titre que les « créanciers-déposants » et que ces derniers devraient donc par la force des choses avoir pleinement conscience des caractéristiques bilancielles des établissements bancaires dans lesquels ils déposent leur argent afin d’apprécier le risque encouru... Les régulateurs et nombreux experts en la matière n’avaient eux-mêmes pas vu se profiler le déferlement de la crise des subprimes, comment pourrait-on exiger du citoyen lambda d’esquisser de telles connaissances ? J’affirme que c’est n’est pas son rôle et que cela, est, dans le cadre de complexité actuelle de la finance dérégulée complètement irréaliste. La véritable solution pour crédibiliser cette approche serait de proposer aux créanciers-déposants (qui sont, je le rappelle au passage, citoyen et contribuable) une véritable alternative digne de ce nom à cet état de fait, en mettant en place une banque publique qui effectuerait uniquement des opérations d’émissions de crédits et de réception des dépôts un point c’est tout. Ainsi, les créanciers-déposants ayant choisi arbitrairement de déposer leur argent sur des comptes bancaires d’établissements ne pouvant leur apporter la garantie d’une telle sécurité seraient dans ce cas là, de plein droit mis à contribution. Néanmoins, nous savons que dans la structure de notre capitalisme actuel une alternative de ce calibre-là reste peu probable.
C’est pourquoi, il faut faire attention à ne pas inverser les rôles, ce n’est pas au citoyen-déposant de traquer les prises de positions risquées des banques mais à la puissance publique de lui offrir le choix.
Révolution ou Spoliation ?
Concernant la ponction des dépôts des contribuables, il est important de souligner que dans le cadre de la directive, celle-ci ne peut intervenir théoriquement que pour les comptes bancaires dont l’encours serait supérieur à 100 000 € par personne et par établissement, c’est en effet le montant garanti par les fonds de garanties des dépôts. Ces fonds devront atteindre 0,8% des dépôts couverts dans un « délai de dix ans après l'entrée en vigueur du système » par les établissements bancaires de chaque pays membres. La Commission européenne se réserve le droit d’accorder l’abaissement de l'objectif de 0,8% à 0,5% dans les « secteurs bancaires concentrés », c'est-à-dire lorsque les avoirs bancaires sont entre les mains de quelques banques (ce qui est le cas en France) avec une contribution des banques qui sera plus ou moins importante en fonction de leur profil de risque. Que la tromperie cesse, ce genre de mécanisme ne pourrait nullement faire face à une défaillance simultanée de plusieurs banques systémiques. Pour ainsi dire, rien, dans l’état actuel de la réglementation, ne garantit en réalité aux déposants la certitude de n’être ponctionné qu’à partir du seuil fatidique en question.
De plus, l’innovation financière a une fois de plus pris le pas sur l’initiative prudentielle avec la modification contractuelle des fameux produits de couvertures dérivés de crédits « credit default swap » (CDS). L’International Swaps and Derivatives Association (ISDA) a en effet intégré dans les clauses de ses contrats un nouvel événement de crédits (credit event) qui pourrait déclencher une indemnisation à « hauteur de 100% » : il s’agit de la perte sèche que pourrait subir les créanciers suite à une procédure de résolution interne de bail-in de l’entité de référence (reference entity). Pour comprendre l’impact d’une telle mesure reprenons l’éventualité d’une crise systématique dont la probabilité de survenance est dans le cadre de l’hyper expansion monétaire actuelle loin d’être nulle. Dans l’éventualité ou plusieurs banques de taille importante seraient mis en difficulté et la procédure de résolution enclenchée. Les pertes de propriétaires des banques ainsi que les investisseurs professionnels (c’est à dire les créanciers qui ont profité et engrangé des profits durant les phases ascendantes) ayant souscrit ce genre de produits seraient entièrement couvertes alors que dans le même temps les créanciers-déposants (citoyen et contribuable) ne bénéficient d’aucune couverture avec en prime un risque accru d’être ponctionnés d’une manière plus large que ce que prévoit les différents fonds de garanties des dépôts. Cela risque en réalité de n’avoir quasiment aucun impact sur l’aléa moral dont jouissent les créanciers qui profitent des prises de risques inconsidérées des établissements bancaires. Nous pouvons toujours taper du poing sur la table et demander à ce que ce cela soit davantage encadré, mais les CDS se négocient de gré à gré et font donc partie des « dérivés OTC » (Over The Counter) Il n'y a pas de standardisation des contrats ni de marché organisé. C’est pourquoi un encadrement qui viendrait limiter légitimement la protection des créanciers afin de restreindre l’aléa moral est très difficilement envisageable !
1http://www.legifrance.gouv.fr/eli/ordonnance/2015/8/20/FCPT1509685R/jo/texte
2http://ec.europa.eu/finance/general-policy/banking-union/single-resolution-mechanism/
index_fr.htm
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