La révolution « Open Source » ?
Une chose est de soutenir que le logiciel libre rend le pouvoir de décision technologique aux entreprises qui l’adoptent, et leur permet de « faire des économies », une autre, bien plus laborieuse, est de pouvoir le vérifier et quantifier !
En juin 2004, à la suite d’une recherche indépendante (et autofinancée !), longue de plus de huit mois, et d’une période de synthèse et d’écriture de près de deux mois, j’ai eu la chance de publier un rapport, le premier en son genre, examinant en détail l’impact du logiciel libre sur les entreprises qui l’avaient adopté. Ce rapport, en anglais, intitulé Open Source : a revolution in the software industry ? a été, dès sa publication, mis librement et gratuitement à la disposition des lecteurs.
Premier en son genre, le rapport l’était, dans la mesure où il ne mettait pas tant l’accent sur les aspects "philosophiques" ou sociologiques de la production de groupe du logiciel libre, mais plutôt sur une tentative de quantification économique des conséquences de l’adoption du logiciel libre en entreprise.
Une chose, en effet, est de soutenir que le logiciel libre rend le pouvoir de décision technologique aux entreprises qui l’adoptent, et leur permet de "faire des économies", une autre, bien plus laborieuse, est de pouvoir d’abord vérifier s’il y a bel et bien des économies, pour les chiffrer avec une relative exactitude ensuite.
L’objectif premier de la recherche résidait donc dans la volonté de décrire la structure des coûts et des économies à laquelle font face les entreprises qui considèrent le logiciel libre comme le pilier de leur IT business strategy (en français, on dirait, avec une expression moins heureuse, la stratégie d’affaire technologique). Si le périmètre et l’intensité de l’impact économique du logiciel libre sur les comptes d’exploitation des entreprises ressortent clairement de la recherche, la granularité de l’analyse que la recherche a requise a aussi provoqué un effet secondaire intéressant : cela a permis de décortiquer les dimensions organisationnelles du processus de migration (du logiciel propriétaire au logiciel libre) de manière à identifier et à proposer une sorte de parcours théorique optimal d’implantation de cette même migration.
Ce document de plus de 225 pages, dont certains passages abondent en démonstrations assez techniques, puisqu’ils se fondent sur des analyses extensives de comptes financiers d’entreprises (income statements, cash flow statements et balance sheets), a bénéficié d’un écho que je n’aurais jamais imaginé... ni espéré d’ailleurs. Des spécialistes, mais aussi la presse et des lecteurs, dont l’intérêt porte généralement sur le phénomène de l’open source en général, semblent y avoir trouvé matière à réflexion.
A un an et demi de sa publication originale, j’ai repris ce rapport, et lui ai fait subir une cure de rajeunissement : des données récentes ont remplacé les anciennes estimations, la liste des exemples s’est étoffée, et une nouvelle petite section visant à poser les tout premiers jalons d’une estimation de l’impact du logiciel libre sur l’évolution nationale de la productivité du travail a vu le jour. Des statistiques, dont je ne connaissais pas l’existence il y a deux ans, ont aussi utilement enrichi le document. Bref, une version profondément mise à jour est maintenant disponible en téléchargement... gratuit.
De manière synthétique, on pourrait avancer que la recherche aboutit aux conclusions suivantes :
- Tout logiciel dont le code est accessible aux utilisateurs, que ce soit pour le lire, le modifier, l’utiliser et le redistribuer librement, peut être appelé "logiciel libre". Il y a toutefois des différences entre Open Source Software et logiciel libre, essentiellement au regard des droits et devoirs des utilisateurs et des règles de propriété intellectuelle.
- Le phénomène du logiciel libre n’est pas nouveau : au début, les programmeurs, pas le code, constituait le cœur du secteur ; ensuite, les droits d’usage ont été utilisés pour générer des profits économiques ; toutefois, certains programmeurs en ont appelé à un retour au partage du logiciel ; ensuite... arriva Linux.
- La production du logiciel libre intervient sur base d’une forme d’auto-organisation décentralisée et auto-régulée, qui confère au logiciel libre des traits uniques, alors même qu’une nouvelle approche en matière de travail collaboratif a amélioré la solidité du projet à plus long terme, et a accru les probabilités d’impact sur d’importants leviers économiques.
- Le cycle de Linux a été jusqu’à présent guidé, entre autres, par la perception des pour et des contre. Récemment, les bénéfices perçus du logiciel libre semblent avoir pris une ampleur suffisante pour le rendre attractif aux entreprises. En effet, une comparaison sur large échelle montre les avantages réels du logiciel libre. Il n’est donc pas surprenant que les résultats de cette comparaison apportent les preuves que le logiciel libre constitue une solution viable, tant technologiquement que financièrement.
- Comparé aux logiciels fermés, le logiciel libre garantit d’importantes économies d’investissement, et le retour sur investissement total s’avère hautement attractif. En outre, les utilisateurs de logiciel libre recouvrent leur pouvoir sur leur propre infrastructure technologique d’entreprise, dans la mesure où ils ne dépendent plus des stratégies de fournisseurs externes. Au niveau macro-économique, le logiciel libre semble avoir contribué considérablement aux gains de productivité de travail enregistrés ces dernières années, à la suite de l’augmentation des investissements technologiques en général.
- Le niveau relativement élevé de satisfaction moyenne des utilisateurs professionnels de logiciel libre a de grandes chances de déclencher un effet viral d’adoption en chaîne, comme le montre aussi l’évolution des parts de marché au cours des dernières années.
- Avec le logiciel libre, la notion de fournisseur externe de logiciel tend à disparaître. Les déplacements dans les sources de revenus des fournisseurs externes entraînent aussi des changements dans la culture de l’industrie du logiciel.
- Les solutions libres existantes répondent déjà à un panel considérable de besoins des entreprises pour la plupart des segments de marché (data center, serveur, office, manipulation d’image, gestion des contenus, bases de données, etc.).
- La migration au logiciel libre suit un processus bien défini : analyse des pour et des contre, analyse économique d’impact, prise de décision, implémentation de la migration elle-même sur base d’un planning clairement établi. Plusieurs exemples réels montrent que la migration au logiciel libre s’est avérée une décision gagnante, tant du point de vue de la stratégie technologique que, surtout, sous l’angle de la stratégie économique.
En somme, la recherche se situe au confluent de trois approches méthodologiques, la IT business strategy, l’analyse financière et l’optimisation des processus, enrichies chacune par un apport considérable de données concrètes, chiffrées, réelles et, surtout, remises à jour.
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