La prise de pouvoir de la finance sur l’économie
L'origine de la mutation de la finance remonte aux années 1970, moment au cours duquel sous l'influence de " L'École de Chicago" nait une utopie, voire un dogme, basé sur un postulat sans aucun fondement scientifique, celui de l"Efficience des Marchés financiers"( 1)
La dictature des Marchés Financiers
Dès les années 1980, les marchés s'imposent au détriment du système bancaire, à partir d'un grand mouvement de dérégulation orchestré par les États-Unis et suivi par l'ensemble des pays occidentaux. Ce sont les pouvoirs publics qui ont encouragés cette déréglementation motivée par la croyance implicite en la rationalité des agents économiques. Cette expansion a été accélérée par la révolution des technologies de l'information, instaurant une finance virtuelle et sans frontières. C'est donc la finance, et non pas l'économie qui a confisqué à des États consentants une grande partie de leurs pouvoirs.
Pourquoi nos sociétés tolèrent-elles une monopolisation des ressources et des richesses économiques , qui sont des biens réels, par une finance de marché créant, à partir de modèles mathématiques sophistiqués, des produits dérivés, volontairement complexes et d'une grande opacité, devenus incontrôlables ? Ce phénomène a créé au cours des dernières années une suite ininterrompue de bulles spéculatives sur les devises, les matières premières, les valeurs internet, les marchés émergent, le Japon, l'immobilier. Et cette financiarisation à outrance de l'économie provoque ces bulles destructrices de valeur tout en parasitant l'économie réelle.
Soulignons ici que le marché des flux financiers électroniques représente actuellement 25 fois la production mondiale de richesses.
Le Shadow banking , ou " système bancaire de l'ombre" regroupe un ensemble d'acteurs, affranchis de toute réglementation bancaire, qui ont la possibilité de transformer des dépôts à court terme en placements à long terme en utilisant les leviers de l'endettement ( fonds spéculatifs,fonds d'investissements, private equity...). Et ces activités qui ont joué un rôle déterminant dans la propagation de la crise financière de 2007, augmentent régulièrement leurs encours, en échappant à la supervision prudentielle, donc à tout contrôle.
Nous nous devons de remettre en question ce nouveau modèle centré autour des marchés financiers, devenus un univers numérique, purement virtuel. La spéculation qui consiste à prendre des paris sur l'évolution d'actifs physiques (pétrole et autres matières premières...) n'est qu'un casino gigantesque qui crée des profits artificiels sans aucun lien avec la réalité économique et sociale du monde.
Dans un essai percutant publié en 2012 "Les sept plaies du Capitalisme", Henri de Bodinat nous interpelle :
" L'argent scintille, hypnotise ceux qui en ont et ceux qui n'en n'ont pas ... L'argent est le nord de toutes les boussoles déboussolées, le nord de l'humanité ... c'est une drogue dure dont l'esprit ne sort pas vivant ."
Car le dogme ultra libéral incite à envisager une mise en équation du monde par l'intermédiaire des marchés financiers.
Nous savons que le capitalisme, né avec l'essor des marchés internationaux, est historiquement porteur de liens étroits entre la dynamique du marché et de la concurrence, les États qui le contrôlent et la démocratie qui l'inscrit dans un projet collectif de vivre ensemble . Or récemment, les États occidentaux et la France en particulier, ont utilisé les ressources considérables accumulées au cours des Trente Glorieuses, pour recruter massivement des fonctionnaires, effectuer un grand nombre d'investissements inutiles ou improductifs, saupoudrer en vain de subventions des industries déclinantes ( Sidérurgie) et intervenir de façon inopportune dans le tissu industriel.
Les valeurs du néolibéralisme instaurant une concurrence effrénée à caractère mercantile, ont précipité la régression des pouvoirs publics et des États - Nations au profit de la financiarisation et de la globalisation comme uniques vecteurs de la prospérité économique. Dans un tel contexte, la crise de 2008 a mis en évidence, parmi les pays européens, la supériorité des nations qui se sont montrées disciplinées, économes, et qui ont su réformer leur système social ( Pays Scandinaves).
Telle est la nouvelle économie du XXIème siècle, mondialisée, surfinanciarisée et de plus en plus virtuelle.
Manifeste pour une économie pluraliste
Dans cet environnement, il semble urgent que l'économie entre en dialogue et en interaction avec les autres sciences sociales : droit, histoire, sociologie, sciences politiques... La crise de 2008 a remis en cause de nombreuses théories économiques et montré la nécessité de proposer des alternatives. En réalité, l'avenir est ouvert, et nous sommes à présent au fait que les erreurs commises par les économistes dans leurs prévisions ne se réduisent pas à de simples débats académiques, mais peuvent entrainer des conséquences politiques et sociales dramatiques.
C'est dans ce contexte, qu'en France, un collectif d'économistes hétérodoxes , dont le chef de file est André Orlean, au sein de l'Association Française d'économie Politique ( AFEP) , porte un projet depuis 2010 au nom du nécessaire pluralisme de l'économie en tant que science sociale, qui gagnerait à être moins modélisée/mathématisée.
Ils ont publié, au cours de ce mois de Mai 2015 un ouvrage, sous la forme d'un cri d'alarme, intitulé :" A quoi servent les économistes s'ils disent tous la même chose ? Manifeste pour une économie pluraliste "Ed, les liens qui libèrent,
et mis en ligne une pétition qui a déjà réuni plus de 5000 signatures dont celles de Michel Aglietta et Edgar Morin. Ils souhaitent mettre un terme au règne de la pensée unique néoclassique en économie. Ils plaident afin que leur discipline devienne pluraliste et s'intègre plus largement dans le champ des Sciences Sociales, car la connaissance économique ne progressera qu'à l'aide de débats contradictoires , et non pas seulement sous le seul règne des systèmes financiers. D'autre part, le pluralisme dont ils sont les garants, devrait permettre à la sphère politique de retrouver sa place et sa légitimité perdues .
Plus largement, les questions fondamentales auxquelles aucune réponse pertinente n'a encore été donnée ,nous semblent être les suivantes :
Remettre la finance au service de l'homme et de l'économie,
Revenir aux fondamentaux en moralisant de nombreuses dimensions de la sphère financière dans la recherche de prospérité réelle, le système financier y retrouvant son rôle premier : allouer efficacement le capital à l'investissement.
Il conviendrait enfin que des États responsables et des organisations mondiales dont le FMI et l'ONU encadrent la liberté du marché par la régulation et le contrôle de ses acteurs.
(1)"Dans un marché efficient, la concurrence entre de nombreux investisseurs intelligents conduit à une situation où, à tout instant, le prix effectif d'un titre est une bonne estimation de sa valeur intrinsèque", disait Eugène Fama en 1970 et depuis ce temps là l'efficience a été proclamée comme étant la proposition économique ayant les fondements empiriques les plus solides !
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