La monnaie est à l'économie ce que le sang est au corps humain. La planche à billets est à la monnaie ce que l'EPO(1) est au sang.
Plus la planche à billets va fabriquer des signes monétaires −
en fait de la liquidité sous forme de monnaie banque centrale −, plus la masse monétaire va augmenter. Plus l'EPO va fabriquer des globules rouges, plus la viscosité du sang va augmenter. Dans les deux cas, et dans un premier temps, les sujets irrigués –
l'activité économique d'une part et l'activité du corps humain d'une part − vont croître en dynamisme et en performance.
Mais on sait que cela n'est qu'illusoire. En effet, rapidement l'afflux de monnaie dans l'économie va booster la demande de biens et de services. Comme l'afflux d'EPO va doper le corps du sportif… même à l'insu de son plein gré. Mais, si nous ne voulons pas que les sujets explosent − l'économique dopé par trop de monnaie, et l'humain dopé par trop de globules rouges − il faut impérativement que les deux puissent grandir dans les mêmes proportions. Pour l'économique, il s'agira, si cela est possible, d'accroître la production de biens et de services. Pour l'humain, il s'agira, si cela est possible, d'accroître sa taille, son poids et son volume de sang, notamment.
Laissons ici l'analogie avec le corps humain… que tout le monde aura comprise et venons-en au propos de ce jour.
La relation entre la masse monétaire et la production de biens et de services, a été mise en évidence et en équation par l'économiste mathématicien américain Irving Fisher (1867-1947) dans la célèbre formule(2) dite quantitative : M.V = Q.P.
Dans cette équation, désormais admise par tout le monde, quel que soit le régime économique, politique et idéologique, M est la quantité de monnaie − M3 pour les puristes −, Q la quantité de biens et services produits et vendus (ou nombre de transactions entre agents économiques), P le niveau général moyen des prix et V, la vitesse à laquelle circulent les signes monétaires entre les agents économiques − signes fiduciaires, de main en main ; comme scripturaux, de compte en compte. La vitesse-transaction d'une part et la vitesse-revenu d'autre part, pour les puristes.
Pour une explication plus simple de cette équation, considérons le taux d'épargne relativement stable. Idem pour les taux d'intérêt, du moins à court terme.
Comment cela fonctionne-t-il ?
Imaginons V stable − comme on le fait souvent, et ici, pour simplifier les choses... Alors, si M augmente, il faut que Q et/ou P augmentent pour conserver l'équilibre de Fisher.
Mais, Q − la production des entreprises − peut-elle augmenter aussi si vite que M, alimentée par la planche à billets ?
Difficile, très difficile ! En effet, pour que Q augmente, il faut que les entreprises produisent plus, embauche plus, investissent plus, trouvent plus de financements, etc. Mais, cela prend du temps. Beaucoup de temps et aussi une prise de risque importante pour les entreprises. N'auront-elles pas trop investi ? N'auront-elles pas trop embauché ? Ne se seront-elles pas trop endettées ?
Alors que… pour augmenter M − hors crédits à l'économie… qui n'est pas le sujet de ce jour − c'est extrêmement simple ! Il faut juste faire fonctionner la planche à billets.
Comment ?
Aujourd'hui, faire fonctionner une planche à billets, c'est facile. Plus besoin d'embaucher des imprimeurs − sauf pour remplacer des billets usagés… ou imprimer une nouvelle monnaie.
Faire fonctionner la planche à billets est extrêmement simple pour une Banque centrale... qui y est autorisée !
Il suffit d'un simple coup de fil au directeur du Trésor public − avec l'accord du ministère des finances et du chef de l'Etat − pour lui dire que ses équipes doivent inscrire au crédit des comptes des fournisseurs de l'Etat, les montants des sommes dues ; au crédit des comptes des investisseurs (les prêteurs) nationaux(3) de l'Etat, les échéances dues ; au crédit des comptes des salariés de l'Etat, c'est-à-dire les fonctionnaires, le montant de leur salaire ; etc. C'est d'une simplicité enfantine. Beaucoup de gouvernements l'ont fait... naguère. Et certains voudraient bien pouvoir le faire encore aujourd'hui. Cela ne prend que quelques secondes pour un logiciel informatique… entre les mains d'un aide-comptable lambda.
Donc, comme on le voit, Q − l'activité de production − ne pourra jamais rivaliser de vitesse avec une planche à billets créatrice de milliards de signes monétaires M, en quelques coups de fils téléphoniques.
Dans une telle situation, Q ne pouvant jamais rééquilibrer M qui a grossi trop vite, la seule façon qu'a l'équation de Fisher de retrouver son équilibre, c'est que P augmente !
Et P, c'est les prix. C'est-à-dire la conséquence de l'inflation − de la masse monétaire… sans accroissement équivalent des quantités produites par la machine économique, pour les puristes.
Notre raisonnement, ou plutôt celui de Fisher, doit cependant être nuancé. En effet, pour être plus précis, il est valable à 100 % dans une économie fermée et où la monnaie est inconvertible, par construction. Ce raisonnement sera d'autant plus atténué que l'économie sera plus ou moins ouverte sur l'extérieur et que sa monnaie sera plus ou moins une devise internationale, donc convertible. Dans ce cas, l'augmentation de M − créée par la planche à billets − se dispersera dans le commerce international et aura, par conséquent, un impact réduit sur la hausse des prix des biens et services domestiques − Cf : l'inflation par la demande. Ce cas n'est pas un cas d'école. C'est déjà la réalité. Celle des États-Unis d'Amérique et du dollar. C'est un peu aussi le cas de l'euro, du yen et du sterling… devises internationales.
Alors, et pour conclure, l'équation incontournable de Fisher nous apprend que pour toute nouvelle monnaie − par exemple la nouvelle drachme grecque, le nouvel escudo portugais… le nouveau franc français, etc. − qui ne serait pas dès sa création une devise internationale, la conséquence d'une planche à billets utilisée de manière trop excessive dans une production nationale trop peu réactive, serait inévitablement une inflation elle-même excessive.
Inflation, comme nous ne cessons de le répéter sur Agoravox, d'autant plus destructrice pour l'épargne, les retraites et les salaires non indexés, que son taux sera important. Mais inflation bonne pour ceux qui ont des crédits à taux d'intérêt fixe, qu'ils rembourseront alors en monnaie de singe. Inflation bonne aussi pour la spéculation… et les démagogues de tous bords, comme l'histoire n'a jamais cessé de nous le montrer depuis des siècles !
(2) Cf. : "The Purchasing power of money" (p. 25 et suivantes), Fisher Irving (1912), Ed. Cosimo classics, 2009, New-York.
Notons que l'équation dite de Cambridge est une variante de celle de Fisher.
(3) pas les créanciers internationaux qui eux, voudront être payés dans une monnaie non "dopée" par une planche à billets qui la rendrait de fait porteuse d'un pouvoir d'achat affaibli.
Voir aussi d'autres éléments dans : "
Dico banque monétique euro", Fay Aimé, 201 pages, Ed. La maison du dictionnaire, 1997, Paris.
Photo : Irving Fisher. L'économiste américain Paul Anthony Samuelson (1915-2009) Nobel 1970, disait de Fisher, qu'il "était le plus grand économiste américain de tous les temps [...] bien qu'il se soit trompé sur la crise de 1929, qui englouti une part substantielle de sa fortune" (L'économie, p. 276, Ed. Economica, 2005).