La récession se dessine, chômage, désert, déconsommation... et désinformation ?
Austérité, budget, chômage en explosion, indicateurs dans le rouge, voilà des éléments indiquant l’entrée de la France en récession. Au fait, déjà en 2000-2002, la zone euratlantique avait subi un trou d’air. Que penser de ces événements ?
Face à ma fenêtre, un panneau publicitaire me nargue, tel un portait de Dorian aux couleurs se délavant dans le temps. Et le papier qui se gondole en plus ! L’affiche n’a pas été changée depuis fin juin. Elle vante les mérites gustatifs d’un taboulé décrit comme aussi bon que là-bas, formule tellement connue qu’on croirait l’entendre vanter le couscous avec une voix de pied noir chantante comme là-bas. Cette affiche laisse supposer que le calendrier des annonceurs est loin d’être surbooké. Il paraît que ça se produit à certaines périodes de l’année, auquel cas les panneaux sont généreusement offerts à des associations d’utilité publique. Mais, fin septembre, c’est étrange. Ralentissement de l’économie ?
Autre indice, la fréquentation des restaurants cet été. J’en connais un à Andernos, complet les dimanche ensoleillés d’automne, mais pas cette année. Néanmoins, la fréquentation du bassin a été énorme, au vu des bouchons pour rentrer le soir. Les gens semblent faire l’impasse sur le resto, mais pas la sortie dominicale. Autre signe, assortie cette fois de chiffre. Le nombre de faillite des établissements hôteliers est en forte augmentation au premier semestre. Les bars sont plus touchés, sans doute à cause de l’interdiction de fumer. Les chiffres de la restauration ne vont pas être bons pour 2008. Les producteurs d’eau minérale sont aussi sur le qui-vive. Chômage technique. Les eaux minérales ne se vendent plus. C’est logique, l’eau du robinet est gratuite, alors autant se servir et économiser sur un achat devenu superflu. Plus inquiétant, il paraît qu’un quart des Français a retardé des soins dentaires ou ses achats de lunette. C’est mon cas. Je garde ma paire pour voir de loin, utilisant une vieille paire d’il y a quinze ans pour voir de près. Elles ne sont pas tout à fait adaptées, mais ça le fait quand même. C’est d’ailleurs le conseil que je donne à tous les myopes. Gardez vos vieilles lunettes, quand vous avez 4 ou 5 dioptries. Avec l’âge, la myopie frôle les 6 ou 7 et quand la presbytie arrive, vous ne pouvez plus voir de près avec vos lunettes. Alors, sachant qu’une presbytie de 2 dioptries se soustrait en termes de correction, votre vieille paire de lunette vous sert alors pour voir de près. C’est pratique, surtout si vous n’avez pas de mutuelle. Car des verres progressifs, ça coûte une fortune. Du coup, je me passe de verres progressifs et je peux m’acheter quelques disques de rock progressif. Chaque Français réagit selon ses priorités pour faire face à un budget qui n’est pas progressif. C’est ainsi que se dessine la transformation économique, plus vite en temps de crise qu’en période ordinaire. Il suffit de voir les rues, des commerces ouvrent, d’autres ferment.
Cela ressemble au désert, mais moins accentué qu’à Détroit, ville déjà sinistrée dans les années 1980 et de nouveau promise au désert (en 2000, 26 % sous le seuil de pauvreté, taux deux fois supérieur à la moyenne américaine). Atkins et Cybotron, en 1983, la techno musique de transe accompagne la crise… puis une nouvelle crise… et encore une (…) Qui contamine nos économies dont les défenses sociales sont quand même plus solides. Le désert, il est dans les ruines du tissu industriel autant que dans le dessèchement des âmes…
Autre chiffre qui fait peur et justifie une réunion de crise. Celui du chômage. Sans doute, quelques établissements hôteliers mal en point ont licencié du personnel récemment, mais cela s’est produit partout. Car il faut bien expliquer les 40 000 chômeurs de plus au mois d’août. Un record. Il faudra être attentif aux explications. Car certains pourraient être tentés d’accuser la crise financière. Dont la contrepartie dans ce début de récession n’est qu’une fraction (à déterminer). Récession, le mot est lâché ! Comme le précise un article traduit dans le dernier Courrier international, la définition consensuelle de la récession n’est pas fiable. Baisse du PIB pendant deux trimestres consécutifs conviennent les experts. A ce compte-là, si le PIB baisse de 0.2 en hiver et au printemps, c’est une récession. Mais si ça baisse de 3 points, que ça remonte de 0.2 points et que ça baisse de 4 points, alors, il ne s’est rien passé. Selon les économistes sérieux, c’est plutôt le taux du chômage, pour autant qu’il ne soit pas manipulé par les pouvoirs politiques, qui indique une récession. Les Etats-Unis, avec un taux dépassant les 6 %, atteignent presque le niveau de 2001. Donc, récession en vue. Pareil pour l’Europe et la France. Peu de banques présentes au salon de l’immobilier à Bordeaux, un signe qui ne trompe pas. Chute de vente des voitures neuves en Europe, un signe qui ne trahit pas. Cela dit, la baisse de l’immobilier n’est pas un drame, sauf pour les agences. Les prix avaient atteint des niveaux déraisonnables et c’est notamment cette bulle immobilière qui explique une bonne part de la récession. Chute des constructions dans l’immobilier. Ce n’est pas le besoin de logements qui sont est en cause, mais le fait que les gens n’ont pas les moyens d’acheter, ni de s’endetter, et que les banques surveillent les crédits. Quant aux 40 000 chômeurs supplémentaires, le chiffre paraît étonnant, mais certainement que la précarité du travail y est pour une bonne part. Vu le nombre de CDD signés, le non-renouvellement d’un contrat offre de la souplesse pour licencier. Comme le dit Claude Guéant, vive la souplesse du marché du travail, mais il vaut mieux ne pas se trouver en CDD.
Fred Foldvary avait évoqué une matière noire financière avec facétie, sachant très bien où elle se trouve, dans les bulles, les actifs et passifs des banques, etc. La matière noire financière, c’est comme la masse physique, visible ou pas, qui dans le cadre de la cosmologie relativiste, déforme l’espace-temps paramétré par une métrique. Pareillement, l’économétrique, qui paramètre l’économie réelle, est déformée par la masse noire financière. Quand la déformation est suffisamment importante pour être visible, on appelle cela crise. Et sur le plan économétrique, cela modifie les consommations, et le chômage qui va avec. Cette masse noire est quand même visible à travers les bénéfices d’entreprises comme Porsche, Total, LVMH, Rolex, les constructeurs de yachts ; tandis que les affaires continuent, la banque Morgan aux Etats-Unis qui vient de faire de belles emplettes sur le marché, et BNP qui lorgne sur Fortis, etc.
Parlons un peu de la dynamique de l’emploi. Les consommateurs ont perdu du pouvoir d’achat. Inflation de l’alimentation, carburants, crédit immobilier, etc. D’autres consommateurs ont des réserves, mais préfèrent épargner. D’où un manque de dynamisme qui ne supporte pas la création d’emploi dans ce qu’on appelle l’économie locale. Le petit artisan, épicier, jardinier, etc. n’a pas forcément le désir de créer son affaire quand les gens désertent le superflu ou du moins, le non-indispensable. La France, comme l’Europe, est dans une dynamique de récession, mais pas de dépression. Cette récession est plus sociale qu’économique.
Et le volontarisme de relance du président ? Nicolas Sarkozy a décliné l’idée d’un plan de relance tout en annonçant un budget serré. Ceux qui le lui reprochent sont de mauvaise fois. Ce n’est pas « qu’il ne veut pas », mais « qu’il ne peut pas ». La France, avec sa dette croissante et son déficit budgétaire prévisible, n’a plus les moyens de financer des plans sociaux à l’échelle nationale. En fait, les marges de manœuvres ont été utilisées, y compris les dernières cartouches. Et ce, depuis vingt-cinq ans. Contrairement à Jospin en 1997, Fillon ne peut plus vendre les grosses entreprises pour récupérer de la thune budgétaire, mais il reste une solution. Le budget du cœur. Nous n’avons plus Coluche ; mais Mme Bruni, qui aime tant la France et son président, se prépare à lancer l’opération du « budget du cœur ». Elle va sortir un disque en duo avec Vincent Delerm, deux voix au même niveau ; un CD produit par Universal, dont les bénéfices iront en intégralité au budget de l’Etat. Bon, un peu de loufoquerie ne nuit pas à la pédagogie !
La montée du chômage est l’essentiel du problème, du point de vue social et moral ; c’est aussi l’essentiel de la solution, pour réguler les comptes de la récession. C’est pour ainsi dire de l’ordinaire. Cela fait deux décennies que les Français sont indifférents au chômage sauf s’il touche leurs proches et que les pouvoirs publics ne peuvent rien faire parce que le modèle de société ne prévoit pas que l’emploi soit prioritaire. Les discours des présidents n’ont été que décorum, bonnes résolutions de nouvel an qui comme on sait, ne sont jamais appliquées. C’est ainsi. Cette année 2008 amènera quelques résolutions, mais, hélas, le changement de société ne se dessine pas. Malgré quelques frondes. Sarkozy pique dans le 1 % du logement social, puis dans la caisse pour la formation ; on dirait un père de famille qui pour financer les dettes de sa Béhème achetée à crédit pique dans la tirelire de ses enfants. Nous verrons bien ce que diront les politiques face à ces mesures portant atteintes aux classes les plus basses. Les travailleurs d’en bas accédant à la propriété et les travailleurs licenciés en attente d’accéder de nouveau à l’emploi après formation.
Si l’on devait retenir une chose, c’est la triple signification du mot crise. Mais le billet s’achève ainsi, sur ce portrait d’une récession probable. Un choc assez rude, plus qu’en 2001, mais qui sera amorti. Dans dix ans, peut-être un monde nouveau. Si l’on devait retenir une chose, c’est que les médias n’ont pas analysé la totalité des causes de ce marasme. Y aurait-il quelques désinformations ? Mais ce billet s’achève…
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