La grande dépression du XXIe siècle
Le 27 novembre dernier, le professeur d’économie politique à l’Université d’Ottawa, Michel Chossudovsky, a donné une conférence au Centre Saint Pierre à Montréal, sur le thème : « La grande dépression du XXIe siècle ». Cette vision, sûrement réaliste, de cet éminent professeur, auteur notamment du best-seller « Mondialisation de la pauvreté et nouvel ordre mondial » laisse assez perplexe et donne un peu froid dans le dos en prévision de l‘avenir « radieux » et tant espéré suite à l’arrivée du nouveau président Obama. Je vous livre ci-dessous quelques extraits que j’ai retranscrit :
Ce qui s’est passé ces derniers mois, dit-il, prend sa place dans une longue évolution....
Vers les années 70/80 : 1971, fin du système de Bretton Woods (période ou le dollar avait un rapport fixe avec l’or), c’est donc la fin du régime de taux de change fixe. …
C’est surtout début des années 80 (période Thatcher-Reagan) que l’on voit s’amorcer des transformations d’envergure avec une nouvelle gestion économique qui favorise la concentration du pouvoir industriel et bancaire et qui, du coup, commence à détruire tout le secteur de la petite et moyenne entreprise de l’économie régionale et l’on franchit une nouvelle étape vers la concentration du pouvoir économique. Tout cela se passe entre 80 et 87.…
En 1987 on a le premier effondrement financier de l’après guerre où les marchés boursiers s’effondrent de manière dramatique. Cette crise est le produit des mouvements spéculatifs et le produit d’un système financier informatisé où les transactions se font entièrement de manière électronique. (Le président de la fed de l’époque est aujourd’hui dans le gouvernement d’Obama car beaucoup de l’écurie Reagan et Clinton reviennent actuellement)….
En 1997 on a eu une crise qui annonçait celle qui arrive aujourd’hui ; c’était la crise dite asiatique....
En 1998 c’est l’effondrement du rouble qui entraîne une autre crise financière....
En janvier 1999 c’est l’effondrement du real brésilien ; une fois encore c’est une opération manipulée ou la fuite des devises étaient imposés au gouvernement brésilien. De nouveau intervention du FMI….
Tout ceci c’est fait dans le cadre de ce qu’on a appelé le Consensus de Washington (qui est aussi le consensus de Wall Street) qui correspond surtout à l’intervention des créanciers, de la privatisation, de la réduction des coûts de l’État etc. appliquée aussi bien dans les pays en développement que dans les pays développés. Ce Consensus de Washington est le produit d’une ingénierie financière qui avait soit-disant la mission de réduire le déficit mais qui avait surtout un autre objectif plus fondamental : mettre l’État à sac et privatiser l’infrastructure et les programmes sociaux….
1999 : c’est l’avant dernière année du gouvernement Clinton et le Congrès et le Sénat adoptent une loi, la Financial Services Modernization Act (FSMA ou loi de modernisation des services financiers) qui élimine une législation des années 30 (la Glass-Steagall Act de 1933) qui était une mesure du temps de Roosevelt dont le but était d’empêcher la spéculation et de séparer les banques commerciales des maisons de courtage et des banques d’affaire et d’ainsi maintenir une certaine cohérence dans l’octroi de crédits. Cette loi a permis des regroupements de ces services financiers pour former des conglomérats et maintenant on a des entités avec tous les instruments spéculatifs qui permettent de faire du profit avec la spéculation. Du fait de la grande baisse des taux d’intérêt des banques centrales, ces organismes peuvent facilement emprunter de l’argent pour spéculer (les taux d’intérêt du public sont bien sûr beaucoup plus élevés !). C’est cela en fait le but des baisses des taux d’intérêt des banques centrales….
Une chose absolument essentielle la dedans c’est qu’en 1999 les principaux architectes de cette législation, qui est vraiment la cause de cet effondrement financier, ce sont des individus qui sont directement liés aujourd’hui à la future équipe d’Obama…..
Donc l’équipe qui va prendre le pouvoir en janvier 2009, est composée en grande partie des architectes du désastre. Ceux qui ont conçus cette déréglementation et ceux qui ont préconisés les produits dérivés sont maintenant appelé par Obama pour proposer des solutions de rechange à cette crise !
De plus les pays du G20, à quelques exceptions près (dont la Chine et la Russie), sont partis prenante du Consensus de Washington, de telle sorte qu’on se trouve actuellement dans une impasse qui est bien plus grave que celle des années 30 car dans les années 30 il y avait une option keynésienne qui était celle du président Roosevelt qui consistait à désarmer un peu les marchés financiers et à introduire une réglementation des transactions spéculatives. Aujourd’hui par contre on a une situation où les principaux architectes de cette crise, qui sont des spéculateurs institutionnels viennent à être les décideurs de la future administration, avec la mission de trouver des solutions à la crise financière. En font notamment partie : Lawrence Summers(1), Paul Volker(2), Timothy Geithner(3), Jon Corzine(4)....
Par conséquent je crois qu’on s’en va vers un vide au niveau de la gestion et aucune solution de rechange ne va se développer de l’intérieur de cette administration ; du moins je n’en vois pas les contours....
Le raisonnement sous-jacent au discours économique néolibéral est souvent cynique et méprisant. À cet égard, le discours économique de Lawrence Summers se distingue. Il est connu chez les écologistes pour avoir proposé de déverser les déchets toxiques dans les pays du tiers monde, car, là-bas, les gens ont la vie plus courte et le coût de main-d’œuvre est extrêmement bas, ce qui signifie essentiellement que la valeur de marché des gens du tiers monde est très inférieure. Selon Summers, cela rend l’exportation des matières dangereuses vers les pays pauvres beaucoup plus « rentable »....
Voyez un peu le genre d’individus qui sont maintenant rattachés à ce nouveau gouvernement. Obama est une figure, et je ne pense pas qu’il ait un pouvoir quelconque. C’est une personnalité publique, c’est une image, c’est un point de rassemblement. Où sont « les candidats du Main Street » retenus par Obama ? C’est-à-dire, ceux qui obéissent aux intérêts des gens des quatre coins des États-Unis. Aucun leader du milieu communautaire ou représentant des travailleurs n’est sur la liste des postes clefs d’Obama. Son futur gouvernement sera la dictature des grandes banques…
Je voudrais aussi mentionner que la banque Federal Reserve Board of New York n’est pas une banque centrale publique mais privée. C’est juste un bureau avec un chairman mais l’émission monétaire et le contrôle su la création monétaire est du ressort des douze banques de la réserve fédérale qui sont toutes des banques privées. On ne dit pas qui sont les actionnaires mais il y a notamment la famille Rockefeller. Par conséquent lorsqu’on nomme un PDG de la principale puissance financière du pays on est entrain de mettre les banquiers à la tête de la gestion économique du pays et de la gestion de la crise. Du fait qu’on se trouve dans ces conditions, je crois qu’elles sont très très graves parce que on voit déjà des mises à pied dans presque tous les secteurs économiques, plus dans certains que dans d’autres ; le montant des dettes est absolument énorme, gonflé par le jeu des transactions des produits dérivés et la dette de l’État est à un niveau absolument diabolique également...
On peut s’attendre à plusieurs choses : d’abord effondrement des finances publiques et privatisation accéléré de l’État (tout est privatisable en dernière instance : jardins, garderies, routes etc) avec déconfiture dans les systèmes de santé et de l’éducation bien au-delà de ce qu’on a pu voir dans les dernières années ainsi que des coupures draconiennes des dépenses dans tous les secteurs. L’endettement va amener une plus grande emprise encore des créanciers sur l’appareil politique….
Du fait que toutes ces épargnes ont été confisqués, il va y avoir un plus grand appauvrissement notamment de tous les petits actionnaires qui vont voir leurs économies diminuer ou disparaître. Les fonds de pension sont en danger et c’est d’ailleurs dans fonds de pension de l’État qu’on va financer les opérations de sauvetage auprès des banques. Que vont faire les banques de cet argent consenti par l’État ? Ce n’est sûrement pas pour venir à la rescousse des gens qui ont une hypothèque à payer. Aucunement ; ils vont utiliser cet argent pour faire des acquisitions aussi bien dans le secteur financier que dans le secteur réel. Donc, pour faire leurs achats, les banques prennent l’argent des contribuables…..
C’est cela aujourd’hui la conjoncture : l’économie réelle est en banqueroute, les mises à pied ont des répercussions sur le pouvoir d’achat, la consommation baisse et à moins d’avoir un véritable changement en profondeur dans la gestion macro-économique, on s’en va vers l’appauvrissement d’importants secteurs de la population mondiale. Ce n’est pas nouveau, c’est l’accentuation d’un processus qui a déjà été entamé dans les années 80 mais qui a affecté surtout les pays en développement. C’est une forme de tiermondisation des soit-disant pays développés…
Il faut nécessairement réfléchir sur les solutions de rechange. Une mesure très simple serait d’abord de geler tout l’appareillage spéculatif et des produits dérivés. En octobre, ils ont gelé les opérations à découvert, mais on les a ensuite rapidement rétablis. Tout le caractère criminel de cet appareillage financier qui vise l’appropriation de la richesse doit nécessairement être gelé, ce qui veut dire aussi les paradis fiscaux, mais bref, de geler les appareils spéculatifs, c’est quelque chose qui pourrait être accompli du jour au lendemain. …
Mais, tant que ce sont les banques et la classe financière dominante de Wall Street qui gère les affaires de l’État par l’entremise de présidents qui sont littéralement des figures qui ne changent rien à la dynamique du processus décisionnel rien ne pourra changer ; il faut que les gens s’organisent au niveau des communautés car on s’en va vers des luttes qui sont vraiment très significatives. Mais on s’aperçoit en même temps que la société est très désorganisée et dans un certain sens les mouvements progressistes sont parfois complices du pouvoir ; on le voit bien aux États-Unies avec Obama et cette nouvelle politique qui semble prête à fermer les yeux sur cette continuité qui s’amorce maintenant avec un nouveau gouvernement...
Notes provenant d’un article du professeur :
(1) Lawrence Summers a joué un rôle clef dans le lobbying au Congrès pour l’abrogation de la Glass Steagall Act. Sa nomination opportune au poste de secrétaire au Trésor par le président Clinton en 1999 a permis de forcer l’adoption de la Financial Services Modernization Act en novembre 1999. Au terme de son mandat à la tête des Finances, il est devenu président de l’université de Harvard (2001-2006).
(2) Paul Volker était président de la Réserve fédérale dans les années 1980 de l’ère Reagan. Il a joué un rôle central dans la mise en œuvre de la première phase de déréglementation financière, qui a favorisé la foule de faillites, fusions et acquisitions menant à la crise financière de 1987.
(3) Timothy Geithner est directeur général de la Banque de la Réserve fédérale de New York (FRBNY), la plus puissante institution financière privée d’Amérique. Il est aussi ancien fonctionnaire des Finances du gouvernement Clinton. Il a travaillé pour Kissinger Associates et fut aussi en poste au FMI. La FRBNY joue un rôle en coulisses dans la mise au point de la politique financière. Geithner agit pour le compte de puissants financiers derrière la FRBNY. Il est en plus membre du Council on Foreign Relations (CFR).
(4) Jon Corzine, aujourd’hui gouverneur du New Jersey, est un ancien directeur général de Goldman Sachs.
Espérant ne pas avoir trop déformé le discours original du professeur en n’en donnant que quelques extraits, je vous informe que vous pouvez écouter toute la conférence et lire plusieurs articles de Michel Chossudovsky sur le site : http://www.mondialisation.ca/index.php?context=home
20 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON