La Grèce, un écran de fumée ?
Le dimanche 12 juillet 2015 (ou lundi 13 parce que ça fait bien de dire qu'on a travaillé toute la nuit), les dirigeants européens annoncent un accord sur la situation grecque, dont le contenu prévoit... l'ouverture de négociations avec les créanciers. Ces négociations sans fin sont actuellement en cours et aboutissent à de nouveaux accords, de nouvelles mesures,… qui à leur tour en appellent d'autres.
A l’exception du célèbre Dallas, rarement feuilleton économique n’a tenu les populations si longtemps en haleine. Si la série relevait de la fiction, le slogan qui l’accompagnait, "ton univers impitoyable", résonne de manière bien réelle aux oreilles de la population grecque.
Comment un pays qui représente 2% du produit intérieur brut de la zone Euro peut-il à lui seul focaliser toutes les attentions aussi longtemps ? Entre nouvelles propositions, ultimatums, référendums,... il ne manque que le piment de l’une ou l’autre histoire sexuelle pour produire le scénario idéal d’un feuilleton capable de tenir en haleine des millions de personnes.
Face à des marchés qui détestent l’incertitude, la Grèce offre l’avantage de ne les exposer qu’à un risque marginal. En d’autres mots, si le pays est le seul à se trouver dans une situation difficile, que risque l’argent des investisseurs ? Cela n’exclut pas que certains opérateurs du marché puissent bien entendu souffrir d’une plus grande exposition au risque grec –et ils sont aujourd’hui nombreux à être attirés par les taux d’intérêt élevés de la dette grecque, mais globalement le poids de la Grèce dans l’économie européenne et mondiale est indéniablement faible.
Nul ne pourra nier que bien des pays, et non des moindres, sont dans des états d’endettement sans commune mesure avec la Grèce, avec une croissance tout aussi insuffisante pour en garantir le remboursement. Parmi ces pays, nombreux sont ceux dont l’intransigeance envers la Grèce relève presque de l’obstination. Si l’on étend la comparaison au secteur privé, dont principalement les banques qui n’ont pas été capables de rembourser leurs dettes sans l’aide de la puissance publique suite à la crise de 2008, l’endettement grec peut véritablement être qualifié d’insignifiant. Si l'on avait sorti les deniers nécessaires à aider la Grèce en même temps que le contribuable participait abondamment au renflouement des banques suite à la crise de 2008, on ne parlerait pas de ce feuilleton.
Alors pourquoi la Grèce est-elle montrée du doigt de la sorte ? Pourquoi éprouve-t-on tant de difficultés à mettre un terme à une situation qui n’est pas insurmontable ? Pourquoi, alors que la situation est dite urgente, faut-il autant de temps aux dirigeants pour prendre des décisions ?
Certes il existe l’envie d’un grand nombre de faire payer à la Grèce son laxisme passé, avec parfois ce sentiment vengeur presque malsain de "celui qui a réussi" face au "profiteur". Les tenants de cette position se fondent sur le principe a priori infaillible qu’un montant emprunté doit être remboursé. A ce titre, la Grèce sert aussi d’exemple à ne pas reproduire pour d’autres "mauvais élèves" potentiels.
Il est également possible d’expliquer les difficultés à résoudre le problème grec par les avantages –parfois à peine cachés- que certains acteurs y trouvent. L’utilisation du terme "aide" à la Grèce est en ce sens un abus de langage, abondamment relayé par les médias. Sous ce couvert, les pays prêtent en fait de l’argent à la Grèce à des taux largement supérieurs à ceux auxquels eux-mêmes empruntent sur les marchés, empochant au passage de solides bénéfices lors du remboursement.
Ainsi la Belgique "aide" la Grèce en lui prêtant de l’argent à un taux d’intérêt avoisinant les 5%, qu’elle a elle-même emprunté sur les marchés à un taux proche de 0%, voire légèrement négatif. Tout bénéfice pour le budget de l’Etat… A condition bien entendu que la Grèce honore sa dette, car nos dirigeants semblent oublier que le taux d’intérêt demandé à la Grèce reflète aussi un risque de ne pas être remboursé.
On approche vraisemblablement là du cœur du problème grec. Les pays profitant de taux d’intérêts miraculeux et absurdes –je ne vois pas comment qualifier autrement des taux d’intérêt négatifs- veulent évidemment continuer à en profiter.
Comment ces pays pourraient-ils renoncer à une situation qui les arrange à de multiples égards ? Les marchés ne se préoccupent pas d'eux ; ils évitent ainsi de plus sévères cures d'austérité tout en justifiant malgré tout des coupes sombres dans leur budget auprès d'une population craignant d'être traitée comme les Grecs et prête à consentir des sacrifices pour éviter cette humiliation.
Les dirigeants européens savent pertinemment que l’austérité ne peut qu’aggraver la situation mais cette solution permet de la faire perdurer. De plans divers en sauvetages variés, de réunions extraordinaires en sommets de la dernière chance, l'objectif est de faire progresser l'immobilisme...
Et le rôle de Tsipras y semble de plus en plus trouble. Moins d'une semaine après un referendum qu'il a lui-même souhaité, le Gouvernement grec soumet à ses pendants européens le plan contre lequel s'est majoritairement prononcée la population grecque. C'est pour le moins déconcertant.
L'"accord" du dimanche 12 juillet ne prévoit en fait que de nouvelles échéances de discussion, conditionnées à des mesures toujours plus strictes à l'égard de la Grèce. Il était nécessaire de présenter le résultat de cette réunion comme un accord car les marchés financiers réclament de temps à autre ce genre de "nouvelle" pour se relancer.
La Grèce fait les frais d’une société où les fondements et les valeurs réelles ont cédé le pas à l’apparence et au superficiel. Ce qui est important, ce n’est pas qu’une société soit économiquement solide, mais que les gens pensent qu’elle l’est.
La Grèce est juste too small so it can fail. La Grèce est l’arbre qui cache la forêt, l’écran de fumée, la diversion qui permet au malfrat de s’éclipser.
La Grèce est une aubaine pour tous les cancres de la classe car elle occupe actuellement la place du fond près du radiateur. L'aider à en sortir, c'est risquer de s'y retrouver à son tour. Et le premier de la classe la regarde avec mépris sans se rendre compte que c'est toute la classe qui pâtit du chahut. Pourvu que tout cela ne dégénère pas pendant la récréation.
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