La France championne des investissements étrangers : mythe ou réalité ?
« La France se classe au troisième rang mondial et au deuxième rang européen des Investissements directs étrangers. La qualité des infrastructures, de la formation, de la recherche et des ressources humaines sont les facteurs favorisant l’implantation des grands groupes étrangers sur notre territoire ». Voilà à peu de chose près le discours aseptisé que tous ceux qui suivent de près la politique ont entendu à maintes reprises. Et la plupart du temps de surenchérir : « Et puisque les groupes étrangers viennent installer leur outil de production en France, c’est bien la preuve que le coût du travail et la fiscalité sont des mythes et ne sont en rien un frein au développement et à l’investissement ». Effectivement, l’argument semble imparable. Le seul problème, c’est que nous, simples citoyens, ne voyons ni n’entendons jamais concrètement trace de ces implantations miraculeuses. Pourtant, il paraît difficile de croire que les médias ne les relayeraient pas avec fracas, cf. le battage médiatique autour du site de Valenciennes, il y a quelques années. Je vous propose donc dans cet article une petite excursion au pays des investissements, qui permettra à chacun de se faire une meilleure idée sur l’un des arguments favoris de chers élus de l’UMPS. Bonne lecture, vous ne serez sans doute pas déçus...
Définition d’un Investissement direct étranger
Avant de passer aux choses croustillantes, commençons par une définition (Wikipédia) de ce qu’est un Investissement direct étranger (IDE). « L’IDE est une activité par laquelle un investisseur résidant dans un pays obtient un intérêt durable et une influence significative dans la gestion d’une entité résidant dans un autre pays. Cette opération peut consister à créer une entreprise entièrement nouvelle ou, plus généralement, à modifier le statut de propriété des entreprises existantes (par le biais de fusions et d’acquisitions".
En d’autres termes, un IDE est soit une création d’entreprise, soit un rachat de tout ou partie d’une entreprise. Notez bien le « plus généralement, à modifier le statut de propriété des entreprises existantes », car comme nous allons le voir c’est un euphémisme.
Les chiffres que l’on entend et lit souvent
Les flux d’IDE entrant en France ont bondi en 2005 à 65 milliards d’euros, cela après deux années creuses en 2003 et 2004, et ils se maintiennent au même niveau en 2006. Ces niveaux sont les plus élevés jamais enregistrés en France
65 milliards d’euros, rendez-vous compte de la chance que nous avons ! D’autant plus qu’un organisme a bien entendu été spécialement affrété pour étudier le phénomène et en rendre compte au gouvernement : il s’agit de l’Agence française pour les investissements internationaux (AFII). Son rapport 2007 se trouve ici.
On y apprend qu’en 2007 on estime que 34 517 emplois ont été créés ou maintenus grâce aux IDE. Et la première douche froide est de rapprocher ce chiffre avec les 65 milliards d’euros annoncés... L’explication est simple, l’immense majorité des IDE est un rachat de société, une simple transaction boursière qui ne crée aucun emploi. Quel pourcentage ? Top secret, l’information est introuvable et on devine pourquoi. Ceci dit me direz-vous, 34 517 ce n’est pas énorme mais c’est toujours ça... Eh bien non, perdu ! Le rapport de l’AFII comporte quelques perles vous allez pouvoir en juger.
Quelques exemples « d’implantation »
Le domaine manufacturier, c’est-à-dire la production au sens large (automobile, logiciels, surgelés...), est celui que la qualité de nos infrastructures, de nos ingénieurs et autres chercheurs devraient attirer en masse. Je cite : « Parmi les opérations les plus importantes de cette année, on peut mentionner : l’extension de Renault Trucks à Bourg-en-Bresse (363 emplois créés) ; la reprise de la société de fonderie Florence & Peillon, située en Rhône-Alpes à Vaulx-en-Velin, par le groupe italien Garro Spa (420 emplois sauvegardés) ; la reprise extension du fabricant de produits de la mer surgelés Pickenpack-Gelmer par l’Islandais Iceland Group (290 emplois sauvegardés et 100 emplois créés).
Résumons tout cela : notez donc que l’on appelle « investissement étranger » les emplois créés par une filiale de Renault cédée à Volvo par échange de capital... Pourquoi pas, mais le moins que l’on puisse dire c’est que c’est tiré par les cheveux.
Notez également la « création de 100 emplois » et les « 420 emplois sauvegardés » de Pickenpack-Gelmer. C’est formidable, malheureusement on parle d’une cession qui a été annulée, l’investisseur providentiel ayant jeté l’éponge ! Et, pour couronner le tout, signalons qu’il s’agit au départ déjà d’un groupe islandais qui souhaite se débarrasser de deux encombrantes usines en les vendant à un des cadres islandais du groupe... Qui finalement a donc refusé. Ça c’est de l’IDE, et du vrai ! En caricaturant, une entreprise qui changerait de main chaque année de groupe étranger en groupe étranger serait chaque année considérée comme un IDE !
Quant à Florence & Peillon, la société était en liquidation et le tribunal de commerce a attribué sa reprise à un groupe italien, qui contrairement à ce qui est dit par l’AFII a d’emblée annoncé des suppressions de 10 % d’emploi !! Pour commencer...
Ne perdez pas de vue qu’il s’agit-là des trois (seuls) exemples de production mis en avant par l’AFII dans son rapport ! Et sur les 1 278 emplois portés par ces 3 exemples, seuls ceux de Renault, entreprise étrangère au demeurant, sont des créations d’emplois. Tous les autres, soit 70 %, sont des emplois qui seront dans le meilleur des cas maintenus. Etait-ce là l’idée que vous vous faisiez, chers lecteurs, de la France championne des investissements étrangers ?
Alors sur les 34 517 emplois que l’on nous annonce, combien sont réellement des créations... 30 % ? 20 % ? Probablement moins, même si le domaine des services est un peu moins sinistré (KPMG en tête avec +800 personnes) ainsi que celui du tourisme (en tête de liste on apprend la création d’un hôtel par un groupe chinois, +360 personnes)...
Le coup de grâce...
Pour le lecteur qui ne serait pas encore tout à fait convaincu qu’il est manipulé par les chiffres de nos bienfaiteurs politiques, précisons que les « sauvegardes » d’emploi par rachat de groupes étrangers sont calculées en brut, pas en net. Qu’est-ce que cela veut donc bien dire ? Vous allez tout de suite comprendre : souvenez-vous de l’usine Arcelor-Mittal rachetée par un groupe indien et son PDG charismatique (photo de l’article), que Sarkozy avait promis de sauver. Eh bien, les 600 emplois seront bel et bien supprimés, retrouvez un article ici.
Résultat des courses : la cession de l’usine a été comptabilisée dans les investissements étrangers (là encore, je vous laisse apprécier la notion d’investissement), mais les 600 emplois supprimés ne sont bien sûr pas déduits des 34 517 « emplois créés / sauvegardés par les IDE » !!! Génial non ? Ou comment faire dire aux chiffres ce que l’on a envie d’entendre...
Enfin, la dernière perle de ce fameux rapport concerne les aménagements fiscaux censées favoriser les IDE. En tête de liste on trouve, je cite : « suppression dès 2008 de la taxe sur les transactions boursières ». Une transaction boursière, Messieurs, Dames, voilà ce qui est pour nos gouvernants un investissement.
Quelle conclusion ?
Le danger de cet argument d’investissement étranger, c’est qu’il est extrêmement fondateur : « si les groupes étrangers viennent investir ici plus qu’ailleurs, c’est que nous sommes sur la bonne voix, plus blanc que blanc, continuons ». Dans certains cas cela peut être vrai. Mais dans celui de la France, il signifie simplement que les capitaux des ex-entreprises françaises se promènent de main en main plus qu’ailleurs au gré des fluctuations. Et il est honteux d’utiliser cela comme argument politique en détournant complètement le sens des chiffres. La passivité des « journalistes » quand ils sont confrontés à ce sujet ou à son petit frère, "les Français ont un des taux de productivité les plus élevés au monde" est encore plus écœurante. Retenez un peu de tout cela, aidez nos politiciens à ne plus nous mentir.
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