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La fin d’une époque

La Réserve fédérale américaine a donc annoncé dans la nuit de dimanche à lundi dernier, événement sans précédent, une réduction de son taux d’escompte et des facilités de crédits aux institutions financières non bancaires jusque-là réservées aux seuls établissements bancaires dûment réglementés ! M. Bernanke, son président, devrait également réduire de 0,75 point les taux d’intérêt usuels à l’issue de la réunion mardi de la Banque centrale américaine, totalisant ainsi une baisse de 3 % de ces taux depuis l’été dernier.

Bear Stearns, cinquième banque américaine, ayant survécu à la Grande Dépression et dont l’action valait 170 dollars en janvier 2007, aura donc été reprise pour 1 à 2 dollars par JP Morgan grâce à un prêt de 30 milliards de dollars consenti par la Fed qui prend là un risque supplémentaire. Ainsi, la méthode traditionnelle consistant à réduire les taux de manière substantielle démontre clairement ses lacunes dans le contexte actuel, sans même évoquer les dégâts irrémédiables causés sur le front inflationniste en réduisant à néant les efforts des principales banques centrales à travers le monde dans leur lutte pour assurer la stabilité des prix.

Créée en 1913 afin de sécuriser les marchés notamment en période de crise, la Fed - dont le rôle fondamental est de prêter aux banques - semble dépassée par les événements dans le système financier d’aujourd’hui où le crédit est assuré bien sûr par des banques, mais également par des sociétés financières, des investisseurs institutionnels, des courtiers... soit autant d’intervenants qui échappent à son contrôle et qui, par la force des choses, ne sont pas tenus d’appliquer des ratios stricts à l’instar des banques. Le système financier aujourd’hui est de très loin nettement plus interconnecté et opaque qu’il ne l’était il y a vingt ans et le marché du crédit - dont la valeur avait doublé atteignant 4,5 trillions de dollars en été - échappe en grande partie au contrôle des banques. La conséquence de l’apparition de joueurs non bancaires est que les dépôts n’y sont plus garantis par les fonds de l’Etat comme c’est le cas des dépôts bancaires ! Pendant ce temps, la Fed laissait faire pensant que la diversification des sources du crédit aboutirait à une économie moins vulnérable...

Il est vrai que depuis la crise de l’été dernier la Fed a entrepris des actions assez novatrices afin de redonner des couleurs au marché du crédit moribond, mais la décision prise hier de prêter à des institutions non bancaires achève de prouver, si besoin est, l’acuité de la crise de confiance généralisée qui sévit. La Réserve fédérale américaine a pourtant la possibilité depuis 1930 de prêter à d’autres que des banques à condition que cinq de ses sept gouverneurs en prennent la décision. Ayant franchi le Rubicon avec Bear Stearns, la Fed fausse néanmoins la donne du marché libéral en créant un précédent car le secteur privé n’en aura que plus de mal à valoriser une entreprise en difficulté du fait de cette faculté d’intervention de la Fed qui pourrait à tout moment redonner vie à une entreprise moribonde... Celle-ci défend son intervention en assurant que sa seule intention était d’éviter une faillite qui aurait provoqué des tourmentes encore plus dramatiques dans un système financier déjà fortement sinistré... Certes, de tels agissements encouragent potentiellement les spéculateurs, assurés du parapluie de la Fed, à prendre encore plus de risques. Toutefois, celle-ci préfère de loin ce scénario à celui, dramatique et aux conséquences incalculables, d’une faillite bancaire ! De fait, la Banque centrale américaine est déjà intervenue en temps de fortes tempêtes comme lors de la crise mexicaine de 1994 ou pour sauver en 1998 le fonds LTCM. Néanmoins, la Fed a très rarement pris des risques avec ses propres fonds comme lorsqu’elle l’avait fait en 1984 en prêtant des milliards à la Federal Deposit Insurance qui se retrouvait ainsi de facto plus ou moins la propriété de l’Etat.

Le système financier américain est en pleine déliquescence et la reprise de Bear Stearns soulève des questions essentielles car il semble qu’une politique d’assouplissement monétaire orthodoxe, même énergique, ne soit pas une assurance suffisante. En effet, alors que la Banque d’Angleterre avait été en partie responsable de la déroute de Northern Rock du fait de son manque de flexibilité et de son refus de baisser ses taux d’intérêt, la Réserve fédérale américaine, elle, a baissé généreusement les siens et a injecté en de nombreuses occasions des liquidités sur les marchés. Rappelons-nous avec nostalgie des jours, pourtant sombres, de 2001 où les bourses chutaient en dépit des baisses de taux américaines, mais où le billet vert montait au même moment car le marché était persuadé que la politique monétaire de la Fed était appropriée... Le message était clair à l’époque : certes, les Etats-Unis traversaient une récession, mais, comme la Fed était bel et bien aux commandes, de nouveaux flux de capitaux pouvaient s’investir en direction des bourses et du marché immobilier américains. Que ces jours semblent loin aujourd’hui : la Fed a déjà drastiquement réduit ses taux sans aucun effet, les investisseurs internationaux se bousculent hors du dollar et la confiance en notre système financier pose des questions existentielles.


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13 réactions à cet article    


  • ZEN ZEN 18 mars 2008 11:21

    "Le système financier américaine est en pleine déliquescence", oui , et les retombées en Europe risquent d’être terribles...

    Peut-on qualifier la journée d’hier une sorte de "lundi noir" , à partir de ces quelques brèves ?

     

    Tempête financière aux USA : de la dénégation à l’aveu


    - "Les États-Unis sont-ils à la veille d’un collapsus majeur de leur système bancaire ? L’hypothèse, jusqu’ici impensable, est désormais prise très au sérieux au plus haut niveau de l’Administration américaine. La première économie mondiale se trouve au seuil d’une récession profonde, et la chute sans fin du dollar traduit une perte de confiance préoccupante des bailleurs de fonds internationaux, à l’égard du pays. En insistant longuement, mercredi soir, sur les risques posés par l’affaiblissement du billet vert, George W. Bush a admis la gravité de la situation. .."(Le Figaro)


    Le dollar s’effondre sur fond de panique bancaire
    "...Les économistes ne craignent plus seulement l’entrée en récession de la première économie mondiale, ils se demandent si ce n’est pas l’ensemble du système financier américain qui est en train de s’écrouler, avec des risques de faillites bancaires en cascade, comme les Etats-Unis en avaient connu durant la Grande Dépression..." (Le Monde)


    Pour sauver Wall Street Bernanke plombe le dollar :
    " Devant l’absence de l’autorité et du courage politique requis pour trancher dans le vif, la Fed en est réduite aux expédients qui, s’ils permettent de masquer l’ampleur des pertes, retardent l’heure de vérité et compromettent le dollar. Pour sauver Wall Street, Bernanke exporte la crise et fait naître une poussée de fièvre inflationniste mondiale, au risque d’un retour de bâton dévastateur : l’abandon du dollar comme monnaie de réserve mondiale." (Contre-info)

    -Crise Financière : nous sommes tous roubinistes désormais
    "Les pertes du système financier sont maintenant estimées entre 2000 et 3000 milliards de dollars, ce qui place virtuellement les banques dans une situation de faillite généralisée. En tentant de se protéger en différant la reconnaissance de leurs pertes, elles accroissent le risque d’un effondrement systémique. Tous les économistes s’accordent à penser qu’une recapitalisation d’urgence est nécessaire. Mais cette mesure nécessiterait une nationalisation massive du système bancaire, impensable au pays de la libre entreprise, et ceci d’autant plus en année électorale. Faute de pouvoir - pour l’instant - briser ce tabou, la Fed en est réduite aux expédients et se transforme en mont de piété pour créances douteuses." (contre-info)

    Marchés : « La crise la plus grave depuis la seconde guerre mondiale »
    "Selon Alan Greenspan, qui a été président de la Fed pendant 19 ans, « la crise financière aux Etats-Unis va être vraisemblablement jugée comme la plus grave depuis la seconde guerre mondiale ». Pour lui, la crise prendra fin quand les prix des biens immobiliers se stabiliseront, entrainant celui du prix des produits financiers adossés à des prêts hypothécaires." (Le Figaro)

    Sarkozy face au rebond de la crise financière
    "« Les crises financière et monétaire se renforcent l’une l’autre comme si la force de la mondialisation se retournait contre elle, analyse Eloi Laurent, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). L’excédent commercial de la France vis-à-vis des Etats-Unis se transforme en déficit. Un euro à 1,40$, c’est un problème. A 1,60$ c’est une catastrophe ! » (Marianne)


    • Forest Ent Forest Ent 18 mars 2008 11:32

      La FED n’a plus aucune prise. On est bien au delà des questions portant sur la morale du business. Nous avions annoncé sur AV un krach il y a six mois. Il va se produire dans les semaines qui viennent.


      • Spookimouk 18 mars 2008 11:37

        Les mois à venir vont être interressants. Les US vont devoir prendre des mesures draconiennes pour redresser la barre mais ils ne le feront pas avant les élections.

        Le prochain gouvernement US, quelqu’il soit, va avoir du pain sur la planche.


        • Alberjack Alberjack 18 mars 2008 12:40

          Excellent article.

          Le problème c’est que personne ne connaît la longueur de la mèche qui conduit à l’explosif et la prodondeur du trou qu’il va creuser.

          Ce qui est certain, c’est que les Etats vont essayer de le boucher avec des fonds publics et des emprunts auprès des fonds souverains des Etats émergents.

          Conséquence immédiate : ce sont des réductions budgétaires drastiques qui se profilent , autrement dit, la politique de rigueur.

          Les effets de bord politiques ne seront pas négligeables à l’instar de ce qui se passe en Allemagne où la gauche "profite" de la situation et remonte dans les intentions de vote des prochaines élections.

          Tout le monde doute aujourd’hui de nos économies : c’est la cohésion sociale et poltique des Etats occidentaux qui est en jeu.


          • aquad69 18 mars 2008 13:37

            Bonjour Michel Santi,

            effectivement, les nouvelles pleuvent... Prochaine étape, après les banques, les fonds de pensions ? Que se passe-t-il quand des millions de retraités ne reçoivent plus leur retraite, tout à coup ? Et après ?

            Tout celà risque bien de déboucher sur la guerre, toujours l’ultime tentative des dirigeants pour purger leur économie en faillite. Alors, quel en sera le détonateur, l’Iran ou le Kosovo ?

            Fin d’époque, en effet... Si en 1939 on avait demandé aux Français de décrire le Monde comme il serait dix à quinze ans plus tard, ils auraient assurément eu des difficultés à l’imaginer....

            Cordialement Thierry

             

             


            • Céphale Céphale 18 mars 2008 14:08

              La situation est tellement inédite que personne ne se risque à prévoir un scénario. C’est la première fois dans l’histoire que le système financier mondial échappe à tout contrôle.


              • Mr Mimose Mr Mimose 18 mars 2008 14:16

                Tout ces beaux messieurs qui nous disaient que l’état ne doit pas intervenir dans leurs affaires !

                Maintenant qu’ils sont en faillite ils appelent l’état à leur rescousse !

                Qui va payer ? Et bien je vous laisse deviner.


                • Gilles Mesnard Gilles Mesnard 18 mars 2008 14:57

                  Parce qu’il est plus facile de prendre un petit peu d’argent à un grand nombre que beaucoup d’argent à un petit nombre, on pourrait croire qu’il va y a voir des coupes claires dans les budgets sociaux, des impôts nouveaux qui vont ponctionner l’argent des ménages, sauf que cela me semble improbable :

                  - la consommation est le seul levier économique pour maintenir un taux de croissance : si le pouvoir d’achat diminue tout part en sucette

                  - le budget des ménages est maintenant au taquet : les gens puissent dans leurs épargnes pour boucler leurs fins de mois. C’est une paupérisation générale qui nous guette et qui menace les nations occidentales.

                  Dans le Figaro d’aujourd’hui j’ai lu que C. Lagarde maintient son budget basé sur une croissance à 2% avec un baril à $ 71. Et elle ne parle même pas de l’inflation des matières premières.

                  DAF d’une grosse PME je peux vous assurer que si j’établissais un tel budget je me ferais jeté vite fait par nos actionnaires (ou que la boîte coulerait à vitesse grand V).


                • Yves Rosenbaum Yves Rosenbaum 18 mars 2008 14:26

                  @ Michel Santi,

                  nouvel article de très bonne qualité, merci. La FED ne contrôle plus rien, on est bien d’accord sur ce constat. Est-ce une nouveauté ? A priori, oui. Et pourtant, depuis que j’ai lu " les mensonges de l’économie " de Galbraith, ça ne m’apparaît plus si clairement ...


                  • ZORBA 18 mars 2008 15:21

                    JE ME DEMANDE S’IL EST VRAI QUE LA SITUATION EST HORS CONTROLE C’EST POSSIBLE A MOINS QUE CE SOIT UN ECRAN DE FUMEE DESTINE A CACHER DES MANOEUVRES INAVOUABLES ,SOCIALES OU MILITAIRES.

                    COMME LE SYSTEME NE TIENT PAS A SE SUICIDER NE VA T IL PAS NOUS MENER A UNE NOUVELLE GUERRE "LOCALE"...IRAN ....SYRIE ....PAR EXEMPLE.

                    COMMENT PENSER QUE L’ECONOMIE DES USA PUISSE S’EFFONDRER SANS QU’ELLE N’ENTRAINE OU TENTE D’ENTRAINER LE RESTE DU MONDE DANS SA CHUTE.

                    CECI DIT PLUS TOT NOUS REDEVIENDRONS MAITRE DE NOS ECONOMIES MIEUX CELA SERA QUITTE A ETRE DEBARASSE DE L’ONCLE PICSOU ....J’ALLAIS DIRE DU GRAND SATAN


                    • saint_sebastien saint_sebastien 18 mars 2008 16:42

                      une guerre est probable en effet.


                    • Mr Mimose Mr Mimose 18 mars 2008 17:02

                      par Gilles Mesnard (IP:xxx.x24.68.208) le 18 mars 2008 à 14H57
                       

                       
                      "Parce qu’il est plus facile de prendre un petit peu d’argent à un grand nombre que beaucoup d’argent à un petit nombre"
                       
                      Ouais tiens comme par hasard ! Mais si je mange une patate le soir, ça veut dire que demain je devrais me contenter d’une demi-patate, pendant que les milliardaires continueront à festoyer. Je suis pas d’accord moi !
                       
                      Qu’ils crachent les salauds, qu’ils les rendent leurs milliards !

                      • 62PETRUS 19 mars 2008 13:49

                        le monde est devenu virtuel.société zapping !peu de convictions profondes et surtout sans constance.il faut changer tous les jours:toute vision est à très court terme.Alors pourquoi pas ?

                         

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