La France en 2014
La dégradation actuelle de l'économie nationale va se poursuivre en 2014. Différents scénarios sont proposés, qui tiennent compte de l'intensité variable des différents facteurs récessifs.
La France en 2014 : Scénarios
La situation de la France ne peut a priori que se dégrader en 2014. Les fondamentaux sont malsains : anarchie commerciale entraînant la dislocation de pans entiers du tissu productif, euro surévalué qui déséquilibre davantage encore le commerce extérieur, stagnation de la demande intérieure et de celle de la zone euro, fiscalité sur le travail et charges administratives pesant fortement sur l'activité. De nouveaux facteurs récessifs vont s'ajouter : coincée entre les pays du Nord rattachés à une structure industrielle allemande restant nettement plus compétitive et les pays du Sud de la zone qui tentent de combler leurs écarts de compétitivité par une politique de déflation salariale, la France compense provisoirement par un relatif maintien de sa demande intérieure. Mais cela a pour effets d'accroître l'endettement et d'augmenter la consommation de produits importés plus que de revitaliser la production nationale. Cette situation n'est donc pas tenable à terme. L'année 2014 devrait voir la France passer sous la barre des 3 millions d'emplois industriels. Par ailleurs, la déflation qui gagne la zone euro va avoir pour effet une appréciation de la monnaie unique dans un contexte de guerre des monnaies (c'est-à-dire de chute de toutes les autres monnaies), entraînant une appréciation de l'euro qui va pénaliser plus encore l'industrie française et que les pays du Sud ne supporteront pas, d'où une nouvelle dépression de la demande intérieure qui engendrera elle-même un nouvel accroissement de la part des exportations, renforçant le cercle vicieux de la déflation, etc. La déflation, la dépression de la demande intérieure due aux politiques d'austérité et le recours accru à la compensation par les exportations vont aggraver la paupérisation de la zone euro, entraînant un ordre encore plus inégalitaire entre Etats (l'Allemagne, déjà dominante, a une plus grande capacité à absorber l'appréciation de la monnaie unique que ses partenaires du Sud) et au sein des Etats (la politique déflationniste de priorité aux exportations entraîne une baisse des revenus du travail et une augmentation des revenus du capital, accroissant les inégalités et fragilisant la cohésion sociale). A l'échelle de la zone euro, des tensions sociales vont s'ajouter aux tensions entre Etats, pour des raisons inhérentes à la logique de l'euro et au sacrifice religieux de l'économie réelle rendu nécessaire au maintien d'une monnaie structurellement dysfonctionnelle. En France, le gouvernement a ajouté en 2013 de nouveaux impôts sur une base déjà très élevée et, pis encore, avec un tropisme prononcé pour l'injustice fiscale (impôts indirects, ménages modestes, familles nombreuses). Cela a fortement pénalisé l'activité et va s'accentuer avec le relèvement de la TVA. Enfin, le risque extérieur d'une nouvelle crise financière venue de Wall Street est tout à fait envisageable cette année, puisque la bourse de New York atteint des niveaux record, que l'absence totale de régulation du secteur financier maintient intactes les causes du krach de 2008 et que l'absence totale de contrôle interne et externe des capitaux constitutionnalisée par tous les traités européens de Maastricht à Lisbonne ont pour effet de rendre aussi violentes en Europe qu'aux Etats-Unis les crises financières, qu'un contrôle des flux de capitaux permettrait de juguler en grande partie. L'euro fort, l'application dogmatique du libre-échange, la déflation causée par le maintien de l'euro, la fiscalité éleéve et la crise financière due à l'absence de rerégulation des activités spéculatives et de mouvements de capitaux vont être, une fois de plus, les principaux facteurs de la détérioration de la situation économique. Les scénarios qui suivent varient selon l'intensité des ces facteurs.
Scénario 1 (tendanciel) : pourrissement tranquille
Comme au cours des quinze dernières années, la monnaie chère, l'absence totale de protection face à la concurrence déloyale des pays à bas coûts salariaux et le poids de la fiscalité sur le travail ont pour effet une délocalisation des activités industrielles, entraînant une aggravation du chômage. Depuis environ cinq ans, elle n'est plus compensée par la création d'emplois dans les services (croissance zéro depuis 2008) ou dans le secteur public (diminution des effectifs sous la présidence Sarkozy, non compensée sous la présidence Hollande). La crise financière n'a pas lieu en 2014. La croissance mondiale compense la dépression de la zone euro. La TVA dite « sociale » permet de limiter à la marge les effets néfastes de l'appréciation de l'euro. La hausse du chômage se limite à deux ou trois centaines de milliers de personnes et se concentre sur des territoires déjà en difficulté (Centre, Limousin, Languedoc, Lorraine). Le taux (officiel) de chômage atteint donc gentiment 12 à 14 % de la population active. La ségrégation entre une France marchande, compétitive et relativement préservée, et une France de plus en plus dépendante des revenus de transferts sociaux (retraite, chômage, RSA) s'accroît, mais la colère sociale est contenue, se limitant à l'essaimage de mouvements de plus en plus spontanés (d'où partis de gauche et syndicats sont évacués), interclassistes (front commun de patrons et de salariés subissant la même menace de perte d'emploi) et dans des territoires de plus en plus surprenants (hasardons le Cher, le Gard, l'Hérault et l'Aisne). Le maintien à court terme de la stabilité politique et sociale est permis par le caractère sporadique et limité de ces mouvements.
Scénario 2 (semi-marginal) : aggravation qualitative
Les facteurs évoqués dans le scénario précédent étant maintenus, il faut compter d'emblée les deux à trois cent millions de chômeurs auxquels la situation que nous allons décrire ne fait que s'ajouter. Prise dans un étau entre pays du Nord de l'Europe bénéficiant platement d'un phénomène d'accumulation du capital (compétitivité permettant de dégager des excédents extérieurs, comptes équilibrés permettant de nouveaux investissements renforçant l'avantage en terme de compétitivité, etc) et pays du Sud ayant compensé leur retard par une baisse des salaires qui leur permet de diminuer leurs coûts de production, la France voit sa compétitivité se dégrader plus rapidement que prévu, ce qui entraîne l'effondrement de pans entiers de son industrie, et, partant, d'autres secteurs d'activité. Le nombre de chômeurs s'accroît de cinq-cents mille à un million. La colère sociale est hors de contrôle. La fracture idéologique entre élites (grand patronat, banque et finance, économistes, journalistes, personnel politique, hauts fonctionnaires, voire élite des syndicats) et corps social productif (agriculteurs, ouvriers, chômeurs, employés, patrons de PME, artisans, commerçants) est consommée. La place est donc nette pour une situation insurrectionnelle. Cependant, l'hétérogénéité du corps social (chômeurs inclus) ne rend pas cette insurrection unitaire, permettant diverses situations cumulables :
. (2a) Contrairement aux lieux communs médiatiques, le chômage et la pauvreté sont essentiellement urbains, concernant les métropoles et les populations les plus jeunes. Ils touchent massivement les populations immigrées et d'origine immigrée, s'ajoutant à l'échec du renoncement à l'assimilation républicaine. Le risque d'une superposition croissante de la fracture sociale et de la fracture ethnique se matérialise. Des émeutes urbaines ont lieu et se généralisent. La police et l'armée, considérablement affaiblies en terme de moyens et d'effectifs, peinent à maintenir l'ordre, ce qui permet de faire durer la situation et de faire oublier momentanément le chômage. La situation de fait et la vulgate éditoriale mènent à une fédération toutes classes confondues de la France blanche contre la France d'origine immigrée. PS, UMP et FN surenchérissent dans la lecture ethnique des rapports sociaux du fait d'une convergence momentanée de leurs intérêts respectifs (occultation de l'économique et du social pour le gouvernement, fructification du fonds de commerce ethnicisant des oppositions).
. (2b) Le chômage, la fiscalité, la baisse du pouvoir d'achat mènent à une généralisation des mouvements sur le modèle des « bonnets rouges » bretons : interclassistes, anti-fiscaux, avec éventuellement une composante identitaire et régionaliste. Ces trois composantes permettent à la bourgeoisie de gauche (médias et hommes politiques dits « de gauche », sommet des syndicats, milieux culturo-mondains) d'occulter la colère sociale que ces mouvements expriment et de nier le fait que la droitisation de la colère sociale n'est que le reflet et la conséquence de l'abandon par la gauche des problèmes sociaux. Une diabolisation subtile des mouvements assimilés à la « droite » (petits patrons, membres du clergé catholique), au sein desquels les salariés ne pourraient être que des « traîtres » ou « manipulés », et reposant sur une vision obsolète de la lutte des classes (salarié contre patron), occultant ses nouvelles formes (élites contre corps social, voir ci-dessus), permet une manipulation particulièrement retorse de l'opinion consistant à décrédibiliser les mouvements sociaux au nom de la lutte de la gauche contre la droite.
L'absence d'unité du corps social, la permanence de catégories politiques obsolètes, l'ethnicisation du discours sont autant de facteurs puissants d'échec des mouvements sociaux. La possible coexistence d'émeutes urbaines, de mouvements « droitisés » et du traditionnel défilé Nation-République ne laisse en effet aucune difficulté pour jouer ces groupes les uns contre les autres. Par ailleurs, leur radicalité risque d'entraîner l'effet inverse de celui escompté : la fuite en avant dans l'intégration européenne, accentuant la substitution de la technocratie (Commission, BCE, CJUE) aux hommes politiques élus, l'application automatique de principes (rigueur budgétaire, concurrence libre et non faussée, libre-échange) constitutionnalisés ou inscrits dans l'ordre juridique européen (TSCG, six-pack, two-pack) à la politique délibérée souverainement, et, plus généralement de l'échelon européen à l'échelon national sans même de contreparties de pure forme en termes de « démocratie » européenne. Une situation insurrectionnelle et la dégradation des comptes publics qui suivra celle de l'économie seront autant d'excellents prétextes à une accentuation de l'ingérence de la technocratie européenne, pour qui la France, par son (relatif) refus de l'austérité salariale, est déjà le « mauvais élève ». Le traité de libre-échange transatlantique, qui sert bien évidemment les intérêts américains, va entrer en vigueur, réduisant davantage les souverainetés nationales et la protection de l'industrie française. Les élections européennes vont aboutir, malgré une progression des partis d'opposition (gauche radicale, souverainistes de tous bords, extrême-droite), à une victoire du bloc européiste (sociaux-démocrates, écologistes, libéraux, chrétiens-démocrates), lequel va durcir son agenda fédéraliste en usant des méthodes habituelles : renforcement de l'intégration par le haut, aussi discrètement que possible, sous des prétextes techniques, sur un mode jargonnant, et sans consultation populaire. Rappelons en passant que l'inénarrable Jacques Delors a appelé à un « putsch démocratique » à l'issue des élections, oxymore dont l'ambiguïté étudiée ne manque pas d'interpeller.
Scénario 3 (semi-marginal) : l'éternel retour de Wall Street
Il faut à nouveau inclure les facteurs de dégradation de l'économie et les chômeurs précédemment évoqués, auxquels ce qui suit ne fera que s'ajouter.
Après une politique de rachat massif d'actifs (l'équivalent de 20% du PIB américain), la réserve fédérale est face à un dilemme. Si elle poursuit sa politique, la quantité de liquidités émises va alimenter une bulle financière (déjà à l'oeuvre) susceptible d'entraîner un nouveau krach boursier, suivi d'une nouvelle récession que le corset institutionnel de l'UE n'autorise pas à combattre efficacement (liberté totale de circulation des capitaux favorisant la contagion de la crise, répression des entraves à la concurrence que serait le soutien de l'Etat à l'activité, équilibre des comptes publics requis quelles que soient les nécessités conjoncturelles). Si la réserve fédérale cesse ses opérations, l'effondrement boursier sera immédiat, ainsi que la récession qui l'accompagne nécessairement. Par ailleurs, les deux cas risquent de causer un effondrement du dollar renforçant la surévaluation de l'euro et s'ajoutant à la récession.
Nous devons avouer notre incapacité à évaluer précisément la situation si ce risque se matérialise en s'ajoutant à ceux décrits dans les deux scénarios précédents. Au total, le nombre de chômeurs pourrait s'accroître de près de deux millions en deux ans. Cela aboutirait à une situation insurrectionnelle non plus locale, mais généralisée, et, partant, à une crise de régime bien plus vivace qu'une simple crise sociale et/ou gouvernementale. Quelle qu'en soit l'issue, il est certain que les autorités auront d'immenses difficultés à contenir la situation.
Scénario 4 (marginal) : le sursaut salutaire.
Suite à de nouvelles circonstances (panique face à la montée du FN, nomination de Jean-Pierre Chevènement au poste de Premier Ministre, faiblesse face aux mouvements sociaux devenus violents) un changement radical de politique a lieu.
La France quitte unilatéralement l'euro, ce qui entraîne mécaniquement la sortie des pays du Sud de la zone. Le démontage de l'union monétaire devenu inéluctable, les Etats européens s'accordent pour une sortie concertée (rétablissement temporaire du contrôle des capitaux pour contenir la spéculation, mise en place d'une monnaie commune pour les échanges extérieurs par rapport à laquelle les monnaies nationales peuvent s'apprécier ou se déprécier selon les besoins et le niveau de l'économie réelle). Le nouveau franc est dévalué de 20% par rapport au dollar ; le nouveau mark s'apprécie. Les entreprises françaises retrouvent leur compétitivité sans avoir à baisser les salaires et/ou les charges sociales, ce qui permet une décrue progressive du chômage, un maintien du pouvoir d'achat et un rééquilibrage des comptes publics et sociaux (suppression de niches fiscales imposées par le manque de compétitivité par rapport à l'Allemagne dans un régime de parité monétaire, baisse des dépenses d'indemnisation des chômeurs et augmentation du volume des cotisations par le retour à l'emploi d'anciens chômeurs).
Les effets positifs, s'ils sont certains, n'interviendront pleinement qu'à partir d'un à deux ans, ce qui laissera toute latitude à la presse, à l'UE et à une grande partie du personnel politique pour diaboliser et tenter de déstabiliser cette nouvelle politique. Mener « l'autre politique » suppose donc constance et détermination car il serait pire encore d'y renoncer avant qu'elle n'ait produit ses effets bénéfiques. Cette politique est possible et souhaitable. Elle est même, à notre avis, la seule à pouvoir améliorer la situation économique de la France face aux nombreux risques qu'elle court aujourd'hui. Les partis qui se disent « républicains » seraient bien avisés de s'y atteler avant que la situation économique et sociale ne devienne insupportable et que des forces moins fréquentables ne s'en chargent.
L'économie n'étant pas tout, je souhaite une bonne année à chacun et vous donne rendez-vous le 31 Décembre prochain pour juger de la pertinence de mes conjectures et remettre le couvert pour l'exercice 2015.
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