La reflation : une hypothèse prématurée ?
Les observateurs, d’habitude si prudents depuis l’éclatement de la crise en 2007-2008, se montrent, pour une fois, plutôt optimistes. A la faveur de ces emballements, un mot revient en boucle : la RE-FLA-TION. De quoi s’agit-il ?
La reflation désigne, tout lyrisme mis à part[1], la reprise contrôlée de l’inflation après une période de déflation. Cette reprise intervient après une politique de relance de l’activité économique impliquant des déficits budgétaires et/ou une baisse des taux d’intérêt.
Tout part de Chine
Bref, l’économie repart. Et la croissance aidant, le niveau moyen des prix se remet à bouger vers le haut. Le scénario de reflation tel qu’on l’évoque aujourd’hui tient fondamentalement à l’évolution du niveau des prix en Chine.
Il est vrai que l’on constatait un phénomène de décollage des prix à la production en Chine au mois de février (+7,8% sur un an pour être plus précis)[2]. Il s’agit là du rythme le plus élevé pour cette donnée depuis septembre 2008.
Une dynamique de rattrapage des prix serait donc à l’œuvre en Chine. L’Empire du Milieu aurait cessé d’exporter de la déflation. Cette tendance devrait, selon certains analystes, relever durablement le niveau des prix des produits chinois à l’exportation et partant, diffuser cette embellie à l’échelle mondiale.
Le pire serait donc derrière nous. Vraiment ? Attention, mine de rien, au syndrome des lunettes roses.
On rappellera, en effet, qu’un mouvement de reflation n’est abouti qu’à partir du moment où les politiques expansives ont permis au niveau de prix de retrouver leur niveau d’avant l’entrée en déflation.
Or, ce n’est toujours pas le cas en Chine. En effet, les prix n’y ont pas encore retrouvé leur niveau de 2012[3].
C’est à cette date que l’Empire du Milieu s’est enfoncé dans une crise directement liée à des surcapacités de plus en plus importantes. De ce point de vue, il s’avère particulièrement hasardeux d’avancer que ces excédents seraient aujourd’hui en nette diminution.
En effet, on constate que les prix à la consommation en Chine ont continué à stagner au cours du deuxième semestre 2016. Convenons qu’il ne s’agit pas là d’un signe évident de reflation.
Au début de cette année, le rythme de progression sur un des prix à la consommation était au plus bas depuis le premier trimestre 2015 comme nous le prouve le graphique suivant.
On notera que la hausse des prix à la production ne s’est pas du tout répercutée sur les prix à la consommation intérieure. Cet état de choses a priori surprenant indique que la consommation intérieure en Chine n'est pas soutenue et ne permet donc pas une hausse autoentretenue des prix. D’après des sources alignées sur les positions du Parti communiste chinois, les données établies pour le mois de mars ne sont pas de nature à infirmer ce tableau clinique. Les prix à la consommation en Chine ont grimpé de 0,9% en mars. On ne note aucune modification de fond pour cette donnée qui reste morose. Par contre, la progression de l’indice des prix à la production est retombée à 7,6% le mois dernier[4]. C’est là un plus-bas en six mois.
Nuages noirs
Ces constats posent évidemment un souci majeur. En effet, jusqu’à présent l’évolution des prix à la consommation en Chine oscillait autour des 2% annuels en moyenne (c’est ce à quoi renvoie la courbe en pointillé CPI Avg). Cette tendance de fond a, jusqu’à présent, permis d’éviter la chute de l’économie chinoise en zone de déflation. Il se trouve que le ralentissement de la progression des prix à la consommation constaté depuis février 2007 est important (0,85% en rythme annuel).
Côté demande, la faible progression des prix à la consommation indique clairement que la hausse des prix ne se généralise pas en raison d’une demande intérieure qui reste structurellement faible. On expliquera donc la tendance haussière des prix à la production par un soutien accru des autorités chinoises aux entreprises locales.
La stimulation de l’économie chinoise a mobilisé en 2016 10% du PIB si on intègre les mesures relevant du domaine quasi-budgétaire. Ces dernières doivent s’appréhender comme relevant de l’activité de la Banque populaire de Chine (BPC).
Comme toutes les banques centrales, la BPC peut se livrer à des opérations financières ayant la même fonction que les impôts et les subventions. Dans le cas d’une banque centrale, les activités quasi-budgétaires ressortissent « au double rôle de cette institution qui, d’une part, est chargée de réglementer le système de change ainsi que le système financier et qui, d’autre part, agit comme le banquier de l’Etat » [5].
La politique quasi-budgétaire de la BPC amène cette dernière à prêter à tour de bras et surtout à taux réduits à tout ce qui peut, de près ou de loin, soutenir l’activité économique en Chine. Les prêts des banques publiques doivent donc également être intégrés dans le volet quasi-budgétaire de l’action des pouvoirs publics.
Or, Pékin a particulièrement mis à contribution son vaste réseau de banques publiques. Celui-ci a, par exemple, émis des emprunts obligataires afin de financer des projets d’infrastructure dont l’utilité n’est pas toujours évidente. Il en va de même d’un grand nombre de projets soutenus aujourd’hui par les pouvoirs publics en Chine.
Au total, les appels de fonds des autorités publiques ont conduit à un évincement sur le marché des capitaux des investissements privés (phénomène dit de crowding out)[6]. Cet état de choses explique qu’en dépit de ces mesures de soutien, la croissance chinoise connaisse un essoufflement continu depuis 2015.
Or, comme nous l’avons vu, cette politique a également eu pour but de soulager les entreprises présentant des surcapacités structurelles. Ces dernières sont soutenues à bout de bras et ont pleinement accès au crédit.
Cette orientation se traduit par le fait que la dette des entreprises privées équivaut aujourd’hui à près de 170% du PIB chinois alors que le total des dettes privées et publiques représente 250% du PIB. Mais plus la croissance stagne et plus la profitabilité de ces entreprises va en diminuant.
De plus en plus d’entreprises éprouvent, en effet, des difficultés à disposer des revenus permettant le remboursement de ces crédits. Cet état de choses constitue naturellement une pression sur les bilans des banques chinoises.
La multiplication des crédits douteux en Chine est évidente. A la fin de l’année 2012, les prêts douteux dans les bilans des banques chinoises représentaient 400 milliards de yuans.
Cette progression a été pour le moins fulgurante. A l’été 2016, soit un peu moins de 4 ans plus tard, ce montant équivalait à près de 1,5 billion de yuans (c’est-à-dire 1.500 milliards de yuans). Il s’agit d’une multiplication par quatre en quatre ans.
Certes, ces prêts dont le remboursement apparaît aujourd’hui hasardeux ne représentent pas grand-chose par rapport au Produit intérieur brut (PIB). En 2016, ce dernier était de 69.000 milliards de yuans (à peine plus de 2% du PIB).
A priori donc, rien d’inquiétant. Mais il faut toujours se méfier des a priori. Le shadow banking n’est pas repris dans ce graphique. En intégrant ce segment fort peu régulé de l’économie nationale, le Fonds monétaire international (FMI) a calculé que les actifs risqués du shadow banking équivalaient à 30% du PIB chinois[7]. Le shadow banking se caractérise par l’arrivée sur le marché du crédit d’une nouvelle catégorie d’acteurs non bancaires et, à ce titre, fort peu concernés par le timide mouvement de régulation du secteur depuis une dizaine d’années. Le potentiel de destruction provenant du shadow banking ne se limite pas à la Chine. Aux Etats-Unis, la proportion du shadow banking dans les prêts immobiliers a quasiment triplé depuis 2007. Elle représente aujourd'hui plus du tiers de du crédit immobilier US. Leur part est passée de 14% en 2007 à 38% en 2015. « Et c'est surtout auprès des emprunteurs les moins solvables que ces nouveaux prêteurs se sont le mieux implantés. Leur part est passée sur ce marché de 20 à 75% entre 2007 et 2015 » [8]. L’économie mondiale est donc minée en raison de l’activité de ces acteurs, non seulement en Chine mais aux Etats-Unis également.
A l’heure actuelle, d’après Fitch et CSLA, le total des prêts non-performants dans l’économie chinoise oscilleraient aujourd’hui entre 15 et 17% des bilans bancaires. Il s’agit là de niveaux comparables à ceux de l’Italie, de l’Irlande et du Portugal aujourd’hui[9].
La bulle
Cette multiplication des crédits douteux va de pair avec le tarissement de la croissance en Chine. Ce dernier présente un caractère structurel.
En 2010, la croissance du PIB en Chine était de 9,65% en 2008. Elle avait chuté à 6,9% en 2015.
On entend souvent dire que l’économie chinoise tourne le dos à son passé d’ « atelier du monde », selon une expression usée jusqu’à la corde, pour faire reposer son modèle de croissance sur la consommation intérieure. L’évolution des prix à la consommation vient contredire l’idée que cette réorientation s’opère sans difficultés majeures.
Le soutien aux entreprises excédentaires apparaît de plus en plus comme un moyen de privilégier l’offre au détriment de la demande puisque la croissance du PIB procède d’un gonflement des activités d’entreprises inefficientes du point de vue de l’allocation des ressources. Dans ces conditions, la diminution de la croissance du PIB relève moins d’un choix de politique économique que d’un essoufflement des mécanismes d’accumulation qui ont fonctionné dans le passé. Par conséquent, le crédit fonctionne, dans ces conditions, comme un emplâtre sur une jambe de bois.
Par ailleurs, ce schéma s’avère de plus en plus dangereux. La politique de relance par des mesures quasi-fiscales s’accompagne, comme nous l’avons vu, d’un gonflement important du crédit en Chine. Un instrument de mesure existe et permet d’en mesurer l’importance. Il s’agit du credit to GDP gap qui se définit comme la différence entre le ratio des crédits accordés au secteur privé non-financier rapporté au PIB et sa tendance attendue à long terme. Ce ratio est utilisé pour anticiper des crises bancaires.
En l’espèce, il se trouve que la Chine détient des records pour cet indicateur. Le credit to GDP gap de la Chine était de 27,2 en 2015. Pour les trois premiers trimestres de 2016, ce chiffre passait à 27,7[10].
Il se trouve qu’au-dessus de 10 %, nous sommes bien en présence d’un risque de suractivation du crédit et de difficultés bancaires en perspective. On a coutume de dire qu’une économie saine se caractérise par un credit to GDP gap compris entre 2 et 10. L’économie chinoise se situe bien au-delà de ces niveaux et n’est battue que par … Hong Kong (38,7 en 2015)[11].
Collatéralement, la montée du crédit a, au cours des dernières années, alimenté la bulle immobilière en Chine. Et jusqu’à présent, rien ne semble arrêter cette tendance haussière.
Les chiffres livrés par le Financial Times révèlent que les prix de l’immobilier chinois continuent à progresser. « A l’échelle de tout le pays, le prix des logements s’était caractérisé par une augmentation sur une période d’un an de 11,8% en février 2017 ». Ce mouvement fait suite à une hausse de 12,2% en janvier 2017[12].
Par ailleurs, le gouvernement chinois a besoin de la construction pour doper les chiffres de croissance du PIB. C’est ainsi que les chiffres de croissance prévus au Plan ont été atteints l’an dernier grâce au secteur de la construction.
L’atterrissage en douceur de l’immobilier et de la construction constitue un sujet de la plus haute importance pour le gouvernement chinois qui se retrouve, pour le coup, face à un dilemme cornélien. S’il pratique une politique résolument restrictive, c’est la croissance de toute l’économie qui risque de toucher le fond.
D’un autre côté, il lui est également impossible de laisser la bride sur le cou à la spéculation immobilière et ce, afin d’éviter une correction trop brutale par la suite. C’est l’option qui semble avoir été choisie puisque la croissance économique de la Chine qui a accéléré à 6,9% au premier trimestre a surtout été portée par un boom des investissements dans l'immobilier et les infrastructures. Ce boom a pour contrepartie une explosion des crédits dans la sphère très peu régulée du shadow banking.
Le point d’arrivée de cette « stratégie » consistera plus que vraisemblablement en une dégradation de la solvabilité des banques vu la masse des crédits douteux au sein de l’économie chinoise. C’est ainsi qu’à la fin de l’année 2016, la Banque des règlements internationaux (BRI) donnait trois ans à la Chine avant de connaître une crise financière majeure.
Pressions à la baisse
La récente augmentation des taux d’intérêt à la mi-mars 2017 n’est, d’ailleurs, pas de taille à ralentir la bulle du crédit au sein de l’économie chinoise. Les taux d'intérêt des prêts à moyen terme pour les prêts à six mois et à un an ont augmenté chacun de 10 points de base (0,10%) pour atteindre respectivement 3,05% et 3,2%.
Il s’agit là, d’évidence, d’une augmentation trop faible pour pouvoir porter un coup d’arrêt à la vague de spéculation sur l’immobilier local. En revanche, le gouvernement s’est résolu à baisser son objectif de croissance après ce tour de vis.
A moyen terme, on n’imagine pas le gouvernement chinois être, dans ces conditions, capable de mettre fin à la fuite des capitaux qui frappe le pays de façon structurelle depuis 2014.
Les réserves de change de la Chine ont baissé de 25% depuis l’été 2014. Elles sont ainsi passées de 4.000 à 3.000 milliards de dollars. Le drame commence à prendre forme avec d’un côté, des acteurs de marché que rien n’incite à la prudence et de l’autre, une économie nationale qui perd des liquidités. Le recours à l’emprunt pour financer l’économie ne va, dans ces conditions, pas diminuer.
En cas d’éclatement d’une crise bancaire majeure, le resserrement du crédit qui suivra conduira à un mouvement de pression à la baisse sur les prix en Chine. Ce d’autant que la baisse de l’inflation a pour effet mécanique d’augmenter le poids relatif des dettes dans les bilans des acteurs selon un mécanisme bien identifié par Irving Fisher dans les années 1930[13]. Bien sûr, la Chine dispose d’immenses réserves (3.000 milliards de dollars).
Cela dit, le PIB de la Chine en 2016 était de 11.000 milliards de dollars. Et si les prêts douteux, comme l’affirme Fitch, représentent 15% des bilans bancaires en Chine et que ces derniers pèsent pour 300% du PIB[14], on comprend vite que la Chine, en cas d’explosion de la bulle immobilière, ne peut plus se reposer de façon structurelle sur ses réserves. La raison en incombe à l’augmentation des actifs bancaires depuis 2012. En prenant pour base de calcul des bilans bancaires équivalents à 240% du PIB[15], on s’aperçoit que la masse des crédits douteux en Chine est de nature à absorber la totalité des réserves du pays. L’éclatement de la bulle immobilière ne pourrait que contribuer à déstabiliser une situation, par ailleurs, déjà passablement critique.
Le canal de transmission de la vague de pression à la baisse sur les prix, en cas de crise bancaire en Chine, sera, en tout point, identique à celui qui caractérise l’actuelle vague de reflation. La transmission de l’évolution des prix en Chine vers les autres pays émergents s’effectue via le commerce des matières premières. Pour les pays développés, c’est le commerce des biens fabriqués en Chine qui alimente la tendance sur les prix.
Reflation ? Vraiment ?
En ce qui concerne la reflation des matières premières, on signalait déjà une tendance au tassement au début de cette année. La cause en revient principalement à la reprise de la production dans les pays exportateurs[16]. En réalité, la reflation sur les matières premières était principalement due à une réduction de l’offre. On peut donc s’attendre à ce que cette source d’augmentation des prix s’estompe progressivement au cours de l’année 2017. Pour mémoire, les matières premières comptent pour 30% de l’indice des prix à la production en Chine[17].
De surcroît, le recul de l’activité économique en Chine ne devrait guère favoriser la reflation dans les mois à venir. C’est ainsi que l’indice HSBC pour la production industrielle en Chine était, en mars 2017, à son plus bas niveau depuis l’été 2016. A l’heure où ces lignes étaient écrites (avril 2017), on constatait que l’indice PMI de l’activité manufacturière en Chine avait reculé à 51,2 points en mars, après 51,7 le mois précédent. Les analystes l'attendaient à 51,6[18].
Il n’a pas fallu attendre bien longtemps pour que la vague de morosité se diffuse au secteur des matières premières. C’est ainsi que les cours du minerai de fer ont baissé à la fin du mois de mars en prévision d’une chute de la demande en Chine. A terme, le cours de l’ensemble des matières premières devrait accuser le coup[19].
L’augmentation de la production de pétrole devrait atteindre, toutes choses égales par ailleurs, 360.000 barils par jour aux Etats-Unis et un million de barils par jour en 2018. Si les pays producteurs décidaient de continuer, via un accord entre pays membres et non-membres de l’OPEP, à diminuer leurs productions respectives, la production de pétrole et de gaz de schiste semble être à même de prendre aisément le relais. Après tout, les Etats-Unis disposent, avec le gaz et le pétrole de schiste, de réserves leur permettant une autosuffisance pour 70 ans[20]. Le rebond des producteurs de pétrole schisteux US pourrait être de longue durée. En effet, le réveil du schiste a été rendu possible « par l’extraordinaire capacité des producteurs américains à abaisser leur point mort. Au début de la crise, celui-ci était estimé entre 70 et 80 dollars par baril. Les coûts ont baissé de plus de 40 % en deux ans. L’une des progressions clés a été la meilleure compréhension du sous-sol. C’est ainsi qu’à la recherche des zones les plus propices à l’exploitation, les compagnies américaines ont révélé le véritable potentiel du Permian basin au Texas »[21]. De surcroît, « la Chine avance aussi à grands pas [dans le secteur]. En 2017, les pétroliers nationaux, PetroChina et Sinopec, ont prévu de forer 110 puits dans la province du Sichuan et 600 à l’horizon 2020. À cette date, un tiers de la production du pays sera non conventionnelle ».[22] L’OPEP peut donc se faire du souci…
Pour ce qui est des pays développés, il apparaît que l’actuelle vague de reflation provient essentiellement du poids des importations chinoises dans leurs économies[23]. Rien ne permet d’entrevoir aujourd’hui une tendance endogène à la reflation dans les économies occidentales. La reprise économique aux Etats-Unis reste faible et n’a jamais dépassé les 2% depuis bientôt 10 ans. Pour l’année 2016, elle était de 1,6%. Il s’agit là d’un score historiquement faible puisque depuis 1949, jamais reprise économique ne fut aussi faible aux Etats-Unis.
L’économie états-unienne crée, certes, des emplois depuis octobre 2010. Cependant, les salaires n’ont pas évolué à un rythme spécialement soutenu. C’est une grande différence par rapport au passé. Entre 2006 et 2007, alors que le taux de chômage était aussi bas qu’à l’heure actuelle, les salaires avaient progressé de 4%. De même, la reprise industrielle doit, avant tout, s’envisager comme relevant fondamentalement d’un mouvement de rattrapage après la période morose de 2015 et 2016.
Dans la zone euro, l’inflation sous-jacente (ou core inflation) qui exclut les produits volatiles (comme l’énergie) est restée stable depuis mai 2016 en affichant un taux de 0,9%. Jusqu’à présent, l’inflation sous-jacente en zone euro n’a toujours pas retrouvé son niveau de mars 2016 lorsqu’elle était légèrement supérieure à 1%même si une toute petite amélioration est à signaler par rapport aux 0,8% de l’automne 2016[24]. Pour le Japon dont on dit un peu partout qu’il est sorti de la déflation, on fera tout de même remarquer que la core inflation au pays du Soleil-Levant était, au début de cette année, de 0,1%[25].
Ces chiffres devraient inciter les responsables européens à ne pas lâcher trop vite les politiques monétaires accommodantes comme en témoignent les récentes déclaration de Mario Draghi qui excluait toute hausse des taux avant la fin du programme d’achats. Aux Etats-Unis, les politiques de quantitative easing ont été maintenues alors que les fondamentaux avaient déjà commencé à s’améliorer. Afin de pérenniser la sortie de crise, la Réserve fédérale américaine (Fed) a conservé ce type de politique alors que le taux de chômage avait atteint le taux de 5% en 2012.
Il est vrai que l’économie allemande est en situation de plein-emploi avec des pénuries de main d’œuvre dans certains secteurs et des hausses de salaires entretenant mécaniquement et de manière endogène l’inflation. C’est loin d’être le cas dans toute la zone euro qui affiche un chômage moyen de 9,6%. Si la BCE devait, contre toute attente, en terminer avec les politiques accommodantes, on pourrait raisonnablement craindre la répétition du scénario de 2011 lorsque les taux ont été augmentés de façon précipitée. Bien entendu, les divergences structurelles entre l’Allemagne et le sud de la zone euro[26] ne seront pas sans alimenter des tensions à l’avenir, tensions dont la BCE sera, un peu plus encore que d’accoutumée, le théâtre.
Sans ambages, il ne faut pas hésiter à rappeler que des forces peu propices à une reprise de l’inflation restent largement à l’œuvre. Une crise bancaire de grande envergure en Chine constitue l’hypothèse qui pourrait matérialiser un scénario de franche pression à la baisse sur les prix.
Le récent tour de vis opéré par la Banque populaire de Chine n’est pas de nature à porter un coup d’arrêt à la bulle immobilière en Chine. Si cette dernière devait continuer sur sa lancée, l’éclatement brutal qui suivrait serait de nature à déstabiliser en profondeur les bilans des banques chinoises surexposés à des crédits douteux.
Certes, l’inflation semble avoir structurellement repris du poil de la bête aux Etats-Unis avec une core inflation se situant autour de 2% depuis mars 2016. Cependant, le récent échec de Donald Trump sur le dossier de l’Obamacare rendait un peu plus improbable encore le scénario de franche reflation puisque les politiques trumpistes de relance devaient être financées par les économies réalisées dans les soins de santé[27]. Or, à l’heure où les taux remontent aux Etats-Unis, creuser les déficits ne sera donc plus aussi bon marché que par le passé.
On ne devrait guère, dans les mois qui viennent, noter la même résolution du côté des Européens où les niveaux d’inflation sont nettement plus faibles qu’aux Etats-Unis. Aux dernières nouvelles, les prix avaient augmenté de 1,1% dans la zone euro au lieu de 1,5% comme attendu par les analystes de la BCE[28]. Un tour de vis significatif sur les taux d’intérêt semble donc une option qui ne devrait pas avoir les faveurs de la BCE avant mars 2018.
Plus structurellement, la difficile mise en œuvre d’une politique de reflation doit être rapportée au fait que les investissements n’ont jamais été aussi bas aux Etats-Unis depuis les années 1930. Il s’agit là d’une donnée structurelle majeure pour la croissance de la production et la reflation de l’économie nationale. L’investissement net aux Etats-Unis en 2016 des secteurs privé et public réunis oscillait autour de 5% du PIB. La zone euro se caractérisait, pour sa part, par un taux d’investissement de 2%. L’investissement net au Japon était, pour sa part, inférieur à 0,5% du PIB[29].
Nous vivons décidément une époque formidable. Sinon intéressante. Même dans les pages du prestigieux Financial Times[30], on trouve des articles dont le contenu n'a pas grand-chose à voir avec le titre. En l’occurrence, l’article en question s’intitule « L’amélioration de l’économie mondiale est réelle ("The global économico recouvert Is for real") » mais se conclut par ces lignes : « Le niveau faible de l’investissement ainsi que de faibles gains de productivités permettent de douter de la durabilité de cette amélioration ».
En effet, la productivité par heure de travail aux États-Unis a progressé de 1,3% par an en moyenne entre 2004 et 2015 et a stagné autour de 0,5% entre 2010 à 2015[31]. La Chine est également affectée par ce problème. En 2015, les gains de productivité de l’économie chinoise (+6,6%) se situaient à leur niveau de 1999.
A cette époque, la crise asiatique avait heurté de front l’économie chinoise et cette chute des gains de productivité avait été brutale mais de courte durée. C’est ainsi qu’en 2001, la Chine retrouvait des gains de productivité proche des 8%. L’actuelle diminution des gains de productivité présente un caractère clairement structurel puisqu’elle est continuelle depuis 2010[32].
Des scores aussi faibles contredisent l’hypothèse d’une reflation rapide de l’économie mondiale. Le reste n’est que littérature…
[1] Voir par exemple Bruno Colmant, La semaine de Marc, BFMTV, 3 mars 2017 (URL : http://bfmbusiness.bfmtv.com/mediaplayer/video/la-semaine-de-marc-12-comment-expliquer-la-belle-performance-des-pays-emergents-0303-920361.html)
[2] Les Echos, 9 mars 2017.
[3] Natixis, China Hot Topics, CHINA’S STRANGE REFLATION CONFIRMED BY INCREASING DIVERGENCE BETWEEN PRODUCER AND CONSUMER PRICES, 9 mars 2017.
[4] China Daily, 13 avril 2017.
[5] Fonds monétaire international (département des finances publiques), Ajustement budgétaire : principes directeurs, Washington, 1996, brochure n°49-F, p.20.
[6] BNP Paribas, China : expanding its fiscal horizons, 11 août 2016.
[7] Financial Times, 12 août 2016.
[8] Les Echos, 2 avril 2017.
[9] Autorité bancaire européenne, mars 2017.
[10] Banque des règlements internationaux (BRI), 2017.
[11] Ibid.
[12] Financial Times, 21 mars 2017.
[13] Fisher, I. (1933), The Debt-Deflation Theory of Great Depressions, Econometrica 1 (4), pp.337-357.
[14] Fortune, 27 octobre 2015.
[15] Grant Turner, Nicholas Tan et Dena Sadeghian, The Chinese Banking System, in Bulletin of Reserve Bank of Australia, September Quarter 2012, p.53.
[16] China Daily, 6 février 2017.
[17] Bloomberg, 17 janvier 2017.
[18] L’Usine Nouvelle, 1er avril 2017.
[19] Financial Times, 22 mars 2017.
[20] The Guardian, 6 juillet 2016.
[21] L’Usine Nouvelle, édition mise en ligne du 13 avril 2017.
[22] Ibid.
[23] Bloomberg, 14 février 2017.
[24] Eurostat, mars 2017.
[25] Statistics Bureau of Japan, février 2017.
[26] Financial Times, 4 janvier 2017.
[27] Financial Times, 30 mars 2017.
[28] Financial Times, 31 mars 2017.
[29] Ameco, mars 2017.
[30] Financial Times, 16 avril 2017
[31] OCDE, octobre 2016.
[32] OIT, septembre 2016.
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