La France manque-t-elle de travail ?
A force de vivre sur nos acquis n'aurions-nous pas laissé filer le travail ?
Les français aiment à évoquer le travail et les emplois qui manqueraient désormais un peu partout, des entreprises qui fermeraient, et la crise qui remettrait en cause notre modèle social et économique.
Las, au-delà des apparences et sans évidemment mettre tous nos compatriotes dans le même panier, n’est-ce pas plutôt la valeur travail qui régresse en France entraînant dès lors notre pays dans le déclin économique et social ?
Le débat récent sur la pénibilité permet une nouvelle fois de s'interroger sur le travail et la place que nous lui accordons dans l' hexagone : ne le faisons nous pas fuir le travail à force de le stigmatiser, de le diaboliser, de ne plus le penser qu'en terme de préjudice et d'indemnisations ?
Selon certains, en France le travail fait défaut. La retraite à 60 ans ou les 35 heures auraient d’été imaginées pour « partager » ce travail devenu rare (et qu’il serait indécent d'accaparer en travaillant trop).
A en croire ces personnes le travail serait un gâteau (mais pas forcement du gâteau) et les personnes sans travail forcément des victimes (du système, des patrons, de la crise, de l’automatisation).
Nous serions de toute façon des victimes : sans travail de ne pouvoir gagner notre vie mais aussi avec du travail de diminuer en travaillant notre espérance de vie (le travail c'est la santé et ne rien faire c'est la conserver comme l'a chanté jadis H. Salvador).
Dans la logique actuel du partage celui qui n'a pas de travail rend (presque) service à celui qui peut conserver son travail et dès lors il doit être indemnisé pour son inactivité.
Le travail serait tout à la fois un dû, une quête (on peut parfois le chercher des années), mais aussi une souffrance, une douleur et un ressentiment social ("je travaille pour que d'autres s'en mettent plein les poches")
Le progrès social selon les "belles" âmes charitables (mais bien incapables de financer leurs utopies) serait non pas de travailler pour rendre service à leurs congénères en produisant des biens ou des services mais bien plutôt de passer le moins de temps possible à ce moment pénible, dévalorisant et souvent assez fatiguant.
Evoquer la retraite à 65 ans ou revenir sur les 35 heures seraient des régressions sociales dignes de la mine de Zola. Le mouvement du toujours plus (de progrès social) devrait déboucher sur l''Eden original où les hommes et les femmes se contentaient de cueillir quelques fruits (abondants) sur des arbres tout en devisant ou s'amusant toute la sainte journée.
En France nous avons près de 5 millions de personnes sans travail mais les bras (et les esprits) seraient immédiatement disponibles, adaptés (et en nombre) pour occuper le travail.
Ce discours sur le travail est ancien et transcende la société française toutes classes sociales, politiques et syndicales confondues, la communication sur un pays en quête d'emplois mais empêché de travailler, cette posture est peut être avantageuse mais ne tient guère la route.
Ce discours en effet ne résiste guère à l’épreuve des faits et à l’observation des résultats de quelques un de nos voisins et partenaires économiques. En Suisse par exemple (mais aussi chez d'autres voisins européens) on travaille près de 45 h par semaine, on travaille au-delà de 65 ans et presque tout le monde a du travail (chômage quasi inexistant en Suisse, en Autriche, très faible en Allemagne…).
En France bien moins de 50 % de la population travaille (contre 72 % aux USA) et la pauvreté et le déclassement guettent désormais de nombreuses personnes. Des conseillers Pôle emploi ont récemment expliqué que près de 50 % des chômeurs ne cherchent pas réellement du travail (30 % se servent des allocations chômage comme complètement de revenus au noir et 20 % sont devenus inemployables).
Cette bulle sociale qui "protège" du travail n"a pas été bâtie en 1981 comme on pourrait le suggérer (même si l'invention d’un « ministère du temps libre » laisse rêveur) mais quelques années plus tôt dans le sillage de mai 68.
Mai 68 qui a certes permis à la société française de se libérer de certains interdits mais qui a précipité aussi le monde de l'éducation et du travail dans la remise en question de cette valeur.
Le slogan gauchiste « ne pas perdre sa vie à la gagner » a fait florès en France et a été adopté par beaucoup de nos concitoyens qui consciennement (ou non) pensent qu'on peut créer des richesses en consommant ce que les autres peuples produisent.
Dans cette vision idéale d'une société de consommation et de loisirs il suffirait de prendre ses congés, d'allumer sa télé ou de placer ses aieux dans une maison de vieux pour créer des richesses et du travail. Les 5 semaines de congés payés (Plus les ponts et RTT) ne pourraient être remises en cause car elles créeraient des emplois (ce qui est vrai quand ce sont les étrangers qui viennent passer leurs vacances en France).
Bien évidemment le peuple français n’est pas globalement et d’une façon indifférenciée devenu paresseux. Les travailleurs indépendants (qui travaillent en moyenne 2 200 heures par an contre 1 600 pour les salariés, les auto-entrepreneurs, les salariés dans les TPE et tous ceux (encore nombreux) qui ont gardé de leur éducation la valeur travail comme sacrée et non négociable, ceux là ne font pas semblant de travailler en France.
Ce qui est devenu problématique chez nous est le fait que le travail pourrait être devenu une option (ou une parenthèse) dans la vie : je travaille où je veux, à mes conditions, quand j’en ai envie et si le job me plaît.
Malheureusement le travail ce n'est pas cela. Travailler c'est se mettre au service des autres : résoudre au bon moment les problèmes des autres (soigner dans un hôpital, réparer une chaudière le soir en hiver ou garder des enfants), donner de son temps ou encore s'atteler à des tâches ingrates ou pénibles mais nécessaires (nettoyer les bureaux et les usines, ramasser les poubelles, creuser des trous dans la chaussée).
Ces travaux pénibles, salissants, peu considérés, aux horaires décalés ou mal payés (mais est-on prêt à payer bien plus cher une nounou,un maçon ou un interne à l'hôpital ?) sont aujourd'hui souvent réalisés par des travailleurs venus de l'étranger.
Sans les médecins et infirmières étrangers les hôpitaux ne tourneraient plus, sans les immigrés turcs ou d'Afrique peu de chantiers dans le BTP pourraient être menés, sans les femmes africaines les maisons de retraites et les services à la personne ne pourraient pas plus fonctionner. Dans les restaurants on ne trouverait guère de commis de salle ou de serveurs (qui accepte en France de travailler le soir, le dimanche ou pendant les vacances ?).
Bref nous avons un problème avec le travail et certains emplois et il ne sert à rien de prétendre lutter contre le chômage si les français ne veulent pas occuper tous les postes de travail disponibles ou qu'il serait possible de créer.
Si le travail fuit à l'étranger (ou s'il est réalisé de plus en plus par des étrangers) c'est peut être aussi parce que nous n'acceptons pas de le faire aux vraies conditions du marché dans notre pays (tout le monde voudrait que les salaires soient plus élevés mais personne n'accepte de payer dès lors le vrai prix de ces services et produits fabriqués en France).
Par ailleurs la dévalorisation du travail manuel et de l'usine, cette tendance est ancienne (les mineurs polonais, les maçons italiens ou espagnols d'avant guerre, les ouvriers d'Afrique du nord durant les 30 glorieuses) mais finit par poser des problèmes économiques et sociaux majeurs dans notre pays.
Combien de jeunes souhaitent aujourd'hui travailler dans une usine, dans le BTP, dans les services à la personne ? Très peu sans doute. Le modèle dominant du travail dans les médias (quand par hrasard on parle de ce sujet) c'est le travail de bureaucrate et l'idéal de nombre de nos concitoyens consisterait souvent à jouer "caméra café" (on travaille peu et on discute beaucoup autour de la machine à café).
Notre pays a peut être fait fuir le travail dans les années 70, a rendu ce même travail si conflictuel, si complexe, si pénible et si chargé (d’impôts mais aussi d’émotions négatives) qu'un travailleur gagnant sa vie en réalisant consciencieusement son travail fait partie des exceptions.
Il y a quelques années une haut fonctionnaire d’une collectivité territoriale dans le Sud Ouest écrivit un livre (best seller ce qui n’est pas évident sur le sujet) « absolument débordée ou comment faire 35 h par mois ». La réaction de son administration fut de la mettre à pied et de la sanctionner, elle avait l’obligation de ne rien laisser transparaître de son "non travail", de faire comme ses autres collègues : prendre son mal en patience en attendant la fin de la journée, la fin de la semaine puis les divers vacances et RTT qui permettent de tenir ces longues stations de non (ou de faible) travail.
Le non travail qui concerne des millions de travailleurs (coluche en avait parlé dans plusieurs de ses sketchs), la planque professionnelle où l'on est actif à peine la moitié de son temps, tout cela fait parti du folklore des 30 glorieuses quand l'économie tournait à plein, quand l'argent (emprunté) était facile, quand préserver la paix sociale primait sur les résultats économiques.
Ce n'est plus possible aujourd'hui, dans un monde qui compte 7 milliards de terriens (bientôt 10) dont 1 milliard de travailleurs misérables (gagnant moins de 1 $ par jour pour 12 h de travail harassant), dans un monde concurrentiel où l'on apprend de plus en plus et de mieux en mieux au Sud, et de moins en moins au Nord, que pèsent les avantages acquis de 60 millions de français ?
Dans ce nouveau monde notre pays ne pourra jouer éternellement de ses anciens atouts. Il ne pourra plus guère se payer le luxe de payer des salariés à ne pas faire grand chose, à compter leurs ponts, leurs RTT ou leurs congés alors que le travail est devneu trop cher, de qualité insuffisante ou même parfois absent.
La prétendue forte productivité des français, que certains nous ressasent à longueur de colonnes, est largement devenue un mythe. Si cette forte productivité française existait encore on ne voit pas pourquoi notre commerce extérieur serait en déficit depuis plus d'une décennie. Quand on ne vend pas ou mal ses produits c'est bien parce que le travail qui les a produit n'est pas d'une qualité suffisante (ou trop coûteux).
Si nous nous plaignons de ne pas avoir de travail, sommes-nous certains, en cette fin de trèves estivale (plus personne dans les entreprises durant un bon gros mois), de faire encore aujourd'hui tous les efforts pour créer les richesses, les biens et les services dont le pays et nos partenaires commerciaux ont besoin ?
Le social dont certain pense qu'il est à lui-seul la base de notre économie, ce social peut-il exister (et perdurer) s'il ne s'appuie pas sur des créations effectives et suffisantes de richesses, une vraie valeur ajoutée au travail ?
60 millions de français ne peuvent contraindre 7 milliards de terriens à vivre et à travailler comme eux. Les télécommunications mais aussi les progrès de l'éducation dans le Sud font que nos positions économiques et technologiques sont partout remises en cause.
Nous n'avons désormais plus le choix que de nous adapter aux standarts mondiaux du travail (qui ne sont pas ceux des damnés de la terre comme on le constate chez nos partenaires européens qui réussissent) ou de perdre notre rang et notre richesse économique, devenu les gardiens du musée du social et du travail du XIX ème siècle.
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