La nécessaire « moralisation » de l’économie
L’ouverture d’une enquête de la SEC sur les options de vente de Bear Stearns n’est que l’énième avatar de la tempête qui secoue le monde financier. Pourtant, il est révélateur du caractère immoral qui caractérise les pratiques financières en vigueur. Car ce qui sous-tend la crise économique née des « subprime » dans tous ses aspects, c’est bien l’absence totale de moralité.
Bien que l’affaire n’en soit qu’à l’état d’enquête
actuellement, tout porte à croire que l’effondrement
de Bear Stearns a été amplifié par un délit d’initiés ou de fausses
rumeurs. La SEC - le régulateur boursier
américain - a en effet lancé une
procédure d’enquête sur la suite d’événements
ayant conduit à la désintégration de la prestigieuse banque américaine. La
suspicion se porte notamment sur une soudaine hausse des contrats d’options de
vente. Les opérations inhabituelles sur Bear Stearns ont commencé dès le 7 mars
et ont augmenté la semaine suivante alors que se multipliaient les rumeurs sur
les problèmes de liquidités de la banque. Le
nombre d’options de vente a bondi la semaine dernière de manière
inhabituelle. Jeudi dernier, juste avant que Bear Stearns ne reçoive des
financements en urgence de JP Morgan Chase et la Fed, plus de 20 000 contrats d’options ont été
passés qui pariaient... sur une chute des cours à 20 dollars dans les 9 jours,
un pari plutôt surprenant puisque l’action était encore à 50 dollars le
lendemain matin, vendredi 14 mars. Les actions Bear Stearns ont ensuite plongé.
La suite est connue.
Que s’est-il concrètement passé ? Plusieurs hypothèses sont envisageables, mais celle émise par le Wall Street Journal apparaît actuellement comme la plus plausible. Quelques fonds spéculatifs ont engrangé des juteuses plus-values dans cette quasi-faillite, comme Harbinger Capital Partners, Greenlight Capital, Tremblant Capital Group et Paulson. Que ces agissements proviennent de fonds spéculatifs ou de traders soucieux de se refaire une santé après une période de vaches maigres n’a toutefois que peu d’importance. Ce qu’ils illustrent parfaitement bien, c’est l’absence de toute morale régissant le monde de la finance. Cette immoralité est à la source même du séisme économique actuel : c’est une logique d’extorsion qui a consisté à faire croire à ceux qui n’en avaient pas les moyens qu’ils pouvaient devenir propriétaires. On pourrait également évoquer l’escroquerie morale des notes triple A des agences de notation, qui ne prenaient pas en compte des actifs vraiment insolvables, voire de subtils maquillages. Mais plus que jamais, cette immoralité s’est cristallisée dans le comportement coupable des banques. Dans une tribune libre du Monde, Michel Rocard ne dit pas autre chose en déclarant que « la rapacité bancaire s’est débarrassée de tout scrupule découlant du fait que ses victimes étaient des êtres humains. La cause majeure de la crise est clairement l’immoralité. »
Les banques sont à l’économie ce que le cœur est au corps humain : lorsque celui-ci s’arrête de pomper, c’est l’organisme tout entier qui s’éteint. On n’insistera donc jamais assez sur cette nécessaire éthique qui doit régir le fonctionnement du système bancaire. Car, ne l’oublions pas, les banques ne sont naturellement pas différentes des autres organes financiers : la maximalisation des profits reste l’objectif principal, et ce encore davantage depuis que l’internalisation grandissante du capital a accru la concurrence à l’échelon mondial. Une législation trop souple ne peut que conduire à tous les excès. C’est exactement ce qui s’est produit : les banques ont non seulement financé les crédits « subprime », créant l’illusion du « chacun propriétaire », mais, surfant sur l’euphorie de ces dernières années, se sont lancées dans des investissements hautement spéculatifs et risqués. Elles ont largement contribué à la deuxième phase habituelle des crises économiques, l’ « effet de levier », qui amplifie la bulle spéculative. Dans le cas présent, elles ont fourni les capitaux nécessaires aux fonds d’investissement pour racheter à crédit, la fameuse technique du Leverage Buy Out, des cibles qu’ils n’auraient pu se permettre « à la régulière ». Enfin, les banques sont impliquées dans le dédale complexe des titrisations de créances, qui ont contribué à propager la « syphilis » à l’ensemble du système bancaire mondialise, transformant une crise immobilière localisée aux Etats-Unis en crise quasi mondiale.
Ces constats appellent une réflexion profonde sur le fonctionnement du système économique mondial. On peut, comme l’a fait la Fed avec Bear Stearns, renflouer en urgence les établissements en faillite. On peut, comme l’a décidé après moult tergiversations le gouvernement anglais avec Northern Rock, nationaliser les pertes. On pourrait également laisser les coupables à leur triste sort. Mais aucune de ces méthodes ne résout le problème de fond : il faut impérativement réguler le système bancaire sous peine d’une récession économique mondiale sans précédent depuis la Grande Dépression.
Une première piste - qu’on pourrait appeler le « service minimum » - serait de définir un niveau de risque maximal pour les banques, comme le suggère l’économiste Edward Prescott, qui constate avec justesse que l’autorégulation ne fonctionne pas efficacement en finance. En effet, les établissements de crédit, sachant que les banques centrales joueront leur rôle de prêteur en dernier ressort pour les sauver de la faillite, peuvent se permettre de prendre des risques inconsidérés.
Une seconde consiste une bonne fois pour toute à séparer la banque d’investissement et la banque commerciale, comme c’était le cas précédemment dans de nombreux pays, notamment aux Etats-Unis avec le Glass-Steagall Act, abrogé en 1999. Aujourd’hui, une banque réalise à la fois des transactions commerciales (dépôts et prêts) et investit pour son propre compte avec parfois des produits financiers adossés à des prêts consentis par ses soins. Cette situation aboutit à un grave conflit d’intérêts. Les aléas des investissements à risque peuvent polluer les prêts aux entreprises et aux particuliers (on le voit actuellement par la difficulté pour ces derniers de se voir octroyer des prêts et des crédits). Le mot de la fin revient à Daniel Cohen, ardent partisan de la séparation entre banque d’investissement et banque commerciale. Il s’agit selon lui ni plus ni moins que de « sauver le système financier contre lui-même ».
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