La France et le Danemark dans la crise : des divergences révélatrices
Rien de tel que les périodes de crise pour prendre véritablement conscience des spécificités nationales des Etats membres de l’UE. Lorsque ces dernières sont synonymes de succès, elles doivent bien sûr être favorisées. A l’inverse, lorsqu’elles sont totalement contre-productives, il est nécessaire de les dénoncer. Une comparaison entre la France et le Danemark dans la période de crise actuelle est à ce titre très instructive.
1) De l’intérêt de la prospective
Savez-vous ce qui a dominé l’actualité économique danoise la semaine passée ? La présentation des conclusions de la commission fiscalité, dont la tâche est, de concert avec la commission emploi, de trouver les moyens d’atteindre les objectifs contenus dans le cadre du « plan économie 2015 », à savoir l’augmentation de la main-d’œuvre totale de l’ordre de 20 000 personnes et le maintien du temps de travail moyen (1).
Autrement dit, malgré l’ampleur de la dégradation de la situation économique, le Danemark poursuit contre vents et marées (c’est le cas de le dire) ses efforts en termes de réformes structurelles et montre une nouvelle fois sa capacité à affronter sans se voiler la face les défis du futur. Quand bien même cette réforme est déconnectée dans ses grandes lignes de tout plan de relance immédiat, son intérêt à court terme est néanmoins évident : contribuer à accentuer le redémarrage de l’économie à partir de 2010. Peut-on en dire autant dans notre pays ?
2) Les recommandations de la commission fiscalité
Ces dernières devraient déboucher sur l’adoption d’ici l’été d’une vaste réforme censée entrer en vigueur au 1er janvier 2010. Parmi elles :
- Une baisse de 4,7 milliards d’€ de la fiscalité sur le travail à travers notamment la suppression de la tranche intermédiaire d’imposition, la baisse du taux applicable aux tranches inférieures et supérieures, l’élévation du seuil à partir duquel un contribuable se situe dans la tranche supérieure…Avec pour conséquence un abaissement du taux d’imposition marginal de 63 à 55% et du bouclier fiscal de 59 à 50%.
- Un financement assuré par une hausse de la fiscalité sur l’énergie, par l’élargissement de l’assiette de l’impôt sur le revenu et la suppression de certaines niches fiscales.
La suppression de la tranche intermédiaire d’imposition ne fait sens que parce que 90% des danois s’acquittent déjà de l’impôt sur le revenu. Proposer, comme le fait aujourd’hui notre gouvernement, de supprimer la tranche d’imposition inférieure revient donc à mettre la charrue avant les bœufs lorsque l’on sait qu’à peine 50% des contribuables français sont aujourd’hui soumis à l’impôt sur le revenu et que plus de 400 niches fiscales perdurent…(2).
Autre évolution fiscale préoccupante dans notre pays, la préconisation de la suppression de la taxe professionnelle : est-ce vraiment raisonnable lorsqu’une réforme des collectivités locales est annoncée pour bientôt et qu’elle ne pourra être mise en œuvre sans de larges consultations au niveau national et local ?
3) Le contexte d’avant-crise
Les mesures fiscales et d’emploi prises avant une crise systémique ne sauraient empêcher son apparition. Mais peut-être peuvent-elles dans certains cas l’accentuer ?
Par chance, le revenu disponible brut des ménages danois devrait progresser de 3,7% en 2009, sous l’impulsion des conventions collectives signées en 2008 (hausses salariales de 12,8% sur 3 ans) et des réductions d’impôt sur le revenu décidées en 2007 et étalées sur 2008 et 2009. Une évolution dont les effets en termes de consommation privée sont certes limités (croissance attendue de 0,7% tout de même), mais qui permet de faire face au niveau élevé d’endettement des ménages.
Pendant ce temps-là, que faisait la France ?
- Adoption d’un paquet fiscal présenté, une fois la crise confirmée, comme un amortisseur à cette dernière et dont le seul véritable effet est de plomber les comptes publics.
- Adoption de la défiscalisation des heures supplémentaires, qui accentue aujourd’hui la dégradation constatée sur le front de l’emploi.
Par pure malchance, la France ne s’est donc pas bien préparée à la crise actuelle. Etonnant lorsque l’on sait qu’au 1er semestre 2008, lors des négociations entourant le renouvellement des conventions collectives, les syndicats danois avaient déjà clairement conscience de la fin d’une période faste, sans il est vrai être en mesure de prévoir une crise de cette ampleur…
4) La relance
Elle est pour le moins timide au Danemark et en tous les cas d’une ampleur plus limitée que chez ses voisins nordiques. Elle consiste aujourd’hui en une éventuelle accélération des programmes d’investissements publics (construction de nouveaux hôpitaux, de nouvelles routes, rénovation d’écoles et de maisons de retraites). Les raisons invoquées sont le niveau encore très bas du chômage (2,1% en décembre 2008)…et les objectifs du plan économie 2015 en termes de finances publiques.
La France est quant à elle prisonnière des débats du passé. Notamment celui relatif à la politique de relance de 1981 : entre un PS qui n’apprend rien de ses erreurs (programme de relance presque exclusivement basé sur une relance de la consommation) et une UMP qui s’est jusqu’à présent refusée à toute intervention dans ce domaine (après avoir pourtant fait campagne sur le pouvoir d’achat), il est temps d’aller voir ailleurs…
Sans oublier le plan d’aide au secteur automobile, basé sur un protectionnisme des plus populistes (en échange du prêt de 6 milliards d’euros, les constructeurs s’engagent à ne pas délocaliser ni licencier), surtout à la lumière des dernières déclarations de Sarkozy à ce sujet (“c’est ma responsabilité de préserver l’emploi en France”) (3). Rectifions donc les propos du chef de l’Etat : c’est notre responsabilité de ne pas nous voiler la face en préservant artificiellement des emplois et d’accentuer plutôt les efforts en termes de formation continue et de reconversion afin de tendre vers un modèle plus souple et plus réactif aux variations conjoncturelles.
Résumons donc les choses : alors que le gouvernement danois garde son sang-froid, tirant encore partie de fondamentaux sains, le nôtre s’agite désormais dans tous les sens, sans projet ni boussole.
5) De la complaisance des journalistes et de l’usage du benchmarking
Au Danemark, lorsqu’un ministre ou même le premier ministre est interrogé par les journalistes, il est « cuisiné ». En France, le président est placé sur un pied d’estale. Au point de connaître par avance les questions qui vont lui être posées. Quoi de plus normal dans ces conditions que chaque intervention soit jugée comme étant parfaitement maîtrisée ? Dans quelle autre démocratie le chef de l’exécutif dispose-t-il d’un tel privilège digne des anciens monarques ?
Le pire est que la complaisance des journalistes ne s’arrête pas là. Convenons qu’il faut en avoir une surdose pour oser proposer un article dont le titre est “Dans la crise, le modèle français, naguère décrié, regagne des couleurs ». Non pas que notre pays ne dispose pas de certains atouts, mais de là à nous faire croire que tout va bien…(4).
Citons pêle-mêle : “La France est mieux armée que les Etats-Unis ou certains de ses partenaires européens pour affronter la récession parce que son modèle limite les dégâts sociaux” (évidemment sans davantage d’explications). “Contrairement aux Américains, aux Britanniques et à tous ceux qui comptaient sur la capitalisation et les fonds de pension pour assurer leurs vieux jours, les Français ne verront pas leurs retraites fondre avec la tempête boursière” (questions : ne peut-on pas imaginer un système hybride, disons comme au Danemark, qui permette aux retraités de réellement profiter de leur retraite ? Les retraités français sont-ils réellement tous satisfaits de leur niveau actuel ?). “Malgré un dette publique élevée, l’Etat peut encore emprunter dans des conditions jugées “très favorables” par Bercy. Un peu moins que celles offertes à l’Allemagne mais bien meilleures que celles proposées à l’Italie, à l’Espagne ou au Portugal”…Même si, comme l’affirme Matthieu Laine dans son dernier ouvrage, “la politique n’a plus aucune marge de manoeuvre financière. Elle ne peut tout simplement plus, matériellement, nous sauver (…)” (5).
La France utilise donc le « benchmarking » (comparaison avec les autres pays) de manière inversée : au lieu de nous comparer à ceux qui ont une longueur d’avance (sinon quel intérêt ?), mieux vaut se mettre en valeur face à ceux en difficulté. Nos amis anglais en prennent aujourd’hui, même à juste titre, plein la figure. Les Espagnols aussi, au vu des évolutions en termes d’emploi. Une attitude “constructive” de plus alors que “les Français, évidemment soucieux de leur emploi, s’inquiètent plus gravement encore des nombreux symptômes annonciateurs d’une décadence de leur nation” (6). En dehors du Mouvement Démocrate, y a-t-il encore quelqu’un pour les écouter ?
(1) Consulter le site de la commission fiscalité (en danois) http://skattekommissionen.dk/
(2) Pour de plus amples informations sur qui paie quoi au Danemark, consulter le lien suivant, issu du site du Ministère des Impôts (en danois) : http://www.skm.dk/tal_statistik/indkomstfordeling/687.html
(3) “Protectionnisme : Merkel intervient, Sarkozy se défend” Le Figaro, 12 février 2009http://www.lefigaro.fr/economie/2009/02/12/04001-20090212ARTFIG00376-protectionnisme-merkel-intervient-sarkozy-se-defend-.php
(4) “Dans la crise, le modèle français, naguère décrié, regagne des couleurs”, Le Monde, 30 janvier 2009 http://www.lemonde.fr/societe/article/2009/01/30/dans-la-crise-le-modele-francais-naguere-decrie-retrouve-des-couleurs_1148547_3224.html
(5) Matthieu Laine “Post politique” Editions Lattès 2009, 286 pages.
(6) “La droite entretient l’illusion de l’Etat-Providence”, Le Figaro, 30 janvier 2009 http://www.lefigaro.fr/debats/2009/01/30/01005-20090130ARTFIG00469-la-droite-entretient-l-illusion-de-l-etat-providence-.php
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