La FED et le saut à l’élastique

La FED a pris ce mercredi 18 septembre 2013 une décision quasi historique : ne rien faire. C’est-à-dire, poursuivre ses injections massives de liquidités à travers ses opérations désormais bien connues de Quantitative Easing (QE). Elles représentent actuellement 85 milliards de dollars par mois (rachat de dettes immobilières et achat d’obligations d’état). Une coquette somme qui s’élève à plus de 1000 milliards de dollars en rythme annuel. Cela ne vous dit peut-être pas grand-chose, car de tels montants nous donnent nécessairement le vertige.
Pour éclaircir un peu les idées et atténuer les brumes qui entourent ces chiffres, cela correspondrait à près de 140 milliards d’euros annuel pour la France toute proportion gardée (rapporté au PIB). A comparer à nos 90 milliards d’euros de déficit budgétaire annuel. Depuis le début de la crise, la FED a déjà injecté environ 2700 milliards de dollars dans les circuits économiques et affiche un bilan astronomique de plus de 3000 milliards de dollars (sans précédent dans l’histoire récente pour une banque centrale). Voilà pour les chiffres.
L’absence de nouvelles devient donc un évènement. Un évènement miroir qui retourne à 180 degrés l’évènement attendu avec tant de certitude par les médias informés ! C’était acquis : la FED allait ralentir la planche à billets. Les certitudes explosent en vol.
Les raisons officielles qui ont prévalu à cette « non décision » peuvent se résumer ainsi :
- La croissance aux Etats-Unis reste modeste et ne montre pas une vraie tonicité.
- Resserrement des conditions budgétaires de l’état fédéral avec un net recul du déficit, ce qui en théorie ne favorise pas la croissance.
- Le mur du plafond de la dette refait surface et il devra être renégocié.
- Remontée des taux immobiliers et resserrement des conditions de crédit.
- Le niveau de chômage est supérieur aux conditions acceptables décrétées par la FED (seuil à 6.5%).
En fait, le chômage aux Etats-Unis est bien supérieur aux chiffres officiels (7,3%) car beaucoup de travailleurs sortent des statistiques et ne recherchent plus un travail par découragement.
La croissance depuis le mois de juin est moindre que ce qui avait été anticipé. C’est certainement le point majeur qu’il faut retenir. Cela signifierait que l’on peut commencer à douter de l’efficacité de la politique de la FED. Elle deviendrait victime de la fameuse loi des rendements décroissants. Au fil du temps les opérations en question deviennent moins efficaces et créent évidemment des effets pervers qui seront difficiles à contrôler. Les résultats sont finalement assez médiocres au regard des moyens déployés, des quantités d’argent injectées.
Pour donner une image, on peut évoquer le gonflement d’un ballon : au début c’est facile, le ballon gonfle rapidement et ensuite cela devient un peu plus difficile ; on a l’impression qu’il faut souffler de plus en plus fort pour le voir légèrement grossir. Faire gonfler une économie mature n’est pas une opération simple, car les contraintes sont bien plus fortes que pour une économie émergente où les potentialités de croissance sont bien plus grandes. Je me suis déjà largement exprimé sur les problématiques de croissance (je vous renvoie à mes articles sur ce sujet)
S’il y a un résultat bien visible de ces politiques monétaires accommodantes, c’est l’euphorie des bourses américaines ; les indices atteignent des niveaux jamais atteints, ils battent des records régulièrement. A quand le Krach ?
L’économie globale qui pensait se raccrocher à l’économie américaine avec la reprise naissante va être certainement déçue. On a l’impression d’assister véritablement à un retour en arrière même si rien ne change. Comme on dit souvent « qui n’avance pas recule ». En fait la FED voit ses marges de manœuvre se rétrécir, car elle n’est pas seule au monde et doit composer avec des pays émergents devenus « dollars-dépendants ». Si elle bouge les curseurs trop rapidement, elle fait éclater les bulles un peu partout dans le monde et le flux des capitaux grossit comme une rivière en crue après un orage.
Le problème devient la fuite en avant, car plus la FED retarde le ralentissement de ses rachats d’actifs, plus elle doit manœuvrer avec soin, précision et doigté tout en prenant le risque de faire éclater des bulles et voir le spectre d’une nouvelle récession.
La FED manque désormais de visibilité. Elle hésite pour un changement de cap comme un bateau perdu qui a cru voir à un moment donné le rivage ; ce n’était finalement qu’un mirage. L’économie américaine ne se porte pas aussi bien qu’on pourrait le croire. Les bons chiffres de la croissance du dernier trimestre (2.5% sur un rythme annuel) sont bien fragiles. D’ailleurs la FED a du revoir les objectifs de croissance de 2013 et 2014 à la baisse. Preuve s’il en fallait une que le malade n’est pas rétabli et souffre encore. Ses souffrances sont telles qu’il est impossible de diminuer les doses de morphines. Depuis 2008, début des opérations de Quantitative Easing, aucune pause n’a été marquée. Une accoutumance s’est donc installée.
La FED qui doit impérativement soigner sa communication se trouve aujourd’hui dans une position très délicate (voire une impasse), car elle n’a jamais eu à résoudre dans l’histoire économique la solution de l’équation finale qui s’impose désormais. Il faut gérer la sortie : qu’est-ce que l’on fait après ? Comment ? En combien de temps ? Autrement dit comment sortir de ce dopage monétaire, quels seront les paliers ? Par touche de 5, 10, ou 15 milliards de dollars ? Il faudra une sacrée dextérité, une sensibilité extrême pour estimer ces paramètres de sorties, régler les mécanismes monétaires et ses courroies de transmission, avec des marchés qui réagissent à la moindre annonce, au moindre mouvement de l’institution.
Mr Ben Bernanke a vu en ce mois de septembre sa main trembler ? J’y vais, je n’y vais pas ? Un peu comme quelqu’un qui s’apprête à faire un saut à l’élastique. En voulant se lancer un défi, le sauteur n’a pas du tout imaginé ce qu’il ressentirait au moment où le précipice se rapproche. Il faut être devant la scène pour ressentir réellement les vraies sensations. Mr Ben Bernanke face à cette décision majeure (je baisse ou je ne baisse pas le débit de la planche à billets ?) a donc tremblé ! Il a refusé le saut ! Ce n’est qu’un report.
Je fais une petite parenthèse en constatant que la FED est restée constante durant le mandat de Mr Ben Bernanke et on ne pourra pas lui reprocher de changer régulièrement d’avis. Heureusement qu’elle ne ressemble pas à nos gouvernants français qui face à la pression fiscale, aux nouveaux impôts, aux nouvelles taxes, tiennent des discours sans cesse contradictoires d’un jour à l’autre. Parenthèse fermée.
Les marchés peuvent encore avoir confiance et boire à la santé des indices. La danse n’est pas terminée. La FED n’est apparemment pas prête à opérer le fameux virage. Le (la) successeur présumé du président actuel (Janet Yellen) qualifiée de colombe poursuivra si elle est élue la même politique accommandante. Tout va bien !
Alain Desert
Evolution du bilan de la FED. Source : site "les-crises"
50 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON