La prostitution analysée comme une activité économique : la banalisation rampante
Les liens amoureux et/ou sexuels peuvent-ils encore échapper à l'argent ? La prostitution a fait depuis longtemps son entrée dans ce débat. Mais les recherches sur ce sujet qui jusqu'à présent étaient plutôt le terrain de prédilection des sociologues se multiplient aujourd'hui dans les rangs des économistes chercheurs du monde universitaire.
En analysant la prostitution comme une activité économique à part entière qui rapporte et/ou crée de la richesse, la question de son acceptation dans la société ne se pose plus. La voilà tout bonnement insérée dans les pans tortueux de l'économie mondiale. 30 milliards de chiffre d'affaires rien qu'en Europe nous dit-on. Voilà qui remonterait le moral de plus d'un Etat de la zone euro...
Mais derrière ces réflexions compréhensives de la part des enfants du libéralisme effréné et de l'argent roi, qu'en est-il de l'analyse du coût social à long terme. Que pense-t-on de « l'usure des personnes » ? Pourquoi ne la prend-on pas en compte elle aussi ? Car on ne sort pas indemne de la prostitution. Même consentie, même occasionnelle, même en ne pensant qu'à l'argent...
Tous les prétextes sont bons
Les propriétaires de salons de prostitution du Nevada ont un discours parfaitement rôdé à ce sujet. A une proposition d'un sénateur sur la fin du système dans cet Etat américain où la prostitution est autorisée et réglementée, ils n'ont pas tardé à contre-attaquer : « en ces temps de crise, mon activité me permet de faire travailler beaucoup de personnes. Si je perds mon autorisation, je vais être obligé de licencier beaucoup de monde. Il faudrait savoir ce qu'on veut. » Voilà donc une excuse toute trouvée à la professionnalisation. Faire jouer le chantage du travail, de l'argent dans un contexte économique difficile.
Les sites internet commercialisant la relation cristallisent eux aussi cette banalisation rampante. Whatsyourprice, sugarsugar, femmesalouer. La parfaite mise en application de la rencontre marchande. Pas de prostitution affichée comme sur les sites d'escorting mais la mise en relation (payante) d'une demande (j'ai de l'argent) avec une offre (j'ai besoin d'argent). Le prestataire sert ici d'intermédiaire dans une mise à disposition pour autrui de personnes sur le réseau. De quoi passer en même temps pour le bon samaritain auprès des médias et se faire de l'argent sur les situations humaines en « servicisant » la relation. Dès lors, la prostitution peut apparaître comme la forme la plus aboutie de ce type de service. Quoi de plus normal et de plus banal ?
Plus récemment, une étudiante de l'University of Arkansas, Jennifer Hafer, analysait les facteurs décisionnels qui peuvent amener une personne à « choisir » la prostitution. Son travail, ô surprise, montre qu'aujourd'hui, aux Etats-Unis, ce sont plutôt des femmes d'un haut niveau social qui peuvent être attirées par l'escorting, via une agence ou internet, parce que ça rapporte beaucoup en très peu de temps. Elles peuvent même, selon l'étude, préférer ce « choix » à une quelconque activité rémunérée « classique » au vue des instabilités actuelles du marché économique. Elle conclut ensuite sur la nécessité d'encadrer cette activité « de luxe » afin de réguler le marché. CQFD. Tout va bien. Hélas, rien sur les personnes, rien sur les conséquences. Ce n'était pas l'objet de l'étude. Le sujet, c'était l'argent.
Oui mais voilà ce n'est pas qu'une question d'argent. Derrière ces « transactions », il y a des corps, des cris, des larmes, des insomnies, des violences... « Je pouvais me faire tirer les cheveux, recevoir des claques et me faire dire toutes sortes de choses dégradantes » raconte Stéphanie, une escorte qui témoigne aujourd'hui pour dénoncer cette banalisation. Rien ne peut préparer aux réactions du client. « il va être gentil un fois, deux fois, dix fois et un jour avoir une réaction... Elles ne se rendent pas compte du danger. Un hôtel, un appartement. Seule, c'est terrifiant. J'ai été braquée, violée, agressée... » raconte Rosen. Elle ajoute : « On se dit, allez, juste une fois...Mais une fois, c'est déjà trop...c'est des milliers de fois pendant des années... ». Car la dépendance arrive très vite.
Non décidément, ce n'est pas banal. Même face à un billet de banque.
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